PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Quand j’étais élève à l’élémentaire il y a de cela bien longtemps, la plupart des classes avaient dans un coin des cartes du Canada et du monde accrochées à un support. Pendant les leçons de sciences sociales, les élèves apprenaient leur géographie en étudiant les cartes. Cependant, les marges de ces cartes étaient garnies d’illustrations de barres de chocolat. Le commanditaire des cartes était un important chocolatier. Bien entendu, à l’époque, je ne savais rien des commandites, mais je me souviens très bien des barres de chocolat. Je me rappelle aussi la controverse soulevée quelques dizaines d’années plus tard, lorsque la société de télédiffusion YTV a proposé de diffuser dans les écoles des émissions de nouvelles qui contenaient des annonces publicitaires. Les opposants au projet faisaient valoir que les enfants ne sont pas à vendre et que les écoles ne sont pas des marchés.

Depuis une quinzaine d’années, l’influence et les interventions grandissantes des entreprises éducatives et autres, en particulier celles du secteur technologique, dans les écoles et auprès des décisionnaires sont devenues un sujet crucial de discussion dans les milieux de l’éducation publique du monde entier. Dans le discours de plus en plus jargonneux sur ce que constituent aujourd’hui un apprentissage efficace et un système d’éducation de qualité supérieure, certaines affirmations semblent revenir constamment :

  • Pour soutenir la concurrence du marché mondialisé du travail, les élèves ont besoin d’acquérir des compétences dignes du XXIe siècle. Les autres domaines d’apprentissage, comme les arts, l’éducation physique, l’apprentissage social et l’éducation civique sont intéressants, mais pas nécessaires à l’atteinte de cet objectif;
  • Actuellement, les élèves du Canada ne sont pas suffisamment bien préparés pour soutenir la concurrence des élèves d’autres pays, en particulier ceux de l’Inde et de la Chine;
  • Les domaines de compétences du XXIe siècle comprennent les mathématiques, la littératie et la pensée créative et critique;
  • Pour savoir si les élèves acquièrent des compétences dignes du XXIe siècle en littératie et en mathématiques, et donc s’ils seront capables de soutenir la concurrence de demain, nous devons leur administrer des tests standardisés et comparer nos résultats avec ceux d’autres pays. La pensée critique et créative est difficile à évaluer;
  • Les résultats de ces tests et les classements connexes sont des mesures valides du succès de notre système d’éducation;
  • Les entreprises éducatives qui conçoivent et administrent les tests standardisés et vendent les logiciels des systèmes aux écoles, entreposent les données des systèmes et présentent une énorme capacité d’analyser les données des systèmes d’éducation, sont bien placées pour développer et vendre les ressources pédagogiques et les logiciels qui facilitent l’évaluation, l’analyse, le testage standardisé et d’autres choses encore;
  • Les élèves apprennent efficacement quand la technologie occupe une place centrale dans leur apprentissage;
  • Le personnel enseignant n’a généralement pas une très bonne connaissance et maitrise de la technologie, et les écoles sont des reliques du XIXe siècle;
  • Le personnel enseignant est mal préparé pour aider les élèves à acquérir des compétences dignes du XXIe siècle;
  • Le personnel enseignant et les écoles doivent changer.

Même si les études menées à ce jour ne valident pas ces affirmations, celles-ci ont fait l’objet d’une promotion soutenue dans les médias et dans l’ensemble de la société par les défenseurs du Mouvement mondial de réforme de l’éducation (abrégé en anglais sous l’acronyme de « GERM » qui, ironiquement, signifie aussi « microbe »)[1], comme l’Institut Fraser au Canada. En toute logique, la prochaine étape est de dénoncer l’échec du système d’éducation publique et de proposer des « réformes » qui en réalité sont des tentatives à peine voilées de privatiser le système d’éducation publique. Dans ce scénario, qui se réalise déjà en Angleterre et qui progresse rapidement aux États-Unis, l’éducation publique devient un marché où l’éducation des enfants est vue comme un produit qui doit être régi par les forces du marché, comme l’offre et la demande, les profits et les pertes, et l’efficacité.

Que représente pour le personnel enseignant et les élèves cette vision commerciale de l’éducation? Quels résultats obtiennent les pays qui l’ont adoptée? Comme les salaires du personnel enseignant constituent la dépense la plus élevée du système d’éducation publique, les entreprises privées qui exploitent des écoles et qui cherchent à générer des profits ont besoin de réduire les dépenses salariales. Elles le font en instaurant un système de rémunération au mérite, en engageant, pour enseigner, des personnes non qualifiées qui coutent moins cher et en augmentant la taille des classes pour réduire le nombre d’enseignants et enseignantes nécessaires. En réalité, dans ce scénario, les membres du personnel enseignant ne sont pas vraiment vus comme des enseignants. Leur rôle se limite à animer des activités d’apprentissage menées à l’intérieur d’un programme d’enseignement étroit, au moyen de leçons déjà préparées et de la technologie. Quand l’enseignement n’est pas vu comme une profession, les questions de l’autonomie et du perfectionnement professionnels ne se posent plus.

Les élèves, surtout les élèves pauvres ou marginalisés qui ont de la difficulté à apprendre, se trouvent au centre d’un processus d’apprentissage dont les visées utilitaires sont de servir les besoins du marché du travail et où l’élève progresse en fonction d’objectifs d’apprentissage étroitement définis. Ces visées ne font pas ou peu de cas de la valeur de l’école comme communauté d’apprentissage ou de l’élève comme jeune citoyen à qui incombent des responsabilités envers les autres et la société. Bien que les mesures du mouvement GERM visent supposément à rehausser le succès des élèves, il en résulte en réalité un taux de succès moindre et une plus grande iniquité.

Ces compétences du XXIe siècle, est-ce vraiment là ce que nous voulons pour nos enfants et nos jeunes? Quelles sont les conséquences, pour ces jeunes, des montagnes de données recueillies par les entreprises éducatives au moyen des systèmes d’information sur les élèves, des logiciels d’évaluation et d’analyse, et des tests standardisés à grande échelle? Et à qui appartiennent ces données et comment risquent-elles d’être utilisées? Il s’agit là de questions fondamentales auxquelles il faut répondre et vite!

Au bout du compte, ce qui se joue ici est ni plus ni moins le système d’éducation publique financé par l’État, l’apprentissage des élèves et le bienêtre de notre société. À la FCE, nous estimons que l’avenir de la démocratie repose sur un système d’éducation publique financé par l’État, inclusif, universel et de qualité supérieure — un système d’éducation qui encourage l’apprentissage tout au long de la vie, l’autonomie, la pensée critique et créative, la diversité, l’inclusion, le sens du devoir envers les autres et la responsabilité sociale. Quel souvenir voulons-nous que nos enfants aient, celui des cartes ou celui des barres de chocolat?


[1] Note de la traductrice.

Dianne Woloschuk est la présidente de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants.

Lire la suite : http://perspectives.ctf-fce.ca/fr/article/3055/

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