La politique dite de la Ville eu des effets positifs. Mais chacun reconnaît aujourd’hui ses limites. Celles-ci tiennent à certains des postulats sur lesquels elle a été fondée. Depuis longtemps, nombre de praticiens et d’urbanistes proposent d’autres solutions.

Le premier des postulats qu’il faut remettre en cause tient au fait que cette politique est «ghettoïsée» dès le stade du découpage ministériel. Il n’y a pas deux ministères de l’Agriculture, l’un pour l’agriculture qui va bien et l’autre pour celle qui va mal. Or, le ministère dit de la Ville est depuis des décennies le ministère de la ville qui va mal. D’autres ministères ont en charge les autres parties de la ville (équipement puis environnement, culture, etc.). Ce découpage présuppose qu’on peut traiter les problèmes des quartiers en difficulté en restant en leur sein, sans que cela ait d’effet ni d’impact sur les autres quartiers. Ce présupposé est de plus en plus faux. Le débat sur la politique dite de la Ville est indissociable du projet que nous avons – ou nous n’avons pas – sur la ville du futur. Il faut un grand ministère de toute la Ville.

Le second postulat qu’il faut remettre en cause tient à ce que je nommerai le culte du zonage. Des ZEP aux ZUS et des ZRU aux ZFU, notre pays a été le champion du monde du zonage. Il y en eut jusqu’à plus de 3000 ! Même si des efforts ont été faits pour en réduire le nombre, on continue de penser que, pour réduire les injustices, il faut dessiner des périmètres qui s’imbriquent, se chevauchent et s’entrecroisent – sans compter que personne ne veut habiter dans une «zone» ! Ce système a trop souvent pour effet d’accroître les discriminations. On ne peut méconnaître que si beaucoup a été – et reste – fait par des enseignants remarquables, la création d’une ZEP hier, ou d’un Réseau d’éducation prioritaire (REP) aujourd’hui, se traduit par de nombreux effets de fuite de la part de parents qui trouvent tous les prétextes pour scolariser leur enfant ailleurs. La question – longtemps taboue – de savoir si la logique du zonage accroît ou réduit les ségrégations et les discriminations est posée. Il faut en finir avec la religion du zonage.

Troisième postulat à revoir : l’idée que la mixité sociale est le fruit exclusif d’une meilleure «répartition» dans l’espace des ménages aux revenus modestes. C’est nécessaire mais ce n’est pas suffisant. La mixité sociale doit aller de pair avec la mixité fonctionnelle. La ville de la seconde moitié du XXe siècle a été marquée par la multiplication d’espaces mono-fonctionnels : périphéries verticales (barres et tours) ou horizontales (étalement pavillonnaire) vouées au seul habitat, zones exclusivement commerciales (entrées de ville), parcs d’activité, campus, technopôles, etc.

La ville du futur sera celle où l’on rompra avec ces spécialisations et où toutes les fonctions seront présentes dans tous les espaces. Le travail est en particulier immense pour reconquérir les 500 «entrées de ville» qui constituent un véritable désastre urbanistique. La ville du futur sera une ville en réseau, polycentrique. Elle conduira à transformer d’ex banlieues en pôles urbains. Cela ira de pair avec la mixité sociale : habiter ici, là, ou ailleurs, c’est d’abord une affaire de désir, de projet et d’ambition pour chaque foyer. On n’y répond pas seulement par des logiques administratives et répartitrices.

C’est toute la ville qu’il faut penser pour le futur. Faute de quoi on n’échappera pas aux logiques de ghettoïsation.

Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret, ancien ministre