PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Rue89 – le Nouvel Observateur – le 20 mars 2013 :

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Dès septembre 2013, à Paris, l’emploi du temps hebdomadaire des écoliers repasse à quatre jours et demi. Pour le bien des enfants et pour enrichir l’offre des activités périscolaires, répètent les élus de la ville.

De 15 heures à 16h30, les mardis et vendredis, la mairie promet du théâtre, de la lecture, du sport ou des ateliers de travaux manuels. Mais entre la théorie des discours politiques et la pratique vécue au quotidien par les équipes éducatives, un fossé abyssal subsiste. Plongée au cœur des réalités d’une école élémentaire de l’Est parisien, loin des effets d’annonce.

Manque de moyens humains et matériels

Enfants dans la cour (Eva Cappelier)

11h30. Les portes s’ouvrent, libérant les cris des élèves. En un clin d’œil, la cour rectangulaire, d’une superficie inférieure à deux terrains de tennis, accueille près de 300 enfants de 6 à 11 ans. Ils disposent de deux heures, pour déjeuner, bien sûr, mais surtout pour se dépenser sur le bitume et, pour les plus chanceux, s’adonner à des activités en groupe restreint.

L’incertitude et l’appréhension sont omniprésentes au sein de l’équipe éducative de cette école élémentaire : « Chaque jour est différent. On se demande toujours comment gérer au mieux les élèves », confie un animateur avec un sourire inquiet.

Le manque de moyens humains et matériels ne permet ni de répondre aux aléas du quotidien, ni d’assurer une offre satisfaisante en terme d’activités périscolaires. « Pourtant, nous restons plutôt mieux lotis que la moyenne », estime Catherine Deschamps, directrice de l’établissement.

Sur les 288 élèves inscrits, près de 270 déjeunent à la cantine. La rotation des services oblige chaque enfant à manger en vingt minutes. Il reste alors 1h40 pour d’autres occupations. En dehors de la cour de récréation, deux possibilités s’offrent à eux. En théorie ; car en ce jeudi de février, la bibliothèque indique « fermé ».

« C’est complet. Comme toujours »

« La responsable est absente. Aucun remplacement n’est prévu dans ce cas », regrette Catherine Deschamps. Reste l’atelier « Kapla », une activité visant à l’apprentissage de la construction à l’aide de bâtonnets de bois. Devant la porte vitrée du préau où se déroule l’atelier, un groupe d’enfants s’agglutine, jette des coups d’œil furtifs.

« On voulait y aller, mais c’est complet. Comme toujours », lance Mélissa, une fillette de CM1. La directrice explique que « seulement 25% des élèves y ont accès, faute de place. » La majorité des enfants se retrouvent alors dans la cour et tuent le temps à leur manière.

« Sans possibilité de s’abriter, je vous laisse imaginer leur état par temps de pluie ou lorsqu’il fait très froid. Les enseignants se plaignent de les récupérer dans de mauvaises dispositions pour le travail en classe l’après-midi. Pas étonnant. »

L’an passé, l’école bénéficiait d’un atelier supplémentaire consacré aux jeux de société. Mais la salle d’arts plastiques, adaptée à cette activité, a depuis été réquisitionnée par la mairie et confiée à l’école maternelle voisine.

Les écoles parisiennes trop exiguës

Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris chargée de la vie scolaire, assure au fil des réunions de concertation de ce début d’année 2013 que « des sorties culturelles, dans les musées ou théâtres, pourront être mises en place dès le mois de septembre prochain. » Pour Catherine Deschamps :

« Les élus savent que les locaux des écoles parisiennes sont exigus, d’où cette idée de proposer des solutions en dehors des murs. Mais tous les établissements ne se trouvent pas forcément à côté du musée Guimet ou de l’Opéra. Il y a bien des centres d’animation dans le quartier, mais qui sont déjà extrêmement fréquentés et se demandent comment ils pourraient accueillir davantage d’élèves, surtout si ceux-ci sont concentrés sur une même tranche horaire. »

Paris a confirmé son souhait de voir les cours se terminer à 15 heures les mardis et vendredis, dans le but d’accorder du temps à des activités périscolaires jusqu’à 16h30. « Mais comment faire profiter les élèves de sorties culturelles pendant un temps aussi court ? », s’interroge la directrice.

« Parmi les lieux d’accueil les plus proches, nous avons une bibliothèque municipale à 20-25 minutes à pied. L’aller-retour prend déjà la moitié du temps, sans parler du fait que l’accueil des classes est très limité. A l’heure actuelle, un enseignant peut s’y rendre avec ses élèves une fois par trimestre, à condition de s’être inscrit en début d’année. »

La ville étudierait l’idée d’envoyer les personnels des bibliothèques municipales dans les écoles pour y faire la lecture après 15 heures. « Pédagogiquement, c’est une option saugrenue. Ils ne sont pas du tout formés à ce type d’exercice », s’insurge Sandrine Balmont, une institutrice de l’école. Economiquement par contre, l’opération est rentable pour la mairie puisqu’elle évite de mobiliser un animateur.

Des perspectives fragiles

Dans un communiqué du 1er février 2013, Bertrand Delanoë assure que « la ville de Paris est prête à rassembler des moyens budgétaires à la hauteur des enjeux. » On parle de 5 millions d’euros, disponibles en 2013, et d’une enveloppe de 6,5 millions d’euros versés par l’Etat à la municipalité, pour la période de septembre 2013 à juin 2014.

Une contribution qui n’est prévue que pour une seule année. L’Education nationale a récemment eu à gérer la fronde de l’Association des maires de France (AMF). Dans une lettre adressée à Vincent Peillon le 21 janvier 2013, elle a fait part de son inquiétude quant aux financements devant être mis en place localement au sein des collectivités.

Soucieux de réformer le périscolaire sans multiplier les dépenses, le gouvernement a lancé un projet d’assouplissement du taux d’encadrement des activités périscolaires. Concrètement, à partir de la rentrée prochaine, un animateur encadrera dix-huit élèves au lieu de quatorze actuellement. Une manière de créer des groupes supplémentaires pour d’éventuels ateliers, sans dépenser plus d’argent.

« Le problème est qu’on ne favorise pas la qualité des activités avec ce type de démarche », précise Catherine Deschamps. Cette décision explique sans doute que seuls 80 nouveaux animateurs seront embauchés à partir de septembre 2013 pour l’ensemble des 662 écoles parisiennes.

Des employés précaires sans formation pour l’animation

Une meilleure offre pour le périscolaire implique un personnel plus nombreux, plus varié. « Et également plus compétent », ajoute Sandrine Balmont. Depuis de nombreuses années, la ville de Paris recrute massivement des employés précaires sans formation initiale pour l’animation périscolaire de la pause méridiennes et les études surveillées du soir.

Le mode de recrutement, de moins en moins exigeant, inquiète les responsables. « Nous accueillons le meilleur comme le pire. Des parents posent légitimement la question des critères d’embauche des animateurs », constate l’institutrice. Recrutés par les circonscriptions des affaires scolaires et de la petite enfance (Caspe), ils ont généralement des statuts de remplaçants vacataires rémunérés au smic horaire.

La durée de l’emploi est très variable. Parfois quelques mois, parfois 3 jours lorsqu’il s’agit d’un remplacement. Céline, animatrice scolaire, témoigne :

« Après un simple coup de téléphone, j’avais obtenu un entretien au cours duquel on m’a expliqué que le rendez-vous ne servait qu’à s’assurer que la municipalité n’avait pas affaire à des psychopathes. Une autre réunion de formation portant sur les horaires et règles à respecter s’est tenue peu après ce premier échange. Puis on m’a attribué une école. Aucun diplôme n’est requis, si ce n’est le brevet des collèges. »

Pour Sandrine Balmont, « il s’agit là d’une bonne manière de désengorger les bureaux de Pôle Emploi, mais pour ce qui est de l’encadrement des élèves qui nécessite des compétences de langage, de communication et des bases en psychologie de l’enfance, ce n’est bien sûr pas l’idéal ».

Une mission limitée à de la surveillance

Il y a dix ans, il existait au moins une journée de formation mobile, au sein de plusieurs établissements scolaires. Un volet concret qui a totalement disparu, comme l’explique Catherine Deschamps :

« Traditionnellement par le passé, les animateurs étaient des étudiants. Aujourd’hui, une partie importante d’entre eux sont des personnes qui viennent d’arriver en France, ayant comme bagage l’équivalent du brevet des collèges. »

16h30. Les animateurs du soir entrent en lice, notamment pour la prise en charge de l’étude surveillée. Les cours sont terminés, mais environ 120 élèves ne quittent pas l’école. Pour une partie d’entre eux, c’est l’heure des devoirs, jusqu’à 18 heures. « Le personnel qui assure ces créneaux du soir doit tout de même avoir le baccalauréat », précise la directrice.

La mission première de ces animateurs consiste davantage à surveiller qu’à apporter un soutien au travail personnel de l’élève. Dans la pratique, ils se retrouvent fréquemment à aider scolairement les plus en difficulté, « alors qu’ils sont sans qualification, et sans formation pédagogique », s’inquiète Sandrine Balmont.

Pour la directrice de l’établissement, ce mode de fonctionnement est guidé par un choix financier : « Confier l’étude du soir à une personne formée pour intervenir dans les devoirs de l’élève implique un autre barème tarifaire en terme de rémunération. Si la mission officielle se limite à de la surveillance, la ville peut se contenter de faire appel à des profils peu diplômés et faiblement rétribués. »

50% des demandes d’ateliers pas satisfaites

Dans le bâtiment voisin des 4 salles utilisées pour l’étude du soir, la bibliothèque est toujours fermée. Mais même les autres jours, la grande majorité des élèves présents à cette heure n’y a pas accès. Le créneau 17 heures-18 heures est réservé à une quinzaine d’élèves de CE1 jugés en difficulté et sélectionnés par l’équipe enseignante.

« L’exiguïté du lieu ne permet pas un effectif plus important. La bibliothèque serait pourtant bénéfique à tous, quels que soient les niveaux », regrette l’institutrice. Au même moment, un atelier karaté débute dans le préau. Ce dernier ne dispose d’aucun aménagement spécifique.

Une quinzaine d’élèves inscrits se changent le long du mur, sans aucune intimité. Les plus timides s’isolent derrière la porte ouverte d’un placard pour enfiler leur kimono. La température des lieux se confond avec le froid hivernal de la cour, de l’autre côté des fenêtres. Pour autant, ces karatékas en herbe font partie des chanceux.

« 50% des demandes d’ateliers du soir ne sont pas satisfaites », indique Catherine Deschamps. Sport collectif, slam, ou magie sont quelques-unes des autres activités possible de la semaine, chacune disposant d’un créneau d’une heure hebdomadaire.

« Rien ne laisse croire que les conditions seront meilleures l’année prochaine »

L’idée d’élargir cette offre sportive et culturelle, comme le souhaitent les parents et comme le promet la mairie, se heurte à de multiples écueils :

« Le préau fait moins de 100 m2. On ne peut y organiser qu’un seul atelier par soir. Nous n’avons aucun autre espace couvert à l’extérieur pour d’autres activités sportives. Quant aux salles de classe qui pourraient théoriquement accueillir des ateliers culturels comme le slam ou le théâtre, les enseignants en ont besoin pour préparer les travaux du lendemain. »

Alors que le nombre total d’ateliers proposés par rapport au nombre d’élèves présents le soir est largement insuffisant, les intentions affichées de rendre ces activités plus riches et variées suscitent la plus grande circonspection, selon Catherine Deschamps :

« Il a d’ores et déjà été annoncé que le nombre de semaines sur lesquelles se déroulent les ateliers du soir passera de 30 à 28 à partir de l’année scolaire 2013-2014. Rien ne laisse croire que les conditions seront meilleures l’année prochaine. Au contraire. »

Le même climat de défiance concerne les classes Découverte, des séjours censés se développer dans le but de stimuler l’ouverture culturelle.

« Lors de notre première année d’organisation de ces voyages en 1987, 21 jours y étaient consacrés. En 1998, la durée n’était plus que de quinze jours. Nous sommes depuis quelques années à seulement dix jours. »

A Paris, on dénombrait 550 classes Découverte organisées en 1998. Elles sont aujourd’hui réduites à 380, et désormais réservées aux CM1 et CM2.

Droits aux loisirs

18 heures. L’atelier karaté prend fin. Les enfants se rhabillent, quittent le préau qui, dès le lendemain, accueillera d’autres activités pour lesquelles il ne sera pas mieux équipé. Seuls quelques matelas sont entassés dans un coin, pour les cours de gymnastique.

Deux bancs et des armoires métalliques complètent le décor. Une myriade de dessins réalisés par les élèves égayent les murs ternes. Au milieu, une affiche colorée revisite le célèbre menhir des aventures d’Astérix et Obélix, à l’intérieur duquel sont listés douze droits fondamentaux des élèves.

« Chaque enfant a le droit d’aller gratuitement à l’école et d’avoir des loisirs », indique la cinquième loi.

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