PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Violence, précarité d’emploi, classes trop lourdes, tâches complexes. Des chercheurs de l’Université Laval sonnent une fois de plus l’alarme. Ces situations menacent la santé mentale de nos enseignants.

Lorsqu’elle est devenue enseignante il y a une quinzaine d’années, Ariane voulait sauver le monde. Quelques années plus tard, exténuée, elle a réalisé qu’elle allait devoir sauver… sa peau. Diagnostic: dépression.

«On m’a mis en arrêt de travail. J’ai du mal à dire dépression. Entre collègues on ne veut pas prononcer ce mot-là, mais on se voit aller et on sait que l’autre est en train de se pousser à bout», confie-t-elle.

Près d’un enseignant sur cinq qualifie sa santé mentale de moyenne à médiocre, un sur deux a un emploi précaire et un sur quatre songe à quitter la profession.

Marie-France Maranda jongle avec ces statistiques depuis le début de sa carrière. Spécialiste en santé mentale au travail, elle a voulu savoir ce qui se cache derrière les chiffres et la réalité quotidienne de ces travailleurs en milieu scolaire.

Pendant six mois, elle a réuni de petits groupes d’enseignants et les a écoutés décrire ces situations qu’elle qualifie d’inacceptables. Ces témoignages ont par la suite été validés auprès de 4000 travailleurs du milieu de l’enseignement et réunis dans un ouvrage intitulé Prévenir les problèmes de santé mentale au travail.

«Ça fait vingt ans que ces situations sont connues au Québec, qu’elles causent d’importants dommages et que rien ne bouge. Pire, on en rajoute», s’indigne la chercheuse au Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT).

Le minutage tue le plaisir d’enseigner

Au Québec, de 1999 à 2009, le nombre d’élèves handicapés en difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) est passé de 13?% à 18?%. Ils sont aussi plus nombreux à être intégrés dans les classes ordinaires, passant de 56?% à 65?%. Pour le personnel enseignant, c’est beaucoup trop lourd, croit la chercheuse. «On leur demande, en plus, de rédiger systématiquement des rapports sur ces élèves-là. Leur organisation du travail est minutée. L’un d’eux nous a dit: le minutage tue l’élan, le plaisir, le goût d’enseigner.»

Tous ont également fait état de la violence et du manque de respect à leur égard. Des situations qui ébranlent et qui ne sont pas uniquement provoquées par des élèves.

«Un parent qui débarque à l’école pour engueuler le personnel, c’est à ce point fréquent que la direction d’une école secondaire d’un milieu défavorisé n’a pas eu d’autre choix que de mettre un gardien de sécurité à la porte», relate Mme Maranda.

Les parents sont d’ailleurs pratiquement vus comme un facteur de risques par les chercheurs.

«Les parents sont de plus en plus exigeants envers nous. Soit ils interviennent tout le temps, soit ils délaissent complètement la vie scolaire de leur enfant. Ça devient complexe», ajoute Ariane.

Parmi tous les secteurs d’activité, les enseignants sont les plus grands consommateurs de psychotropes, une substance qui agit sur le système nerveux.

«On ne cherchait pas des histoires d’horreurs. Les enseignants avaient une certaine pudeur à parler, mais nous avons constaté qu’ils étaient tristes de raconter des problèmes quasi insolubles», conclut Marie-France Maranda.

Le désarroi des enseignants en chiffres
20% à 30%
présentent un niveau élevé de détresse psychologique, contre 18% chez les autres travailleurs québécois
19%
qualifient leur santé mentale de moyenne à médiocre, contre 8% chez les autres travailleurs québécois
35%
se déclarent trop épuisés pour participer à une vie de famille
16%
vivent «assez» ou «très» souvent de l’anxiété
60%
disent ressentir des symptômes d’épuisement professionnel au moins une fois par mois et 20% une fois par semaine
46%
du personnel enseignant et 29% du personnel professionnel ne disposent pas d’un statut «permanent»
Près d’un répondant sur quatre songe à quitter la profession
(source: MELS, ouellette 2013-EQCOTESST, Vézina 2011- FAE , Houlfort-sauvé 2010)

Des profs ont peur de dénoncer

Invités à commenter la dure réalité décrite par les chercheurs de l’Université Laval, les enseignants ne se bousculent pas aux portes pour dénoncer les situations à risques qu’ils vivent tous les jours.

«Ils ont peur de parler. Une simple lettre d’opinion dans les journaux et ils se font taper sur les doigts par leur commission scolaire et la direction de l’école. Ils nous disent “j’ai assez de pression comme ça”», précise Sylvie Théberge, vice-présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).

«Oui, m’identifier peut me causer des problèmes, et je veux rester en bons termes avec la direction. J’avoue, j’ai peur des représailles», confirme Ariane, une enseignante au primaire dans la quarantaine qui requiert l’anonymat.

Une autre commission parent

Pourtant, les problèmes récurrents auxquels font face les travailleurs en milieu scolaire méritent d’être dénoncés, croit Mme?Théberge qui rappelle que le nombre de jours de congé de maladie chez les enseignants a atteint un sommet depuis cinq ans.

«Ce n’est pas un hasard si les enseignants tombent au combat. Qu’on arrête de leur en demander plus, et de couper», plaide-t-elle.

Avec les policiers, les infirmières et les médecins, les enseignants sont les plus exposés à souffrir de problèmes de santé mentale, affirme Marie-France Maranda, spécialiste en santé mentale au travail et professeure à la Faculté des sciences de l’éducation.

«On se fait traiter d’alarmistes quand on parle de la situation des enseignants, mais le gouvernement et la population devraient être alarmés. On est mûrs pour des états généraux sur l’éducation, il nous faudrait une autre commission Parent», confie-t-elle.

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