PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Henri Pena-Ruiz, philosophe, écrivain et maître de conférences à Sciences-Po Paris, vient de recevoir plusieurs prix pour son Dictionnaire amoureux de la laïcité. Selon lui, la laïcité française est en crise. Entretien.

Vous venez de recevoir le Prix national de la laïcité 2014, décerné par le Comité Laïcité République, ainsi que le Prix de l’initiative laïque remis par la CASDEN, la MAIF et la MGEN. Que représentent ces deux distinctions à vos yeux ?

Je ne boude pas mon plaisir. C’est une reconnaissance morale et intellectuelle du travail effectué pour défendre l’idéal laïque. Il n’est pas toujours facile de faire comprendre ce qu’est la laïcité. Quand on le fait, on soulève encore de l’hostilité de la part des personnes que l’idée laïque dérange en ce qu’elle porte atteinte non à la religion, mais à ses privilèges traditionnels.

Quelle définition donner de la laïcité ?

Dans la laïcité, il y a d’abord l’idée d’unité, celle du laos, qui en grec veut dire peuple indivisible. Il ne s’agit ni de nier les différences, ni de s’enfermer en elles. Sinon on tombe dans le communautarisme. Avant d’être différents, les êtres humains sont ressemblants : ils sont tous porteurs d’humanité et de citoyenneté. La laïcité unit tout le peuple par la conjugaison de trois principes fondamentaux : la liberté de conscience ; la stricte égalité de droits ; et l’orientation de la puissance publique vers l’intérêt général, commun à tous, donc universel. C’est une application du triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité ».

La laïcité se porte-t-elle bien en France et, plus précisément, à l’école ?

Non, elle ne va pas bien du tout, parce que l’école publique est affaiblie par des politiques qui l’ont remise en question en tant qu’école républicaine et laïque. Certaines réformes dites pédagogiques ont relativisé l’acte d’instruire. On a trop souvent découragé les enseignants en les traitant d’élitistes et en opposant la démocratisation à l’exigence culturelle. Ce qu’il faut démocratiser, ce n’est pas le savoir, mais l’accès au savoir. Et puis, seconde cause du problème : les défaites de la laïcité. La loi Debré de décembre 1959, qui organise le financement public d’écoles privées religieuses, est une loi anti laïque. Elle détourne l’argent public vers des intérêts privés. Elle a été aggravée par la loi Carle de 2009. Autre recul de la laïcité : la neutralité nécessaire de l’école. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, vient de déclarer que les accompagnatrices de sorties scolaires n’étaient pas tenues d’observer une neutralité vestimentaire. C’est une erreur.

Pour quelles raisons ?

Si l’on considère que les sorties scolaires font partie de l’enseignement, les accompagnateurs doivent être soumis aux mêmes règles déontologiques que les personnels de l’Education nationale. Imagine-t-on un accompagnateur scolaire qui viendrait revêtu d’un tee-shirt sur lequel serait écrit « Dieu n’existe pas » ? Non. Alors il en va de même pour toute tenue religieuse. Et puis, il y a des choses incompréhensibles. Quand Vincent Peillon ministre de l’Education a fait la réforme des rythmes scolaires, il a étendu aux activités périscolaires les financements de la loi Debré. Une étrange façon d’honorer la Charte de la laïcité ! De façon inintelligible, il a dispensé les écoles privées religieuses sous contrat de l’application des nouveaux rythmes scolaires. Quant aux élus qui contournent la loi de séparation laïque de 1905, en finançant indirectement les religions, ils violent la laïcité qu’ils prétendent pourtant défendre.

Ce qui va mal également pour la laïcité, c’est le non respect du principe de neutralité par les plus hautes autorités de la République. Deux exemples : Nicolas Sarkozy dans son discours du Latran, en 2007, avait osé dire que la République avait besoin de croyants, ce qui était très discriminatoire à l’égard des athées et des agnostiques. Que dirait-on d’un enseignant qui entrerait dans sa classe en déclarant que l’école a besoin de croyants, ou d’athées ? Récemment, en avril dernier, Manuel Valls, premier Ministre, s’est rendu au Vatican, en voyage officiel et donc aux frais de la République, pour assister à deux béatifications papales. C’était pourtant un événement purement religieux, qui n’a rien avoir avec des relations diplomatiques entre Etats !

En quel sens la laïcité ne peut-elle pas être dite antireligieuse ?

La confusion entre laïcité et démarche antireligieuse est un contre-sens encore trop fréquent. La laïcité n’a jamais été hostile à la religion ! D’ailleurs, elle a été parfois portée par des croyants, comme Victor Hugo, par exemple. On lui doit la célèbre formule « Je veux l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle ». Lors des débats auxquels je participe, je suis souvent stupéfait que des personnes m’attribuent une hostilité farouche à la religion. Ma position est pourtant simple : la religion est libre, mais elle n’engage que ceux qui croient. De même, l’humanisme athée est libre mais il n’engage que les athées. La République se doit d’être neutre et de traiter à égalité les divers croyants, les athées et les agnostiques. Cela interdit les privilèges publics de la religion, les financements publics d’écoles privées religieuses, les privilèges concordataires qui existent encore en Alsace-Moselle. Beaucoup de religieux cultivent leur foi de façon désintéressée. Ils considèrent même que la laïcité est une bonne chose puisqu’elle conduit la religion à se recentrer sur sa démarche spirituelle et à abandonner toute volonté de domination sur la sphère temporelle.

Que pensez-vous des référents laïcité qui ont été nommés dans chaque académie pour former les équipes éducatives ?

L’idée est bonne, mais tout dépend du choix de ces référents. Si l’on choisit des partisans de la laïcité dite « ouverte », c’est-à-dire qui prétendraient que la laïcité est fermée et qu’il faut l’ouvrir, ce n’est pas une bonne chose. Je suis favorable à ce que l’on dispense une formation à la laïcité à tous les enseignants. Il faut que dans les ESPE, il y ait des modules laïcité pour expliquer que dans l’école de la République, on doit respecter des règles. Et notamment celle d’éviter tout prosélytisme religieux ou athée. La République confie ses enfants à des enseignants qui se doivent de les former pour qu’ils deviennent des citoyens éclairés, capables de voter en connaissance de cause.

Charles Centofanti

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Categories: Laïcité