PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In IFE (Institut Français de l’Education) – séance 2 du séminaire (02/07/2010) :

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Le point de vue du chercheur Daniel Frandji, sociologue de l’éducation, Institut Français de l’Education

Les politiques publiques éducatives et scolaires, qui s’inscrivent dans le champ de la lutte contre les inégalités, ont connu des mutations importantes en Europe. Les finalités politiques ont changé et l’on est passé de la lutte contre les inégalités à la lutte contre les exclusions jusqu’au registre de nouvelles politiques se donnant comme objectif d’adapter le travail éducatif aux présumées diversités de talents, d’aspirations, de compétences des publics. Ces nouvelles finalités sont portées par des politiques partenariales et cela provoque des malentendus voire des mésententes entre les acteurs concernés. 

Le premier âge de ces politiques publiques correspond à une période d’optimisme où l’on pratique des politiques de compensation. Elles visent à démocratiser l’école et les institutions en général en luttant contre les inégalités par une approche territorialisée des inégalités sociales  constatées : la politique d’éducation prioritaire se met ainsi en place. Le débat se développe autour d’une critique des théories déficitaristes, notamment celle dite du handicap socioculturel, qui semblent fonder ces politiques.

Le deuxième âge des politiques publiques est centré, autour des années 80-90, sur la lutte contre l’exclusion afin d’assurer le maintien de la cohésion sociale. Dans un contexte de chômage, violence et émeutes urbaines, on parle parfois en Europe de « groupes à risques », le risque étant parfois évalué davantage en regard de la société que des individus concernés. La notion d’équité supplante la notion d’égalité et la mise en place des PRE semble parfois correspondre à cette logique.

Les prémisses d’un troisième âge des politiques publiques éducatives se développent autour d’une certaine conception du principe d’éducation inclusive. Les dispositifs s’appuient davantage sur une approche individuelle des problèmes sociaux. L’espace et l’action éducative se fragmentent, on cible les besoins spécifiques de publics particuliers et les dispositifs se multiplient.

Une telle évolution des politiques publiques vers une éducation à ce point individualisée pourrait bien annoncer la fin de l’école commune et de la construction d’une culture partagée. Mais l’enjeu du propos est d’être attentif à la différence des objectifs : lutter contre l’exclusion ou pour la cohésion sociale n’est pas équivalent à l’objectif de réduction des inégalités d’apprentissage scolaire liées aux inégalités sociales et économiques. On ne chercherait plus tant ici à construire une société égalitaire qu’à éviter ou réduire, voire gérer les problèmes résultant de cette politique inégalitaire, s’occuper des « vaincus de la compétition scolaire ou sociale ». On risque ainsi de mettre en suspens les problèmes de reproduction sociale qui sont minimisés voire écartés du domaine d’intervention et de préoccupation comme si ces questions ne pouvaient plus être abordées. Les travaux de recherche montrent pourtant qu’il n’y a aucune fatalité à la production de ces inégalités. 

Ecouter une présentation de l’étude EUROPEP par Daniel Frandji (formation "Etre Elève en Education Prioritaire", Février 2010, INRP) : Les dispositifs d’éducation prioritaire en Europe : évolutions, fonctionnements et débats

Le point de vue des professionnels concernés

  • Définir la réussite scolaire (Stéphane Kus, coordonnateur RRS)

L’expression réussite éducative recèle en elle l’ambiguïté du public qu’elle cible avec toutes les connotations "prévention de la délinquance" : si l’enfant ne réussit pas à l’école, c’est qu’il n’est pas bien éduqué… Avec le risque de culpabilisation de la famille dont les carences éducatives sont mises en avant (attention, je ne critique pas les professionnels des PRE qui ont beaucoup réfléchi à la question et tentent plutôt de redonner à la famille et à l’enfant la confiance en leurs propres capacités). Quant à l’expression réussite scolaire, elle a été longtemps utilisée par opposition à échec scolaire pour caractériser les "bons élèves", qui travaillent "bien", qui ont "de bonnes notes", qui feront de "bonnes études" et auront "un bon métier". Bref en opposant les 2 expressions on est soit dans la reconnaissance du mérite individuel, soit dans la stigmatisation de l’échec individuel, ce qui caractérise encore bien le fonctionnement de notre institution scolaire et les représentations que la société a de cette institution.

Pour dépasser cette logique centrée sur les publics, je m’appuie sur 2 outils : le droit anti-discriminatoire et le socle commun de connaissances et de compétences. Ils permettent tous les deux de passer d’une logique des publics à une logique des institutions. C’est aux institutions d’interroger leurs pratiques pour que les publics puissent passer d’une égalité formelle quant à leurs droits à une égalité de traitement qui leur permettent un accès effectif à leurs droits. Et en ce qui concerne l’institution scolaire, c’est par le Socle Commun qu’elle se donne pour mission de permettre à tous les enfants d’atteindre ce niveau minimum de connaissances et de compétences. La Réussite Scolaire serait donc la réussite de l’institution à permettre à tous d’accéder à ce niveau minimum : on ne se soucie donc plus seulement de donner le même enseignement à tous, et on se pose la question de comment faire pour que tous apprennent.

Enfin, le socle commun de connaissances et de compétences, s’il est un texte scolaire, ne se fixe pas comme objectifs une simple liste de connaissances scolaires à acquérir, il tente de décloisonner les savoirs disciplinaires pour les articuler à ce que devrait être la formation minimale d’une personne citoyenne de nos sociétés contemporaines, en terme de connaissances, capacités, attitudes : c’est donc bien une Réussite Educative qui est définie dans ce texte puisque les savoirs scolaires sont interrogés et organisés en tant qu’ils contribuent à la formation d’un individu.

On mesure le chemin qu’il reste à parcourir pour l’institution scolaire pour mettre en œuvre cette conception de l’Ecole mais aussi pour ses partenaires si tant est que les savoirs qui s’enseignent à l’école participent de l’éducation des enfants pour comprendre le monde dans lequel ils vivront…

"Les savoirs scolaires ne sont que les réponses aux questions que les hommes se sont posé sur le monde." Marc Prouchet, formateur au Centre Michel Delay

  • Définir la réussite éducative (Frédérique Bourgeois, directrice adjointe CR-DSU)

Il n’y a pas de définition officielle. 

Le terme de « réussite éducative » n’est pas labellisé. Les programmes de réussite éducative se mettent en place à partir d’un cadre général déterminé par l’Etat, la définition de la réussite éducative étant renvoyée au niveau local. Le Guide méthodologique de la DIV paru en 2007, soit deux ans après le démarrage du programme, précise « qu’il est essentiel de faire formaliser par écrit aux différents partenaires impliqués dans la démarche ce qu’ils mettent sous le terme de réussite éducative et les objectifs qu’ils visent» . Ceci confirme, d’une part, l’absence de définition « officielle » et enjoint, d’autre part, les acteurs locaux à élaborer leur propre définition. 

Certaines équipes de réussite éducative se sont effectivement lancées dans une démarche de réflexion sur cette question. On le verra avec l’exemple de Rillieux. 

Pourquoi est-ce important de travailler sur une définition de la réussite éducative ?

L’existence d’une définition partagée constitue à la fois un repère pour les professionnels engagés dans la démarche et un indicateur de la manière d’appréhender le PRE. En cas d’absence de définition de la réussite éducative, la difficulté est de savoir de quoi on parle. 

Dans les textes sur le PRE, il est annoncé que la réussite éducative ne se résume pas à la seule réussite scolaire mais, dans le même temps, il n’y a pas de réussite éducative sans réussite scolaire. Et il convient de garder à l’esprit que pour la majorité des parents, la réussite scolaire reste la priorité. 

On sait aussi que chacun vit la réussite éducative selon ses propres critères en fonction du type d’éducation qu’il a reçu et qu’il transmet. Cependant, il y a un risque à ce que les professionnels pensent la réussite éducative à partir de leurs propres normes, normes généralement issues du modèle culturel de la classe moyenne. Or pour les parents, la réussite éducative de leur enfant ne correspond pas forcément à ce que l’équipe de réussite éducative imagine et propose. Il convient donc d’être particulièrement vigilant sur ce point. 

Réfléchir à une définition passe par un travail collectif, partenarial

Pour pouvoir travailler sur une définition de la réussite éducative, il est important de bien connaître les acteurs en présence et de prendre le temps de s’apprivoiser collectivement. Le travail autour d’une définition commune de la réussite éducative pose donc directement la question du partenariat qui constitue le fil rouge de ce séminaire.  

Et pour conclure

On peut considérer que ce flou autour de la définition de la réussite éducation est plutôt bienvenu car il permet de ne pas figer les choses, de ne pas être obligé de coller à un modèle, de rester constamment en alerte. 

  • La réussite éducative : qu’est-ce que c’est ? (Franck Fournier, coordonnateur PRE)

Courant 2005, l’arrivée de nouveaux dispositifs au sein du plan cohésion social n’avait jamais suscité autant de réactions, en particulier pour le programme de réussite éducative (PRE). Les moyens financiers engagés très importants et la méthode de travail proposée assez novatrice en étaient certainement les principales causes, mais pas seulement.  En effet, je suis persuadé que l’intitulé même du projet, mettant en jeu la réussite éducative des générations futures a cristallisé un bonne partie des débats. Car d’une part,  il renvoyait, consciemment ou pas à tous ceux qui assurent un rôle d’éducation, un constat d’échec du modèle éducatif en place. Mais d’autre part, il amenait obligatoirement à se poser plusieurs questions et en particulier : Qu’est-ce qu’une éducation réussie ? Cela nous transporte vite vers une autre réflexion :  Existe-t-il une éducation idéale ou une bonne éducation ?

Rapidement, nous avons constaté toute la confusion qu’il existait entre nous (élus et agents de la ville) et chez nos partenaires ; beaucoup de personnes raccourcissant la réussite éducative à la réussite scolaire. Les premiers à faire cette confusion sont bien souvent les parents pour qui la scolarité revêt une place prépondérante, voire exclusive. Ils oublient la nécessité d’enrichir la vie de leur enfant pour réinvestir une partie des apprentissages scolaires et qu’ainsi leur enfant comprenne à quoi sert l’école.

Distinction nécessaire

Pour aider le comité technique du PRE dans sa réflexion, il est apparu nécessaire de distinguer deux termes : « éducation » et « instruction ». Car bien souvent, dans les débats ils sont confondus. Cela nous a obligé à mieux les définir et à réfléchir leurs litiges de mitoyenneté. L’instruction renvoie à l’acquisition des savoirs qui sont quantifiables et évaluables. c’est le cœur de métier des enseignants ; transmettre des savoirs validés par des programmes. Mais l’Education renvoie à des valeurs qui diffèrent suivant les cultures et les religions. Et qui dit valeur, dit notion non évaluable.

Et ce n’est que le début de l’interrogation, car  « réussir » ou « réussite » interpelle aussi ; c’est réussir pour  qui ? Qui est au centre : l’éduqué, l’éduquant, la société ? Quand considère-t-on qu’une éducation est terminée ?

Est-ce qu’à l’aube d’une vie, l’éducation est vraiment derrière nous et acquise ?

Vous le voyez, la dénomination même du Programme de Réussite Educative peut nous emmener très loin  et se poser dès lors en termes philosophiques.

Mais surtout en faisant ce travail, les instances partenariales ont défini les contours de l’action du PRE. Les textes sortis en 2005, n’étaient pas très explicites et laissaient trop de possibilité d’interprétation. 

En effet, depuis plusieurs années, le champ éducatif a su s’entourer d’un certain nombre de dispositifs qui ont permis de répondre à des difficultés ou d’apporter des réponses complémentaires à celle de l’école notamment.

Avec la mise en place du PRE qui est venu s’installer dans un paysage déjà bien encombré, il a été nécessaire de faire « une pause ».

Ainsi, au delà du dispositif, ce dernier, parce qu’il permettait d’intervenir selon de nouvelles modalités (accompagnement individualisé…) a nécessité une interrogation sur le sens même de son intervention.

Pour les élus locaux aussi, cela a été l’occasion de réinterroger leur action afin de la définir dans un champ sur lequel jusqu’à présent il avait peu de prise. 

Grâce à ce travail, l’équipe pluridisciplinaire peut maintenant traduire en actions et en parcours personnalisés pour les enfants les plus fragiles, l’esprit et la volonté du législateur.  D’autant plus en cette période, où les mesures gouvernementales portent sur un recentrage en direction de l’école et de la réussite scolaire. Une vision très claire de la réussite éducative permet  de trouver des réponses complémentaires. Car comment imaginer que de nouveau, seule l’école règle tous les problèmes ? Le travail en réseau que nous avons mis en place depuis plus de trois ans maintenant, nous montre quotidiennement la plus-value de nos actions. Car le monde scolaire ne sait pas et ne doit pas répondre aux causes des échecs d’apprentissages exogènes à l’école.

En développant un réseau de professionnels compétents (les référents de parcours) nous avons dans la plupart des sites, apporté auprès des parents des possibilités de médiation  et de sensibilisation à l’enrichissement nécessaire de la vie des enfants. 

Mais nous qui sommes déjà dans la dernière ligne droite d’un dispositif prévu jusqu’en décembre 2009. Il est très important de bien affiner notre réflexion car elle sera le fondement de l’évaluation et nous invite à bien recadrer les objectifs du travail évaluatif du dispositif et des parcours personnalisés. 

Synthèse des débats

  • Des réflexions convergentes qui favorisent une approche collective de la réussite éducative

 Les termes de « réussite éducative » ne sont pas labellisés. Cette définition « en creux » permet de ne pas figer la réflexion et facilite une approche distanciée des multiples dispositifs impulsés par les politiques publiques. Il ouvre également, aux partenaires de la réussite éducative, un espace d’actions modulables en fonction des réalités locales.

Il s’agit de se fixer ensemble « des choses à réussir » en tentant d’éviter toute forme de reproduction sociale. Il s’agit également de dépasser l’alternative réussite éducative/ réussite scolaire qui ciblent des publics différents.

Cependant il n’y a pas de réussite éducative sans réussite scolaire.

Peut-être conviendrait-il d’ouvrir le chantier de « la réussite pédagogique » ?

La mise en place du dispositif de réussite éducative pourrait correspondre  à une mutation des politiques publiques éducatives menées au niveau européen. Succédant à des politiques de compensation territorialisées visant à lutter contre les inégalités, cette mutation prioriserait la lutte contre l’exclusion afin d’assurer la cohésion sociale.

  • Des éléments en tension qui éclairent certains enjeux du débat, extraits des échanges avec les participants 

Autour des mots « réussite » et « échec »  

      • Le terme de « réussite » est intéressant car il permet de développer des réflexions positives.
      • Le terme de « réussite » est imprécis, on peut réussir même malhonnêtement.
      • En ne parlant plus « d’échec » scolaire, on cherche à positiver les problèmes sociaux. Mais dans les quartiers, on ne se fait pas d’illusion : l’ENA c’est pour les autres.
      • L’échec scolaire correspondait à une sortie d’école sans bagage. C’est donc important de ne plus parler d’échec scolaire. Il s’agit d’acquérir les connaissances et compétences du socle commun. 

Autour du rôle de l’école et des enseignants

      • La réussite scolaire est limitée à l’école.
      • Le scolaire est normé par l’éducatif.
      • Les enseignants prennent en compte les élèves dans leur globalité surtout dans les établissements d’éducation prioritaire.
      • Il reste des tensions ave l’école pour développer un partenariat efficace.
      • L’école externalise de plus en plus les difficultés scolaires.
      • Il faut traiter les difficultés au quotidien dans les cours.
      • On ne va pas à l’école pour son épanouissement personnel.
      • Les savoirs qui s’enseignent à l’école participent de l’éducation des enfants pour comprendre le monde.
      • On ne peut construire un collège unique qu’en mettant en place des parcours spécifiques.
      • Il faut démocratiser les formes éducatives pour tous sans faire de dispositifs spécifiques, sans cloisonner.

 A propos des dispositifs eux-mêmes  

      • Les PRE et les PPRE : deux dispositifs nés en 2005 de l’affrontement entre 2 ministres
      • Deux dispositifs qui par des voies différentes permettent un discours commun sur la réussite, le partenariat, la construction transversale.
      • le PRE : premier partenariat non issu de l’éducation nationale et certains collèges ne souhaitent pas en être les porteurs.
      • Il est souhaitable que les collèges ne soient pas porteurs du PRE car l’un des objectifs est de sortir du cadre de l’école.
      • les politiques d’éducation publiques semblent échouer presque partout en Europe.
      • Dans certains pays, comme la Finlande, on observe moins d’échec scolaire et les écarts d’apprentissage sont nettement moins creusés (enquête PISA).

Conclusion

Dépasser l’alternative réussite scolaire et réussite éducative, surmonter les clivages entre norme scolaire et norme éducative, utiliser « le flou » des définitions pour tenter d’agir avec souplesse… c’est ce que nous invite aussi à faire Elisabeth Bautier quand elle écrit dans le dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation : « Les déterminants de la réussite sont, à l’heure actuelle, plus difficiles à décrire… Il est donc de plus en plus nécessaire, lorsque l’on cherche à comprendre ce qui fait réussite (ou échec), de prendre en considération un ensemble d’éléments hétérogènes tels que les parcours scolaires, les rapports à l’école et au savoir et, ce faisant, aux apprentissages, en relation avec la trajectoire sociale et scolaire des parents ».

Pour aller plus loin :

  • Bulletin XYZep, n°35. Décembre 2009. Publication du centre Alain-Savary. INRP.
  • Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation (2005). 3° édition Retz.
  • Frandji.D, Demeuse.M, Greger.D, Rochex.J-Y (2008).Les politiques d’éducation prioritaire en Europe. Conceptions, mises en œuvre, débats. Ed.INRP.
  • Laforets.V (2010). La réussite éducative. Un dispositif questionné par l’expérience. INJEP, coll. Cahiers de l’action n°27.

 

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