PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Observatoire des inégalités – le 2 avril 2013 :

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Dans les débats scientifiques, sociétaux et les politiques éducatives relatifs à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, l’école maternelle fait l’objet de bien peu d’attention. Dans la Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les hommes et les femmes dans le système éducatif (2013-2018) signée le 7 février dernier, trois axes d’action sont définis : « acquérir et transmettre une culture de l’égalité entre les sexes ; renforcer l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ; s’engager pour une plus grande mixité des filières de formation à tous les niveaux d’étude  ». Mais ces axes concernent surtout les collégiens et les lycéens. Pourtant, l’école maternelle constitue un lieu de socialisation [1] central dans la construction des inégalités entre les filles et les garçons : d’une part, parce qu’elle véhicule et transmet aux enfants des normes liées aux rôles et aux attentes de l’institution scolaire en matière de comportements et d’aptitudes des filles et des garçons ; d’autre part, parce que dans le même temps où il découvre l’institution scolaire et apprend le « métier  » d’élève, le jeune enfant construit son identité sexuée et affirme son appartenance à un groupe de sexe.

De nombreuses recherches [2] ont mis en évidence les différences dans les représentations et les comportements différenciés des enseignants à l’égard des filles et des garçons. Les professionnels disent observer des différences entre les filles et les garçons dans la cour de récréation et dans les classes (par exemple, les jeux des garçons et des filles dans la cour de récréation, ou les différences dans les comportements au sein de la classe : les filles calmes, sérieuses et appliquées, les garçons bruyants et chahuteurs), mais sont plus réservés à reconnaître leur rôle dans le développement de ces différences. En outre, si les observations des interactions entre les filles et les garçons au sein de la cour de récréation et de la classe révèlent l’influence que le groupe peut exercer sur la conformité des comportements des filles et des garçons, à travers notamment l’élaboration d’une culture enfantine commune marquée par les normes de genre, peu de travaux ont permis d’étudier le rôle plus spécifique de l’institution scolaire et des différents professionnels concernés. Or, par les remarques qu’ils adressent aux enfants sur leurs comportements, les appréciations sur le travail scolaire réalisé par les filles et les garçons, les adultes transmettent à l’enfant leurs représentations et leurs attentes sur les rôles de chacun-e en fonction de son appartenance à un groupe de sexe.

La question que l’on peut poser alors est de savoir si les enseignants créent ces différences ou s’ils réagissent, plus ou moins directement, aux comportements déjà différenciés des filles et des garçons ? En effet, des observations déjà anciennes [3] montraient que lorsque les enfants arrivent à l’école maternelle, ils et elles manifestent déjà des préférences pour certaines activités, et des comportements conformes à leur genre : les unes plus sages, les autres plus agités. Ces différences de comportements proviennent en grande partie de la socialisation de genre à laquelle participent de très nombreux agents : de la famille élargie (parents, frères, sœurs, grands-parents), aux lieux d’accueil de la petite enfance, en passant par les camarades et les médias socioculturels (programmes télévisés, jeux, littérature, etc.). Cette socialisation de genre apparaît ainsi comme un processus complexe, à l’œuvre dès la naissance, et qui comporte différentes dimensions : les représentations de chacun-e sur les rôles de sexe, les interactions adulte(s)-enfant(s), l’environnement physique de l’enfant et les modèles que constituent les personnes, filles et garçons, femmes et hommes, de l’entourage de l’enfant.

La pluralité des dimensions et des personnes qui constituent ce processus de socialisation de genre [4] contribue à son caractère hétérogène : les modèles, les normes, les attentes et les pratiques ne sont pas toujours les mêmes au sein et entre les différents milieux de vie de l’enfant : entre son père et sa mère, entre l’enseignant et ses parents, avec ses camarades, etc. Ce qui amène nécessairement à examiner comment l’enfant construit son identité sexuée au sein de cette pluralité d’influences socialisatrices.

C’est en effet dans les premières années de vie que s’élabore l’identité sexuée du jeune enfant, en lien étroit avec les différents progrès moteurs, cognitifs, sociaux et affectifs. Le sentiment d’appartenance à un groupe de sexe se développe très tôt à travers les interactions entre l’enfant et ses parents, et se met en place entre 18 et 24 mois. Dans le même temps, la compréhension cognitive de cette appartenance à un groupe de sexe se développe : l’enfant est alors capable de se catégoriser et de catégoriser les personnes de son entourage dans l’un ou l’autre groupe, en se fondant notamment sur les signaux socioculturels de la masculinité / féminité : les attributs physiques, les accessoires, les activités et plus tard les traits de personnalité.

Cependant, l’enfant n’a pas encore la connaissance que cette appartenance est stable et définitive dans le temps, que cette indexation repose sur l’organe biologique et que les signaux socioculturels relatifs au genre sont en premier lieu des codes sociaux (et donc culturellement et historiquement situés). De cette façon, entre 3 et 7 ans, l’enfant pense que l’on peut changer de groupe de sexe en fonction notamment des attributs socioculturels. Afin d’asseoir son identité sexuée, il va donc chercher à connaître les rôles des filles et des garçons, des femmes et des hommes, et il va manifester des comportements et des représentations très stéréotypées (conformité vis-à-vis des rôles de sexe), par exemple en valorisant les attributs de son propre groupe de sexe et en dévalorisant les caractéristiques du groupe opposé, refusant même temporairement de jouer avec des pairs de l’autre sexe. Lorsqu’il aura intégré, vers 7 ans, la compréhension cognitive de la stabilité de son appartenance à un groupe de sexe, en fonction des temporalités et des contextes l’enfant commencera à témoigner d’une relative flexibilité au regard des normes liées aux rôles de sexe.

Ces quelques éléments montrent l’importance du rapport au genre que l’enfant va élaborer au sein de ses milieux de vie. Dès son plus jeune âge, l’enfant cherche à comprendre son appartenance à un groupe de sexe et les rôles qui y sont rattachés, cette activité de signification ne se réduit pas à une simple intériorisation des stéréotypes, car elle fait appel à différents processus psycho-sociaux (tels que la socialisation de genre et l’identité sexuée). On conçoit de cette façon l’importance que peut également revêtir une pédagogie favorisant une « culture de l’égalité des filles et des garçons » dès l’école maternelle, par exemple en favorisant l’accès des enfants des deux sexes à la découverte et à la pratiques d’activités (ludiques, sportives, etc.) habituellement destinées aux filles ou aux garçons.

Reste la question de la forme et des contenus que celle-ci doit développer. S’agit-il d’asseoir une nouvelle norme « prêt à porter », mettant ainsi à mal la question des variabilités interindividuelle et intra individuelles ? De plus, cette culture de l’égalité entre les sexes est-elle réellement pensée pour les filles ET pour les garçons, ou encore et toujours une égalité à sens unique ? Les filles doivent-elles s’aligner sur le comportement des garçons pour les rattraper ? Enfin, former les personnels de l’Education nationale à une culture de l’égalité des filles et des garçons dans l’objectif qu’ils puissent de cette façon promouvoir celle-ci auprès des élèves, peut constituer une voie pertinente, à condition toutefois de tenir compte du fait qu’ils et elles ont eux-mêmes un rapport au genre singulier, qu’ils et elles donnent à voir dans leurs représentations et leurs comportements à l’école maternelle.

Véronique Rouyer, Maître de Conférences en Psychologie du Développement de l’enfant et de la famille et Yoan Mieyaa, Docteur en Psychologie – Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche, du Laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation – Axe Milieux, Groupes et Psychologie du jeune Enfant Université de Toulouse 2 – Le Mirail.

- Pour en savoir plus :

Mieyaa, Y., Rouyer, V., Le Blanc, A. (2012). La socialisation de genre et l’émergence des inégalités à l’école maternelle : le rôle de l’identité sexuée dans l’expérience scolaire des filles et des garçons.

L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 41(1), 57-75.

Rouyer, V. (2007). La construction de l’identité sexuée. Paris : Armand Colin.

Rouyer, V., Croity-Belz, S. & Prêteur, Y. (Eds.). (2010). Genre et socialisation de l’enfance à l’âge adulte. Expliquer les différences, penser l’égalité. Toulouse : Erès.

Photo / © SergiyN – Fotolia.com

 

[1] Socialisation : processus durant lequel l’individu s’approprie les normes et les valeurs de la société, qui contribuent ainsi à l’élaboration de son identité. Voir Rouyer, V., & Troupel-Crémel, O. (2013). Socialisation et construction de l’identité sexuée : dialectique des processus d’acculturation et de personnalisation. In A. Baubion-Broye, R. Dupuy, & Y. Prêteur. (Eds.),

[2] Pour en savoir plus, voir Mieyaa, Yoan (2012). Socialisations de genre, identité sexuée et expérience scolaire : Dynamiques d’acculturation et de personnalisation chez les enfants scolarisés en grande section de maternelle. Thèse de Doctorat Nouveau Régime. Toulouse : Université Toulouse 2 – Le Mirail.

[3] Bianka Zazzo (1993). Féminin, masculin à l’école et ailleurs. Paris : Presses Universitaires de France.

[4] Voir par exemple, l’ouvrage collectif coordonné par Anne Dafflon Novelle (2006) : Filles, garçons : socialisation différenciée ? Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

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