PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

« Prendre en considération le harcèlement et les difficultés qu’il induit met en lumière les impensés de notre système scolaire ». Alors que la ministre a fait du 5 novembre la Journée Non au harcèlement, Nicole Catheline publie un remarquable Que Sais-Je sur cette question. Pédopsychiatre elle apporte son savoir de praticien psychologue pour aider à faire face à ce qui n’est pas, pour elle, une fatalité..

Le harcèlement c’est l’échec de la gestion du groupe

De nombreux travaux ont analysé le harcèlement scolaire. N Catheline rappelle ce que l’on sait du phénomène qui touche entre 15 et 20% des élèves parmi lesquels 10 à 15% de victimes simples. Mais elle apporte aux travaux sociologiques l’expérience de la clinique pour aborder des recommandations qui vont plus loin que la gestion du système éducatif.

Au coeur du harcèlement, selon N Catheline, la dimension du groupe élèves. Le harcèlement s’installe quand la gestion du groupe est en échec. Gestion du groupe d’élèves bien sur, mais aussi gestion du groupe des enseignants. « Quand de fortes dissensions enveniment les rapports au sein d’une équipe d’enseignants ou entre les enseignants et la direction de l’établissement ou le personnel de la vie scolaire, tout le monde est trop préoccupé pour percevoir les situations de harcèlement » Inversement la constitution d’une véritable communauté d’adultes est importante pour la prise en compte du harcèlement et éviter que chacun se défausse sur son voisin. Comment cette communauté peut-elle inclure les parents reste une difficulté dans le système éducatif français.

Ensuite N Catheline invite aussi à prendre en main vraiment la gestion du groupe élèves et de réguler sa dynamique. « Les phénomènes de groupe sont insuffisamment pris en compte aujourd’hui dans la scolarisation », écrit-elle. C’est « l’impensé de la pédagogie ». Elle invite à former les élèves à résoudre leurs conflits par exemple avec des médiateurs. N Catheline insiste aussi sur la formation à la gestion des émotions et au débat. Elle donne des exemples de pratiques pédagogiques qui permettent de traiter ces dimensions comme le jeu des trois figures de S Tisseron. Lutter contre le harcèlement passe d’abord par l’instauration de règles démocratiques claires et justes qui soient expliquées aux enfants et établies en commun. Pour N Catheline il s’agit que le groupe se prenne en main et notamment qu’il aborde la question des témoins passifs du harcèlement. L’école doit apprendre aux jeunes à développer de l’empathie pour autrui.

Nicole Catheline : On laisse les enseignants trop seuls

Pourquoi et comment changer l’Ecole pour faire face au harcèlement ? Nicole Catheline revient sur la psychologie des enfants harceleurs et harcelés et invite les adultes à travailler ensemble. Développer l’empathie chez les élèves c’est aussi apprendre à éduquer ensemble chez les adultes.

Une des particularités de votre ouvrage c’est de s’intéresser aux jeunes qui sont à la fois harceleurs puis victimes de harcèlement ou victimes puis harceleurs. Comment ces situations sont-elles possibles ?

Une victime peut se dire au bout d’un moment qu’elle peut ne pas se laisser faire et s’en prendre aux aitres par dépit ou colère. C’est un mécanisme simple. C’est plus complexe dans l’autre cas quand le harceleur devient victime.

L’idée que je soutiens à partir de ma clinique c’est que le harceleur et le harcelé sont des enfants qui ont de difficiles relations avec les autres. Ils sont trop sensibles. La manière de gérer cette fragilité diffère chez le harceleur et le harcelé mais c’est la même difficulté de relation. Il découle de cela le fait que l’on doit prendre en charge de la même manière la victime et le harceleur. De ce point découlent des modalités d’aide et de maintien dans l’établissement scolaire.

Justement votre ouvrage se termine par un programme de lutte contre le harcèlement. Le remède est à puiser dans la psychologie ou dans la sociologie de l’école ?

Il est d’abord dans la manière dont les adultes s’occupent des enfants. Par exemple dans ce qu’ils véhiculent dans leurs propos. Il faudrait cesser de dire que « les enfants sont naturellement méchants ». C’est une ânerie. Cesser de rester à l’extérieur du groupe d’enfants en disant qu’il faut que les jeunes apprennent à se défendre.

Et puis il y a la sociologie de l’école. Le fait par exemple que l’Ecole est devenue un passage obligé pour toute une génération et que la pression du diplôme est lourde. L’école porte des enjeux sociaux importants.

Le harcèlement est un sujet grave qui laisse des traces dans la psychologie de l’enfant. Mais ce n’est pas une question psychologique.

Les enseignants sont-ils assez vigilants face au harcèlement ?

Il ne faut pas tirer sur les enseignants. Le harcèlement relève d’une évolution globale de la société qui au final leur retombe dessus. Par contre on laisse sans doute les enseignants trop seuls. Il est  regrettable qu’ils n’aient pas de lieu pour parler de ce qu’ils vivent et pouvoir être soutenus. Il faudrait que dans la formation des enseignants soit mieux prise en charge la gestion du groupe, la réception des parents, l’organisation de groupes de parole avec les enfants.

Quels signes doivent attirer l’attention des enseignants ?

Un enfant isolé doit attirer l’attention car c’est une proie facile. Un enfant qui change de comportement ou dont les résultats scolaires chutent brutalement. Ce n’est évidemment pas un signe spécifique mais il faut se poser la question du harcèlement.

Surtout il faut assurer l’enfant que s’il y a harcèlement on saura quoi faire et qu’on décidera avec lui des moyens. Car les enfants craignent souvent que les interventions des adultes aggravent la situation.

Une mesure que la ministre devrait prendre ?

La Journée de lutte contre le harcèlement est une bonne idée car elle oblige à parler du harcèlement. Il faudrait que les chefs d’établissement se saisissent de cette Journée pour monter des projets qui associent les parents. Ce n’est qu’en réunissant tous les adultes qu’on limitera le harcèlement.

Propos recueillis par François Jarraud

Nicole Catheline, Le harcèlement scolaire, Que Sais-Je; PUF, 2015, ISBN 978-2-13-073167-2

S’intéresser aux temps autres que l’enseignement

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