PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Jacques Guyard a été secrétaire d’Etat à l’enseignement technique en 1991-1992, Lionel Jospin étant ministre de l’Education nationale. Il nous livre sa vision sur cet enseignement, ses difficultés et des pistes pour le valoriser.

Jacques Guyard

 

 

 

 

 

Vous avez été secrétaire d’Etat à l’enseignement technique dans le gouvernement d’Edith Cresson, François Mitterrand étant Président de la République. Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

J’ai un CAP de menuiserie, puis j’ai intégré l’école normale d’instituteurs de Paris, et j’ai suivi des études d’histoire. J’ai obtenu l’agrégation, enseigné 6 ans dans le second degré, puis en histoire moderne à la Sorbonne en tant que maître de conférences, jusqu’à ce que le hasard des élections me conduise à être secrétaire d’Etat. J’ai donc parcouru tous les degrés d’enseignement !

Quelle était la mission que vous avait confiée Edith Cresson ?

Edith Cresson, alors Premier ministre, souhaitait développer l’apprentissage. A mon sens, pour le développer, il fallait allier monde du travail et monde éducatif. Le lien entre les deux était inexistant, encore plus du fait de la disparition des professeurs techniques adjoints (PTA). Ils venaient en effet du monde professionnel, étant d’anciens ouvriers ou techniciens, et avaient la culture du métier et souvent un très bon contact avec les élèves. Or les PLP (professeurs de lycée professionnel) ont remplacé les PTA, et le lien avec l’univers professionnel et l’enseignement pratique a été rompu, au bénéfice des disciplines théoriques. Le problème est que les PLP n’ont pas la culture métier. Avec l’accord du Premier ministre, nous avons donc décidé d’attaquer le problème par le haut et d’introduire l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. La loi Seguin de 1987 le prévoyait, mais il n’y avait aucune réalisation : en 1991, il n’y avait pas un seul apprenti dans les filières du supérieur français. Nous avons donc lancé cette expérience, et nous nous sommes heurtés à l’hostilité des écoles d’ingénieur, des universités, mais nous avons petit à petit réussi à mettre en place un dispositif avec le CNAM et quelques grandes entreprises acceptant d’accueillir de jeunes bacheliers pour les conduire, grâce à l’apprentissage, au diplôme d’ingénieur. Cela a très bien fonctionné, et le système éducatif a commencé à bouger. Peu à peu les écoles et les universités ont commencé à accueillir des apprentis, et aujourd’hui par exemple près de la moitié des ingénieurs sont formés par l’apprentissage. L’université propose par ailleurs, à partir de la licence, des masters ingénieurs.

L’apprentissage au niveau post-bac s’est bien developpé, mais qu’en est-il au niveau du secondaire, après la 3e ?

L’apprentissage après la seconde ne s’est pas développé. Le problème principal de l’apprentissage dans le second degré, c’est tout d’abord que généralement, les CIO ne parlent pas de l’apprentissage. La concurrence entre bac pro et apprentissage en CFA est également problématique : quand on oriente un élève en bac pro, il part en lycée professionnel, et non en apprentissage. Et dans le lycée professionnel, on ne lui proposera jamais l’apprentissage. Le jeune qui fait le choix de partir en apprentissage le fait donc en fin de 3e, ce qui est très tôt.

Dans son discours le 4 septembre dernier, Najat Vallaud-Belkacem souhaitait « qu’à la méconnaissance de l’enseignement professionnel, succède sa connaissance, et, surtout, sa reconnaissance ». Pour vous, est-ce que depuis vingt ans, le regard sur l’enseignement professionnel a changé ?

Les choses se sont aggravées, car l’enseignement professionnel a perdu la part de culture ouvrière que lui apportaient les PTA. Les programmes de l’enseignement professionnel ne sont pas non plus conçus par les gens du métier et les artisans, et c’est également problématique.

De plus, il n’y a pas d’inspection générale de l’Enseignement professionnel. Sa mise en place serait un signal fort de reconnaissance de cet enseignement et de ses spécificités. Il faudrait également créer une Direction de l’enseignement professionnel au sein du ministère, car aujourd’hui cet enseignement est en quelque sorte un être non identifié

D’ailleurs le secrétariat à l’Enseignement technique n’existe plus…

En effet, après 1993, ce secrétariat a disparu et l’enseignement professionnel a été fondu dans l’enseignement scolaire, c’est-à-dire dans la DGESCO.

Pourtant, dans une période de fort chômage, la voie professionnelle ne conduit-elle pas vers l’emploi ?

La plupart des diplômes de l’enseignement professionnel conduisent à de l’emploi. Mais en France, cet enseignement reste dévalorisé. Cela est spécifiquement français. En Allemagne par exemple, dans l’industrie, c’est une institution, et les meilleurs ouvriers deviennent des maîtres reconnus. Et les élèves suivent une formation totalement en apprentissage. Dans les collèges allemands par ailleurs, il y a des ateliers, alors qu’en France, ils ont totalement disparu.

La ministre de l’Education a annoncé, dans son discours du 4 septembre, des mesures en faveur de la découverte de l’univers professionnel dans les collèges, avec la généralisation depuis cette rentrée des Parcours d’Avenir et la mise en place d’un EPI découverte du monde pro à partir de 2016. Qu’en pensez-vous ?

Ce sont de bonnes initiatives, l’enseignant doit s’ouvrir à l’interdisciplinaire et au monde extérieur. Globalement en France, nous avons une très bonne formation intellectuelle, mais nous n’apprenons pas les métiers y compris le métier d’enseignant, encore trop disciplinaire et lié à l’université.

Ne faudrait-il pas proposer également plus de possibilités de poursuite d’études aux élèves diplômés d’un bac pro ou d’un CAP ? La ministre a en effet rappelé qu’aujourd’hui 50% des bacheliers pro souhaitaient poursuivre leurs études. Qu’en est-il par exemple du Brevet professionnel supérieur qu’avait proposé Geneviève Fioraso ?

Les bacs pro sont en difficultés pour accéder aux formations sur sélection, BTS ou DUT. C’est pourquoi ils refluent en fac, où ils sont en échec. Il faudrait donc organiser des passerelles et des semestres d’adaptation pour qu’ils puissent trouver leur place non seulement à l’université, mais surtout en BTS et DUT, qui devraient être les débouchés naturels pour eux. Aujourd’hui en effet, bac+2 est un véritable débouché économique, et c’est le format idéal de diplôme débouchant sur un emploi. Les bacs pro n’ont malheureusement pas la possibilité de se perfectionner. A chaque fois qu’une initiative va dans ce sens, comme celle du projet de Brevet professionnel supérieur, elle est rejetée.

Outre l’aménagement de passerelles permettant d’accéder au supérieur, que préconisez-vous pour revaloriser l’enseignement professionnel ?

Il faut faire appel à des professionnels qui ont 20 ans d’expérience en entreprise et qui ont envie de communiquer sur leur métier, pour former les jeunes de la voie professionnelle. Ils doivent absolument contribuer à la formation des élèves, à côté des PLP. La formation initiale des PLP devrait par ailleurs être revue, car elle est trop universitaire.

La création d’une direction de l’enseignement technique et professionnel au ministère serait également un signal fort. Enfin, nous sommes dans une crise de l’orientation : il serait souhaitable de parler d’autre chose que de la seule éducation nationale générale. Et donc de proposer autre chose que la seconde générale à l’élève. L’orientation en voie professionnelle serait ainsi davantage une orientation connue et choisie.

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