PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle). :

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La question des rythmes est si envahissante qu’elle mérite qu’on prenne le temps d’en déplier les dimensions, sous-entendus et conséquences dans la conduite éducative. En effet, dans le débat actuel sur l’éducation, on finit par ne plus très bien savoir de quoi on parle : de rythme scolaire, de rythme d’apprentissage ou de rythme d’enseignement ?

Rythme scolaire pour tous

Apprendre demande du temps et une certaine sérénité. La contrainte d?une semaine réduite à 24 H avec l’obligation des 2 H d’aide personnalisée, fractionnant les temps scolaires, a été facteur de fatigue pour les enseignants comme pour les élèves : c’est un constat partagé par la profession (voir les résultats des consultations syndicales) et l’Inspection Générale.

Dans un tel temps contraint et morcelé, les enseignants avaient l’impression de courir, se désolaient d’un  travail « ni fait, ni à faire » (Y. CLOT), avec le sentiment d’être bridés par le contrôle permanent. Quelles ont été les conséquences de tout cela ? Dans bien des écoles, les enseignants disaient ne plus trouver le temps pour se concerter dans les équipes, ne plus pouvoir  ou plus difficilement –  rencontrer les parents.

En tendance, ces contraintes temporelles et la pression évaluative ont conduit à raboter la place des disciplines non évaluées (pourtant sources d’éveil de l’intérêt, de curiosité sur le monde,de motivation), les moments de recherche et d’échange (pourtant indispensables pour mieux comprendre), les projets et les dimensions culturelles (donnant chair, souffle et sens à l’école). Devinez qui a pu en souffrir?

Déverrouiller ce carcan était indispensable, ce qui a été fait avec la proposition d’un retour à la semaine de quatre jours et demi, accompagné d’une suppression de l’AP et d’une autre approche de l’évaluation (non plus contrôle-sanction mais repère et appui des apprentissages). Dans le même souci d’accorder à chacun le temps d’apprendre, on ne peut que saluer la réhabilitation des cycles et de leur aménagement :une grande section de maternelle soulagée de pré-apprentissages trop précoces ; un lien CMS-6è pouvant éviter les ruptures.

On pourrait évoquer le nombre de jours de classe, la répartition des périodes sur l’année. Parler de la nécessité d’un autre « rythme scolaire » pour tous, pourquoi pas. Mais cela ne peut pas être confondu avec le « rythme d’enseignement » mis en place dans chacune des classes, pas plus que cela n’accrédite l"idée  sous-jacente au débat actuel – de « rythme d’apprentissage ».

Rythme d’apprentissage de chacun

Cette thématique revient périodiquement sur le devant de la scène médiatique, la fatigue des écoliers étant interprétée comme symptôme d’une inadaptation de l’école aux besoins de l’enfant, au rythme de son développement, comme si celui-ci répondait – comme la pousse des dents ou la croissance – à un principe de maturation biologique indifférent au contexte.

1/ Serait-ce une affaire d’horloge interne ?

Derrière cette affirmation, est induite l’idée de « rythme propre » à chacun qui renvoie à une naturalisation des différences (avec des rapides et des lents, des lents à s’y mettre et à « faire » et/ou des lents à comprendre) qui masque ce qui n’est que le produit du social : ainsi par exemple, le mode d’apprentissage privilégié par l’enfant, les rapports au langage et au monde qu’il a construits dans sa famille, en phase ou en décalage avec ce qui est requis à l’école.

C’est une conception du développement intellectuel qui explique que certains parents ont tendance – comme certains enseignants  –  à attendre qu’ils mûrissent, préférant s’adapter à ce que l’enfant sait ou peut plutôt qu’anticiper ce qui n’est pas encore advenu. Or, on sait que le rapport entre développement et apprentissage n’est pas de succession mais dialectique. Toute demande qui n’est pas faite à l’enfant est un frein à son développement, le seul apprentissage valable est celui qui précède le développement (Vygotski). Ce qui doit donc non pas nous amener à attendre, mais nous inciter à multiplier les stimulations culturelles et cognitives…

 2/ Temps vécu / temps perçu

Fatigue et décrochage sont moins liés au supposé rythme de l’enfant qu’à l’intérêt de la tâche de son point de vue, qu’à son degré d’engagement dans l’activité. Quand on s’ennuie, c’est toujours trop long (selon le Baromètre AFEV 2011, sur 751 élèves de quartiers populaires suivis par les étudiants, 57 % disent s’ennuyer à l’école, dont 17 % souvent ou tout le temps). Et quand on ne comprend rien et qu’on a le sentiment d’être mis durablement en échec, aussi[1]. A contrario, quand on est passionné, on oublie la pause… 

Autrement dit, la temporalité subjective d’un élève n’est pas un donné mais un effet de l’activité proposée. C’est le point de vue des enseignants voyant leurs élèves refuser de sortir en récréation lorsqu’ils sont fortement mobilisés sur une tâche ou une question à résoudre. C’est un point de vue accrédité par les psychologues : pour Paul FRAISSE, « La durée apparente des tâches décroît à mesure que les activités sont moins morcelées. Plus une tâche a d’unité, plus elle risque de paraître intéressante. L’unité renforce la motivation (…) Plus la tâche a une unité, plus elle paraît courte. »[2]. Propos qui rejoint celui de Gaston BACHELARD, « Il existe un rapport inverse entre la longueur psychologique d’un temps et sa plénitude. Plus le temps est meublé, plus il paraît court ». (…) Mieux vaut « parler de richesse et de densité plutôt que de durée »[3].

A propos du rythme d’enseignement

Pour résoudre le problème des difficultés d’apprentissage, faut-il penser en termes de moins de contenus (allègement des programmes), de moins de vitesse pour les travailler (adaptation des rythmes scolaires) ? Que ce soit au niveau du projet éducatif national ou au niveau de la classe, cela renvoie à des élèves« moins »… Vision « déficitariste » des élèves de milieux populaires – puisqu’il faut bien les nommer ! – ayant des conséquences sur la conduite de classe.

 1/  Le risque de surestimer les différences

Ainsi, une récente recherche s’est penchée sur les pratiques « ordinaires » (c’est-à-dire ni de débutants, ni d’experts), cherchant à identifier des manières de faire qui,répétées, sont propices à la réussite des élèves ou de nature à générer des difficultés[4]. Face aux difficultés, on constate qu’un certain nombre d’enseignants, croyant bien faire, s’adaptent aux élèves et à leurs capacités supposées par une simplification des supports, une réduction de la complexité de la tâche et un fractionnement du travail, souvent associé à un guidage renforcé les amenant à le faire pas à pas.

Ainsi, bien que dans une même classe, les élèves sont soumis à un régime différent. Ces moindres sollicitations et la parcellisation des activités conduisent à une différenciation croissante. Les élèves fragiles – confirmés par une aide accrue – stagnant dans l’attente de l’intervention de l’adulte. C’est ce que la recherche nomme processus de différenciation active. Suffit-il alors de faire comme si tous pouvaient suivre, malgré tout ?

 2/ Le risque de sous-estimer les différences

La recherche repère parallèlement ce qu’elle nomme un processus de différenciation passive. C’est ce qui se passe quand les enseignants, faute de connaître les conditions de leur éducation, présupposent chacun des élèves également prêt à s’approprier les contenus proposés, sur le plan de l’appétence (envie de lire, d’écrire ; intérêt pour apprendre) et sur le plan des dispositions (expérience passée, conceptions initiales, rapport à l’apprentissage, usage du langage…) et qu’ils négligent – faute de les percevoir et de les cerner – les sauts cognitifs à faire opérer par ceux qui ne sont pas en connivence avec l’univers scolaire.

 Les chercheurs parlent d’« illusion de transparence » des enseignants :

– à l’égard des situations, quand les élèves sont « mis au faire » trop rapidement, sans que l’enjeu soit précisé, avec une consigne écoutée et investie par certains élèves mais pas ou mal entendue par d’autres, alors en attente ou condamnés à l’imitation dans l’aveuglement du but visé ;

– à l’égard des contenus quand, semblant aller de soi, il y a peu d’anticipation des étapes facilitant leur appropriation ; quand les interventions de régulation s’attachent à faire en sorte que « ça avance », au détriment de recadrage(s)permettant de réorienter l’activité de l?élève (ainsi, il n’est pas rare d’entendre la consigne reprise mais transformée, jusqu’à changer la nature de l’activité induite, passant par exemple de « remettre dans l’ordre » à « coller proprement ») ;

– illusion de transparence des processus d’apprentissage quand les élèves sont laissés sur l’idée que « faire », aller au bout de la tâche, c’est essentiel à l’école… et que ça suffit pour apprendre.

 Exemples :

 * En maternelle, quand le travail est-il « fini » ?

Est-ce à la sonnerie (récréation,sortie) ? C’est alors un réglage formel de l’activité sur le temps institutionnel. Est-ce quand on a terminé et mis dans le casier ? Cette pratique réitérée laisse entendre aux élèves qu’apprendre, c’est alors « faire ». Ou est-ce après que l’enseignant soit passé, ait donné son avis, incité à revenir sur tel ou tel point ? Apprendre,c’est alors faire correctement ce que la maîtresse a demandé (mais les critères de « qualité » ont-ils été éclaircis?). Mais il peut aussi n’être considéré véritablement fini qu’après reprise collective par la classe ; après un examen comparatif des productions, appréciées selon leur adéquation avec la consigne et des critères collectivement dégagés, avec retour sur les procédures utilisées. Apprendre, c’est alors faire et réfléchir l?expérience, acquérir des techniques efficaces, s’approprier des critères de réalisation et de jugement. Ainsi, le temps d’apprentissage transcende le temps vécu et le temps perçu, incorpore le retour sur l’activité qui permet d’en apprécier la pertinence eu égard aux attendus visés.

    * Au niveau CM2 : 

Le déroulement type dune séance passe par un travail individuel initial, suivi par un temps de comparaison et validation du travail, avant une phase conclusive. Or, bien souvent, les phases de réalisation et de validation« mordent » sur celui prévu pour la reprise, prise en charge par l’enseignant avec la complicité de quelques « bons élèves »? les autres ayant décroché[5]. Or,c’est ce dernier temps, où l’on décontextualise, où on extirpe le « noyau » central de la situation vécue qui constitue le temps formatif clé : moment où on (re)saisit collectivement et de façon explicite l’enjeu de l’activité… y compris si on n’a pas réussi l’exécution de la tâche. Ce moment de « discours extérieur » permettant de penser la tâche (et pas seulement de la réaliser), d’acquérir des modalités de raisonnement et de validation, est destiné à devenir « discours intérieur » gage d’autonomie intellectuelle (passage de l’interpsychique à l’intrapsychique – Vygotski).

Changer de braquet… pour synchroniser les apprentissages

 1/ D’abord, stimuler l’intérêt

Les situations-défis, les projets,les situations de recherche ; les livres faisant écho à mes préoccupations (des mythes et récits initiatiques aux documentaires) ; les enquêtes sur l’environnement, les sorties culturelles… sont autant d’activités propices au questionnement, à la recherche et au dépassement de soi. « Plus temps est meublé, plus il paraît court ». Plus les élèves sont investis, plus ils sont stimulés… et alors « le temps ne compte pas ».

 Mais c’est d’abord à l’égard du contenu visé que la réflexion doit s’exercer : derrière les titres du programme, quels contenus-clés ? Et pour chacun des contenus considérés comme essentiels, quelle mise en scène imaginer ? L’objectif est de redonner valeur au savoir comme outil opératoire pour résoudre un problème, répondre à une question ; en tant qu’invention humaine, terme d’un processus fait d’erreurs rectifiées.

 2/ Se donner le temps de comprendre

Comprendre ne va pas de soi (selon l »étape du développement de l’enfant, son rapport aux objets travaillés,ses techniques de travail), cela nécessite une (re)conquête par chacun sur la base d’acquis, d’expériences très diverses. « La vérité ne devient claire qu’après-coup »(Bachelard), ce qui nécessite de veiller tout particulièrement à certaines étapes de l?apprentissage :

 . Lancer l’activité : la présentation de l’enjeu de la situation et le temps accordé à l’appropriation de la consigne (reformulée) permet d’éviter les interprétations malheureuses, les fausses pistes, le risque de découragement et d’abandon. Cela peut être très bref.

. La recherche : l’implication individuelle est une condition indispensable à tout apprentissage,  un préalable à tout échange si l’on veut une réelle confrontation des points de vue singuliers, base d’une élaboration commune. A quel rythme mener la séance ? La précipitation, l’impatience sont facteurs de stress mais l’excès de lenteur, la trop faible sollicitation sont sources d’ennui et de décrochage… C’est plutôt la visée qui va permettre de réguler la conduite.

. Les conditions d’une compréhension partagée

Créer un cadre sécurisant… où chacun puisse « se risquer » : incitation aux essais, dédramatisation des erreurs,respect des propositions, encouragements à persévérer ;

Différer l’irruption de la solution… pour donner à penser : à la fois recadrer le travail s’il est besoin, pour éviter les dérives improductives… et s’astreindre à la neutralité, afin de ne pas stériliser l’élaboration en cours ; stimuler la réflexion par le doute, pointer les contradictions ;

Faire expliciter, justifier… et amener la classe à « tirer les fils » : afin de (s’)habituer collectivement à penser par soi-même.

 3/ Accorder le temps d’assimiler

Les moments d’exercice et de contrôle prennent une grande place, parfois au détriment des séances de découverte : il convient de rééquilibrer en faveur des temps forts indispensables à la compréhension.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille négliger les temps de reprises, qui restent nécessaires pour stabiliser les acquisitions, moments où l’on s’exerce pour s’approprier et automatiser, travail personnel initié en classe et poursuivi en dehors (ex. lecture, écriture,orthographe, calcul mental… cf. le travail de B. Suchaut sur le rôle prédictif de ces « compétences intégrées »).

Au-delà, il nous faut penser en termes de continuité éducative : au niveau de l’établissement (convergence et temporalité sont propices aux progrès), avec la logique des cycles (ex. suivi CP-CE1… expérimenté de longue date) et avec les parents : la connivence éducative a des incidences sur l’implication au quotidien, nous l’avons constaté bien des fois.

 

[1] Selon le même Baromètre AFEV 2011, 70 % des élèves ne comprennent pas toujours ce qu’on leur demande,cas fréquent pour 15 % des élèves ; 49 % ayant le sentiment de ne pas pouvoir y arriver.

[2] Paul FRAISSE, Psychologie du temps, PUF, 1975.

[3] Gaston BACHELARD, la Dialectique de la durée, PUF, 1972 (tous deux cités par Jean-Yves  ROCHEX, dans « Des rythmes au contrat ou la mystification du sujet ».)

[4] Jean-Yves ROCHEX, Jacques CRINON (dir.) (2011), La construction des inégalités scolaires. Au coeur des pratiques et de dispositifs d’enseignement.Presses Universitaires de Rennes.

[5] Certains élèves se lancent avant d’avoir entendu ou lu la consigne jusqu’au bout et sans jamais y revenir et ne sont pas attentifs lors de la correction, considérant qu’une fois fait, c’est fini !

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