PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Souvent limitée aux activités artistiques ou « d’ouverture », notre approche de l’enseignement de la créativité est donc devenue obsolète, elle ne répond aux exigences du monde contemporain. Par Hani Jafar, sociologue, San Diego.

En France, le socle commun de connaissances et de compétences liste un ensemble de connaissances, capacités et attitudes que tout élève de l’hexagone doit maitriser à la fin de sa scolarité obligatoire. C’est, selon la célèbre formule, ce que chacun ne peut se permettre d’ignorer. Cependant cet ensemble tourne majoritairement autour de la transmission des savoirs – organisés en disciplines – et de l’esprit critique (même si l’on peut se réjouir de voir dans le nouveau projet de socle un domaine visant « les méthodes et outils pour apprendre »).

Spécificité bien française, notre formation à l’esprit critique est dorénavant nécessaire mais non suffisante. Elle n’est qu’une des composantes de ce que nous appelons les compétences du XXIe siècle : l’esprit critique, la communication, la créativité et la collaboration. Nous devrions donc concentrer nos efforts sur les autres compétences, en particulier la créativité (définie comme la capacité à imaginer ou réaliser quelque chose de nouveau, d’original). Or la créativité n’est citée qu’une seule fois dans le projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture du 12 février 2015. Et si le mot est relativement nouveau en français – apparu dans les années 1970 – le concept est bien ancien.

Une approche obsolète

Souvent limitée aux activités artistiques ou « d’ouverture », notre approche de l’enseignement de la créativité est donc devenue obsolète, elle ne répond aux exigences du monde contemporain. D’où l’urgence de mettre la créativité et l’innovation au cœur de notre système éducatif en formant les jeunes français aux « capacité[s] à proposer de nouvelles solutions, de nouvelles visions pertinentes des choses » selon la définition de François Taddei[1]. Pour cela, la créativité est le levier de l’innovation. Innover consiste à faire des liens entre des choses à priori déconnectées, c’est un processus complexe qui nécessite de réassembler de façon créative des savoirs distincts. Ainsi, comme le souligne Tony Wagner[2], la créativité – tout comme l’expertise et la motivation – sont essentiels à l’innovation.

Nous pouvons donc, avec l’auteur de Creating Innovators, avancer qu’enseigner la créativité n’est donc plus une option mais une composante essentielle de l’éducation. En effet, si dans le passé l’accent était mis sur l’assimilation d’une somme de connaissances, ce qui importe aujourd’hui pour un élève n’est pas ce qu’il sait, mais ce qu’il fait avec ce qu’il sait. Pour le dire simplement, notre paradigme éducatif de l’ère industrielle est maintenant obsolète car nous vivons dans un monde post-industriel.

La créativité s’apprend et s’évalue

Dans ce monde post-industriel, les élèves doivent plus que jamais apprendre à innover, à prendre des risques et à échouer. Comme le souligne Paul Tough, l’erreur est un élément important de la réussite du processus d’apprentissage, tout comme la capacité à persévérer. Dans son ouvrage de 2012, Tough[3] souligne l’importance de sept attitudes que tout élève doit cultiver telles la persévérance, la curiosité, la discipline et la maîtrise de soi.

Par conséquent chercheurs, éducateurs et personnalités de la société civile insistent sur l’idée que la créativité devrait être au centre du processus d’apprentissage. Plus d’expérimentation et de moments ludiques sont essentiels, ce qui nécessite certainement de s’éloigner de notre culture de la mémorisation et des contrôles écrits – ce que certains appellent l’éducation « industrielle » – pour aller vers des situations d’apprentissage diverses. Nous devons mettre en place des moments où les élèves seraient des apprenants engagés qui utilisent leurs connaissances comme un outil pour résoudre des problèmes de façon créative et collaborative. Pour cela, ces temps doivent être inscrits dans les programmes et les compétences travaillées évaluées. Car parler d’éducation revient finalement à se demander ce que l’on va faire apprendre aux enfants et comment faire pour savoir ce qu’ils ont appris. Toucher à ces deux dimensions – le programme, l’évaluation – implique de se demander comment nos élèves doivent utiliser leurs cerveaux et quels types de compétences doivent-ils mobiliser pour réussir dans le monde de demain ? Et la réponse est, parmi d’autres, « être créatif ». Or la créativité n’est pas innée : elle s’apprend et s’évalue.

La compétence la plus importante du XXIe siècle

Il ne semble donc pas que les instructions officielles françaises reflètent les besoins de demain des élèves d’aujourd’hui. Le chercheur Art Costa parle de l’importance chez les élèves des habitudes de l’esprit (habits of mind[4]) et Guy Claxton des capacités à savoir quoi faire lorsque l’on ne sait pas quoi faire (reprenant ainsi Piaget avec l’agilité d’apprentissage). Pour Claxton[5] les élèves doivent cultiver expertise et la flexibilité, la flexpertise. Ce changement de paradigme éducatif qui est en train de s’imposer partout dans le monde ne semble pas être assez pris en compte dans notre pays. Pour former les citoyens et les travailleurs au XXIe siècle, nous devons apprendre aux élèves à trier des informations en grande quantité, à les analyser de façon critique, ceci afin de les utiliser pour résoudre des problèmes complexes de façon créative tout en coopérant avec des pairs et en étant capable de communiquer les résultats de façon articulée et pertinente. Et cela tout au long de la vie. Chacun voit bien qu’il est de plus en plus difficile en France de faire face aux enjeux du XXIe siècle avec un modèle académique reflétant notre culture du XXe siècle.

La créativité est dans ce cadre la compétence la plus importante du XXIe siècle car elle est liée à la capacité d’un pays à innover. Mais c’est aussi un moyen de motiver les élèves, de personnaliser les apprentissages et de rendre toute sa place au métier d’enseignant. Posons-nous les bonnes questions et n’ayons pas peur d’une réflexion innovante sur l’éducation. Nous maitrisons le critical thinking, passons maintenant au creative thinking.

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[1] François Taddei, « Inventer une nouvelle maïeutique pour apprendre à apprendre », in Cahiers pédagogiques, n° 478, 2010.

[2] Tony Wagner, Creating Innovators: The Making of Young People Who Will Change the World, Scribner, 2012.

[3] Paul Tough, How Children Succeed: Grit, Curiosity and the Hidden Power of Character, Mariner, 2013.

[4] Arthur L. Costa et Bena Kallick, Habits of Mind: A Developmental Series, Association for Supervision & Curriculum Development, 2000.

[5] Co-auteur de The Learning Powered School – Pioneering 21st Century Education, Tlo Limited, 2011.

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