Le retour à la semaine de quatre jours et demi en primaire, promis par le candidat Hollande, est devenu une réforme symbolique du quinquennat. Mais qu’en restera-t-il après l’assouplissement décidé par Benoît Hamon ? Pour faire passer une réforme qui doit s’appliquer à toutes les écoles à la rentrée, le ministre de l’Education a annoncé le 7 mai des possibilités de dérogation. Tous les enfants devront avoir classe le mercredi matin – ou, rarement, le samedi matin. Et les communes pourront regrouper les activités périscolaires sur une après-midi, sans raccourcir les journées de cours, une option écartée jusqu’ici.

A l’origine, il s’agissait d’aider les 6% de communes ayant de vraies difficultés à passer aux quatre jours et demi – notamment les localités rurales qui ne trouvent pas d’animateurs à faire venir chaque jour pour trois quarts d’heure d’activités – et d’encourager des expériences originales d’organisation scolaire. Les maires ont jusqu’à vendredi pour demander des assouplissements. Le risque est qu’à l’instar de Lyon, de grandes villes s’engouffrent dans la brèche. La réforme se réduirait alors à son strict minimum, avec l’obligation de cinq matinées de classe – le moment où les enfants sont le plus concentrés et apprennent le mieux – et l’abandon du reste – journées allégées, activités périscolaires pour tous…

Les maires qui feront une réforme a minima

Le coup le plus dur, pour Benoît Hamon, est venu de son propre camp. A Lyon, le maire (PS) Gérard Collomb, qui traîne la jambe devant la réforme, avait opté pour un report à 2014. Profitant de l’assouplissement, il a décidé d’une organisation a minima : les activités périscolaires seront regroupées le vendredi après-midi. Et elles seront payantes : de 2 à 19 euros par mois selon les revenus des familles. Or à l’origine, la réforme Peillon prônait la gratuité et la régularité de la semaine. «Un contresens éducatif», a dénoncé la FCPE (principale fédération de parents d’élèves) du Rhône. Pour protester, des parents d’une école du IIIe arrondissement ont lancé une pétition et mis en berne des établissements avec des ballons noirs. Rien de tel chez les enseignants. «Il y a un consensus contre la réforme des rythmes, mais beaucoup sont lassés et ont envie que ça se finisse», explique Yannick Le Du, secrétaire départemental du SnuiPP, majoritaire du primaire.

La guérilla judiciaire des élus UMP

Ici et là – dans la Drôme, en Ardèche, en région parisienne… -, des élus se regroupent pour réclamer un moratoire. Le 7 juin, 34 maires du Rhône, majoritairement UMP, appellent à un rassemblement devant le rectorat de Lyon «pour demander à nouveau solennellement au Premier ministre le retrait ou la liberté d’appliquer ou non» cette réforme. Ils l’attaquent aussi sur le terrain judiciaire. «Nous avons formé un recours auprès du Premier ministre contre le décret Peillon, explique Renaud Pfeffer, maire UMP de Mornant, au sud-ouest de Lyon, et porte-parole des élus. La semaine prochaine, nous attaquerons le décret Hamon devant le Conseil d’Etat. Et nous envisageons, à la rentrée, un contentieux indemnitaire à l’encontre de l’Etat afin d’obtenir la compensation totale des coûts de cette réforme pour les communes.»

Mais il y a une part de gesticulation. Les maires savent bien que s’ils n’organisent pas d’activités périscolaires, ils risquent de mécontenter leurs administrés qui vont leur réclamer des comptes, d’autant qu’ils vont recevoir, pour cela, des subsides de l’Etat. Dans un premier temps, certains élus du Rhône avaient laissé planer la menace d’un boycott de ces activités. Aujourd’hui, ils sont bien plus prudents. Certains se limiteront à de la garderie ou à du foot. Renaud Pfeffer mettra en place des activités. Mais les parents devront payer – de 0,50 à 1,80 euro de l’heure, «bien en dessous du prix d’une nounou», souligne-t-il.

Les jusqu’au-boutistes qui refusent de plier

Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire (UMP) de Marseille, clame que les cours n’auront pas lieu le mercredi matin chez lui. Selon lui, la ville n’a pas les moyens de financer la réforme. Pourtant avec de forts taux d’échec scolaire et de déscolarisation dans certains quartiers, elle aurait, plus que d’autres, besoin d’un temps périscolaire bien organisé. Les conseils d’école ont du coup reçu des missives contradictoires. L’académie leur écrit que les cours prendront fin à 15 h 45 l’an prochain qu’il y aura école le mercredi matin. La mairie leur indique qu’on ne touchera pas aux horaires. Les parents qui viennent inscrire leurs enfants repartent parfois paniqués : les agents les préviennent qu’il faudra peut-être venir chercher les enfants à 15 h 45.

«Avec la cantine le mercredi en plus des activités à financer, pour nos 73 000 écoliers, cette réforme nous coûterait 25 à 30 millions par an, estime Danielle Casanova, adjointe à l’éducation. Or dans le même temps, l’Etat nous a enlevé 10 millions d’euros de dotations [générale et de solidarité urbaine].»

Benoît Hamon, qui multiplie les coups de fil ces jours-ci aux maires récalcitrants, a fait valoir que la ville pourrait toucher 140 euros par élève au lieu des 90 prévus, grâce à une rallonge de la caisse d’allocations familiales locale. Mais cette dernière aurait prévenu qu’elle n’en avait pas les moyens. Pour l’instant, la ville propose de doubler les crédits de lutte contre l’échec scolaire (de 9 à 18 millions d’euros), en recourant à des étudiants en science de l’éducation qui feraient du soutien le soir.

Les nouveaux élus qui détricotent les dispositifs existants

Avec la débâcle socialiste aux municipales, la situation s’est encore compliquée pour la mise en place des nouveaux rythmes, qui repose en partie sur la bonne volonté des équipes municipales. Les nouveaux élus ont été tentés de défaire les dispositifs de leurs prédécesseurs. A Marck, une commune près de Calais qui scolarise 350 enfants, l’ancien maire PS avait appliqué la réforme dès 2013. A peine élu, son successeur UMP, Henri Dumont, 26 ans, a considéré qu’elle n’était «pas viable». Trop chère, selon lui : 133 euros par enfant, couverts «aux deux tiers» par l’Etat. Le personnel recruté n’est pas assez diplômé («un tiers a le Bafa»). En plus, toujours selon l’élu, des parents se sont plaints de la fatigue des enfants en fin de semaine, et les enseignants de l’absentéisme le mercredi.

Henri Dumont s’est joint à la maire UMP de Calais et à douze autres maires de la région, dont l’édile socialiste de Coulogne et le divers gauche de Sangatte, pour entamer un bras de fer avec le préfet et annoncer qu’ils n’appliqueront pas la réforme à la rentrée. Mais, là encore, le réalisme devrait prévaloir : c’est l’Etat qui fixe la semaine scolaire et les élus, cantonnés au périscolaire, ne peuvent s’y opposer. A Calais, on reconnaît qu’on fera alors de la «garderie», et à Marck on concentrera les activités sur une après-midi.

Les bons élèves de la réforme qu’on n’entend pas

Le paradoxe est là : alors qu’une ville avec de gros moyens comme Lyon profite de l’assouplissement de la réforme, de petites communes se sont cassé la tête pour appliquer les nouveaux rythmes. A Ennetières-en-Weppes (90 élèves), village de la campagne lilloise, «ça n’a pas été un cadeau», soupire Jean-Claude Flinois, maire sans étiquette, «mais on nous donne un travail, on le fait. On appliquera la réforme au mieux, pour que ça ne soit pas du gardiennage». Il a fait appel au bénévolat pour le tennis de table, le théâtre et le badminton, en plus des intervenants payés, en anglais, en musique, en peinture. La femme du maire, commerçante, animera, les lundis après-midi, un club de ping-pong.

Dans la communauté de communes d’Hirson, dans l’Aisne, on a fait au mieux. Militant au PS et au Cèdre (Collectif des élus démocrates et républicains à l’éducation), Stéphane Bizeau a mis en musique la réforme dès 2013 : «On a mutualisé pour 1 100 enfants d’Hirson et de quatre villages alentours. On a formé 30 personnes au Bafa, notamment des mères de famille.» Les enfants ont reçu un questionnaire : il y a eu «84% de satisfaits».

Catherine COROLLER, Haydée SABÉRAN Lille, de notre correspondante, Olivier BERTRAND et Véronique SOULÉ