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Directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions islamiques, Olivier Roy* revient sur la transformation du religieux à l’heure de la mondialisation.

© JEAN-PIERRE MULLER / AFP

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Vous montrez dans votre ouvrage, La Sainte Ignorance, que l’on assiste à une déconnexion entre religion et culture. En quoi cela reconfigure-t-il le religieux ?

On fait face aujourd’hui à une crise de la culture en raison de la mondialisation et des nouveaux modes de communication. La culture est devenue plus un « code » qu’un « contenu ». Cette dynamique s’inscrit dans un mouvement de sécularisation : elle isole le religieux. Ce dernier cesse de faire partie de l’évidence sociale. Par exemple, dans la France laïque des années 50, on voyait des hommes en soutane, comme l’abbé Pierre lorsqu’il faisait son entrée à l’Assemblée, mais personne ne se sentait offensé. Cela paraissait évident.

Cela signifie-t-il que l’on assiste pour autant à une déconnexion du religieux et du théologique ?

Ce qui compte aujourd’hui pour les gens, ce n’est pas la religion, c’est la religiosité, c’est-à-dire leur rapport au religieux. On assiste à un phénomène véritablement contemporain : l’individualisation du religieux où chacun cherche dans la religion la réalisation de soi-même. D’où une forme prétendument syncrétique des religions où l’on voit des individus catholiques s’afficher dans le même temps bouddhistes, ou des juifs se déclarer « tendance yoga ». Il y a deux générations, cela serait apparu comme hérétique. Le religieux s’est constitué comme un marché. Preuve en est l’expression de marqueurs religieux sur le modèle de la « street culture ».

Quel rôle Internet joue-t-il dans cet essor du « marché du religieux » ?

Internet ne pose pas le problème de l’insertion sociale. Sur Internet, vous vivez votre communauté en parfaite harmonie, vous ne rencontrez que des gens comme vous. C’est un espace d’auto-confirmation. Mais attention, ce n’est pas un lieu de débat : on y communie ou on s’y injurie. Il y a donc la possibilité de vivre sa foi sans contradiction, mais dans le virtuel. Ainsi, vous verrez des jeunes pratiquer un « salafisme d’Internet ». Ce sont des jeunes qui n’appartiennent pas à une communauté musulmane réelle, qui ne vont jamais ou presque à la mosquée. Ils vont sur « Fatwa on line », « Ask the imam ». Ils s’interrogent sur des choses très concrètes : le camembert est-il halal ? ; puis-je faire un prêt pour acheter un appartement ? Nous sommes au temps d’une religiosité individualisée et sauvage.

La laïcité peut-elle aider à l’encadrement de ces pratiques ?

Le laïc dit aujourd’hui : « il faut réformer la religion ». Cela est problématique. Le laïc est supposé s’interdire de parler de la religion. La loi de 1905 ne légifère pas sur le religieux, mais sur le culte, c’est-à-dire sur la pratique. Or aujourd’hui, la laïcité devient l’expulsion de la religion de l’espace public vers l’espace privé. On note une évolution dérangeante : c’était un principe constitutionnel de la séparation de l’Église et de l’État, et un principe juridique de l’organisation de la pratique des cultes dans l’espace public. Maintenant on parle de « valeurs laïques », de « morale laïque », elle est devenue une idéologie. D’où le conflit avec le religieux.

Où en est l’islam de France?

Sociologiquement, l’islam n’est plus « l’islam des banlieues ». Nombreux sont les musulmans qui désormais appartiennent aux administrations publiques. Sur le porte-avion Charles de Gaulle, par exemple, on compte trois cents musulmans sur un équipage de trois mille. C’est une proportion que l’on retrouve dans le reste de l’armée. Il suffit de compter le nombre d’aumôniers musulmans pour s’en rendre compte. Cependant, on assiste à l’essoufflement de l’islam traditionnel, « l’islam des grands-parents », perçu par les autorités françaises comme « l’islam des modérés ». L’intériorisation de la laïcité par le musulman modéré le conduit à éviter d’afficher son appartenance religieuse. Le problème, c’est que dès lors qu’on demande au musulman modéré de prendre position publiquement et de condamner le djihadisme, on le contraint à quitter sa position de modéré. C’est la double contrainte : cessez d’afficher votre identité religieuse et montrez que vous êtes modérés.

* Olivier Roy est l’auteur de La Sainte Ignorance (Seuil, 2009) et En quête de l’Orient perdu (Seuil, 2014).

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Categories: Laïcité