PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Laurent Bouvet, professeur des universités et politologue, est l’un des inspirateurs du courant de la gauche populaire au PS

Un livre sur « l’insécurité culturelle », n’est-ce pas reprendre le débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy en 2009 ?
Laurent Bouvet : Nicolas Sarkozy voulait garder les électeurs qui avaient voté pour lui en 2007 et qui menaçaient de s’évader pour le FN, comme le sable au travers d’un tamis. En parlant, comme lui, des sujets qui fâchent, je souhaite pour ma part, faire comprendre à la gauche qu’elle doit s’en emparer si elle veut reprendre les électeurs qui ont fui, pas seulement pour des raisons économiques.

La déception économique n’explique pas l’abandon de ces électeurs ?
Laurent Bouvet : Ce n’est pas une explication suffisante. Sinon, Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas été distancé par Marine Le Pen en 2012, alors qu’ils présentaient des programmes économiques assez proches. Marine Le Pen a fait la différence sur l’insécurité culturelle.

En refusant de parler des questions d’identité, la gauche a laissé faire ?
Laurent Bouvet : La marche des Beurs en 1983 a été un tournant. Les Beurs n’avaient pas de revendication identitaire. Ils réclamaient une intégration dans la République française. Mais la manière dont Mitterrand a manipulé ces questions, les discours des associations, des militants identitaires, d’une partie de la droite qui n’a pas joué franc jeu, et bien sûr du FN, ont provoqué une émergence de la revendication identitaire qui a prévalu sur la volonté d’intégrer. Depuis 30 ans, on pose des questions sur qui veut quoi, qui ressemble à quoi, qui est compatible et ne l’est pas, d’abord sur des bases ethno-raciales et religieuses, récemment sur le genre et l’orientation sexuelle. C’est cela l’insécurité culturelle.

Vous écrivez qu’avec l’Islam, Marine Le Pen a trouvé le vecteur qui unifie l’ensemble de sa démarche.
Laurent Bouvet : La radicalisation d’une partie des musulmans dans le monde et, dans certains cas, le passage à l’acte terroriste, a amplifié la crainte par rapport à l’islam. Le FN et d’autres partis de même orientation politique en Europe se servent de ce point d’appui pour donner de la cohérence à leurs discours. Ils rejettent le « système » en soulignant que les partis de gouvernement n’ont pas su éviter la mondialisation et ses effets économiques; qu’ils ont encouragé la construction européenne, présentée comme le cheval de Troie de la mondialisation; qu’ils n’ont pas su éviter la dilution du lien social à cause de l’immigration. Celle-ci n’est plus présentée comme la venue de « l’Arabe qui vient prendre le pain des Français« , mais comme l’irruption du musulman qui vient changer le mode de vie des Européens. Pas seulement sur la nourriture, l’habillement, mais aussi, comme on l’a vu avec les récents attentats, pour s’attaquer à la liberté d’expression, à la liberté de pensée, au droit au blasphème. En se présentant comme le résistant face au péril musulman, le FN se pose en défenseur de la laïcité et de la Nation.

Face à cette montée du FN, la droite d’abord, puis maintenant la gauche, perdent des électeurs. Pourquoi spécifiquement la gauche ?
Laurent Bouvet : Les impératifs de la gestion de l’État et de la construction européenne ont provoqué, à partir de 1983, l’abandon progressif du programme économique traditionnel de la gauche. La défense des « damnés de la terre », des pauvres et des miséreux, a laissé la place à celle des discriminés : immigrants, religions minoritaires comme l’islam, le féminisme poussé à l’extrême jusqu’aux ABCD de l’égalité à l’école, et homosexuels. La gauche propose une vision multiculturaliste de la société, non pas pour constater ce qu’elle peut apporter de positif en soi, mais pour en assurer la promotion. Avec au départ de bonnes intentions, la gauche en est venue à mettre en avant la valeur de la différence. En satisfaisant des revendications identitaires minoritaires sur tous les sujets, la gauche participe à la déstabilisation de la majorité et amplifie l’insécurité culturelle. C’est particulièrement vrai avec la politique de la ville. On lui a consacré des moyens importants, tout en laissant à l’écart toute une population qui ne vit pas dans les cités. Ça provoque un effet boomerang avec les ressentiments de ceux qui n’ont pas bénéficié des aides. En voyant les difficultés qui n’en finissent pas, les incidents constants, et au bout du bout du bout, les frères Kouachi et Coulibaly, ils demandant à quoi a servi cet argent dépensé. Ils adoptent à leur tour un discours identitaire basé sur la relégation des « Français de souche », sur un « racisme antiblanc ».

Il n’y a pas une part de fantasme ?
Laurent Bouvet : Bien sûr. Les discours identitaires de chaque camp se nourrissent mutuellement et fonctionnent sur des fantasmes. Lorsque Marine Le Pen parle du halal, par exemple, ça ne concerne pas directement grand monde. On peut toujours dire qu’elle fait fantasmer. Mais elle capitalise le jour des élections. Car les gens votent aussi avec leurs fantasmes. Il faut donc s’en occuper.

Comment abolir ces antagonismes, redonner l’envie de vivre ensemble ?
Laurent Bouvet : En mettant l’accent sur l’égalité plutôt que sur la diversité. En mettant l’accent sur ce qui nous est commun plutôt que sur ce qui nous différencie. Un exemple : l’enfant à l’école ne doit plus être accueilli comme celui qui apporte de chez lui, de sa famille, de son quartier, sa différence, son identité, son origine, sa culture. Il doit être accueilli comme quelqu’un auquel on va donner les outils, les connaissances, la manière de se comporter, qui lui permettront de comprendre ce qu’est le monde, ce qu’est la société, ce que veut dire la République aussi. Au lieu d’être celui qui apporte la diversité à l’école, il sera celui qui apportera les valeurs républicaines dans son entourage, dans son quartier, à ses contacts sur les réseaux sociaux. Des valeurs basées sur l’égalité : égalité des droits, de l’accès à l’emploi, pour lutter contre des discriminations comme celles que subissent les femmes dans les entreprises, une égalité sans laquelle la liberté reste juste un mot.

On a les politiques, les enseignants qu’il faut pour y parvenir ?
Laurent Bouvet : On a un problème « d’élite ». C’est un gros mot, mais tant pis. De par leur formation et avec des expériences de vie qui sont les leurs, nos élites se sont éloignées du monde commun. Or, chacun dans son rôle, politiques, intellectuels, enseignants, journalistes, chefs d’entreprise, nous devrions rechercher le sens commun. Insister sur le fait que nous avons plus à faire ensemble qu’à nous affronter. Vous ne croyez pas que le « petit blanc » et le jeune des cités qui ne veut pas  » être Charlie », ont beaucoup plus en commun par rapport à ces élites qui ne comprennent rien, que de différences qui les opposent sur le plan social ? On peut se demander si les élites n’ont pas intérêt à entretenir cette division identitaire pour garder la main sur un pays qui ne va pas bien. C’est de cette manière que la gauche devrait poser la question.

Vous soupçonnez une trahison des élites ?
Laurent Bouvet : Je pose la question. On n’est plus si éloigné de la situation de la situation décrite par Marc Bloch en 1940, quand il a écrit « l’Étrange défaite »(1).

(1) Dans son livre, Marc Bloch analysait la trahison des élites qui n’avaient pas anticipé et préparé la France au choc hitlérien

Olivier Mazerolle

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