PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Centre Alain SAVARY – L’IFE :

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Véronique Laforets, sociologue, doctorante au laboratoire LLS (Langages, Littératures, Sociétés) de l’Université de Savoie. Texte de son intervention aux Rencontres nationales de la réussite éducative à Seyssins, le 27 novembre 2013

Sommaire

  1. Des difficultés à parler d’inégalités de traitement en éducation
  2. Et du côté de la réussite éducative ?
  3. L’articulation avec le droit commun
  4. Quel intérêt à regarder la Réussite éducative sous l’angle de l’égalité ?

Des difficultés à parler d’inégalités de traitement en éducation

Parler d’inégalités de traitement ou de discriminations dans le domaine éducatif est particulièrement difficile pour plusieurs raisons :

  • Ce sont des discriminations qui s’entremêlent avec d’autres, celles de l’emploi, du logement par exemple.
  • Ce sont des discriminations principalement systémiques, co-produites, intégrées… D’où une vraie difficulté à les identifier, les saisir.
  • Contrairement au champ de l’emploi ou du logement, on ne peut pas suspecter les éducateurs ou les travailleurs sociaux de vouloir tirer profit des discriminations qu’ils seraient susceptibles de produire ou d’entretenir : des discriminations sans mobile, c’est difficile à concevoir.
  • Les acteurs éducatifs sont la plupart du temps portés par un idéal républicain. Leur action est sous-tendue par un souci d’égalité et imaginer contribuer à quelque discrimination que ce soit leur est une idée d’une grande violence.

Ces raisons ne sont pas étrangères au fait que l’inégalité de traitement et les discriminations ont été très peu travaillées dans le domaine éducatif. Elles commencent à l’être dans l’école. Mais aborder le sujet en dehors de l’école est d’une grande complexité, car on a affaire à un monde diffus d’organisations, d’institutions, de perspectives, de temps, d’activités, de publics, de contenus… De surcroît, on est aussi embarrassé par une idée assez partagée selon laquelle les temps non scolaires ont une fonction réparatrice de ce qui se joue à l’école.

Combien de projets éducatifs locaux ont pour objectif de lutter contre les inégalités, objectif qui peut s’entendre comme une volonté d’aider l’école, mais qui s’interprète aussi assez souvent comme une nécessité de contrebalancer ce qui se vit à l’intérieur de l’école. Et se poser en réparateur, c’est dans le même temps s’exonérer de tout examen en termes de justice des systèmes et des pratiques en dehors de l’école. Or, rien ne garantit a priori que l’on soit plus juste dehors que dedans. La seule manière de s’en assurer, c’est d’observer non pas les intentions, mais les pratiques réelles, dans leur plus simple quotidienneté.

Et du côté de la réussite éducative ?

A la question de savoir si la réussite éducative produit de l’égalité, on serait tenté dans un premier temps de dire « peut-être que oui » à lire différents travaux.

Plusieurs travaux ont en effet mis en évidence la capacité de la réussite éducative à entretenir des relations de confiance avec les familles. Il a été montré par plusieurs évaluations que les professionnels mobilisés sur ce programme ont des relations bienveillantes, et semble-t-il, assez égalitaires avec les familles, et d’ailleurs, celles-ci ne s’y trompent pas car très peu décrochent de la réussite éducative. On sait aujourd’hui la capacité du dispositif à faire du lien entre les familles précaires, isolées, malmenées par la vie, en difficulté, et les institutions éducatives.

On serait aussi tenté de dire « peut-être que oui » à regarder les professionnels agir, se poser des questions, cultiver « le doute salutaire » face à chaque situation d’enfant. Leur souci constant, leur acharnement parfois à mobiliser le droit commun, à faire en sorte que les enfants pris en charge ne soient pas considérés comme des cas, mais soient le plus souvent possible pris en charge par les espaces éducatifs ordinaires, dans des clubs sportifs, activités culturelles, structures collectives de quartier, qu’ils aient accès aux soins lorsque cela s’avère nécessaire.

On serait encore tenté de dire oui, compte tenu des fondements même de la réussite éducative. Si travailler avec des partenaires peut être lourd et les collaborations se faire par des chemins tortueux voire conflictuels, le fait de partager des points de vue entre professionnels d’horizons différents permet sans aucun doute une certaine objectivation des situations, d’ajuster les subjectivités, modérer les préconçus, même si, comme l’a dit Françoise Lorcerie, les fonctionnements collectifs ne garantissent pas tout.

Un dernier point qui s’attache au fondement de la réussite éducative et qui peut être un excellent moyen de travailler l’égalité, c’est qu’elle oblige à regarder ce qui se passe concrètement pour les enfants et les familles. Avec la réussite éducative, on échappe nécessairement au piège des intentions généralistes comme la citoyenneté ou le respect des rythmes. L’élaboration des parcours oblige à un regard sur le quotidien et la réalité. Pour fonctionner, et même pour exister, la réussite éducative a les yeux rivés sur les pratiques. Elle représente donc un outil performant pour voir, repérer la manière dont les institutions et les professionnels en charge d’éducation traitent les enfants et les familles.

Toutefois à la question « Est-ce que la réussite éducative produit de l’égalité ou de l’inégalité ? », une autre réponse pourrait être « faut voir ».

S’il est difficile de saisir les discriminations dans l’éducation puisqu’elles sont toujours tissées dans des systèmes d’acteurs et dans des chaînes de décision, on sait par contre que les ruptures d’égalité sont particulièrement repérables dans tous les processus d’orientation, de décision, d’accueil, d’information, de choix. Pour la réussite éducative, c’est donc tout particulièrement interroger la manière dont les enfants entrent et sortent du programme, regarder comment se construisent les parcours, leur contenu, et observer comment les parcours, et plus généralement le programme s’articulent avec le droit commun.

Pour ce qui est des entrées et fin de parcours, tout le monde s’accorde pour dire que les critères convoqués pour juger si un enfant relève ou non de la réussite éducative sont flous, et, mis à part les résultats scolaires, bien souvent subjectifs. Il ne s’agit pas de s’en offusquer ou de s’en lamenter. Si la réussite éducative tourne, si elle est capable de réactivité, c’est bien parce qu’elle mobilise la subjectivité des personnes, et que les professionnels mettent eu jeu de l’humain dans leur travail, qu’ils ne se contentent pas de cocher des cases sur tel ou tel tableur informatique.

Mais on peut au moins considérer qu’il ne s’agit pas de sciences exactes, et qu’à ce titre, ces subjectivités peuvent être regardées et questionnées. Comment se jouent les représentations des uns et des autres, de tel ou tel partenaire, de chacun des professionnels, de celui ou celle qui renseigne la fiche de saisine, de celui ou celle qui rencontre la famille la première fois ? Sur quelle sensibilité, sur quel système de représentation se fonde la rencontre entre une situation singulière et un programme public ? Question d’autant plus importante que si la réussite est peu normée, elle est pourtant très normative. Et quand on note qu’une proportion importante de prises en charge est justifiée par des problèmes de comportement, comment ne pas penser que derrière ces difficultés de comportement se trouve aussi le seuil de tolérance des éducateurs ?

Quant aux critères de sortie, ils sont encore plus flous, puisque les sorties de parcours ne sont que rarement discutées en équipes pluridisciplinaires, contrairement aux entrées qui le sont systématiquement. Les professionnels disent facilement qu’ils constatent qu’un parcours s’est arrêté plus qu’ils ne l’arrêtent… « Les parcours ne se terminent pas, ils s’effilochent… » disait récemment un coordonnateur dans un groupe de travail. Mais comment être certain que l’on « tient » la relation aussi efficacement avec toutes les familles ? Et, dans la mesure où la poursuite des parcours est très souvent conditionnée par la mobilisation des parents autour de la situation de leur enfant, comment juge-t-on que la famille s’est mobilisée ? On peut légitimement penser que certaines d’entre elles sont mieux outillées que d’autres pour donner le change d’une coopération aux professionnels.

Objectiver les entrées et les de sorties de parcours va rapidement devenir une condition de crédibilité pour la réussite éducative. D’une part parce que les demandes de prises en charge dépassent la capacité des équipes sur bien des sites. Mais également parce qu’une pression gestionnaire se fait sentir dans certains départements : on calcule le nombre moyen de suivis par référent, le coût moyen ou la durée moyenne des parcours… Quels sont dès lors les critères qui président les entrées et les sorties des parcours ? Comment construit-on les priorités ?

Observer avec ce même souci les contenus des parcours, les formes de communication en direction des familles ou les outils de suivi serait également fécond. 

L’articulation avec le droit commun

Réfléchir à l’égalité de traitement dans la réussite éducative, c’est bien évidemment observer son fonctionnement "interne", mais c’est aussi considérer comment elle s’articule au droit commun.

On sait que ce programme a été et est encore un formidable outil pour éclairer les failles du droit commun, les manques, les trous, les dysfonctionnements. Chaque fois qu’un enfant est pris ou repris en charge par une institution, cela est considéré comme un succès par les équipes. Mais ces difficultés, même lorsqu’elles sont surmontées par les professionnels, demandent à être regardées sous l’angle de l’égalité de traitement dans un système global.

Si l’on pense bien souvent au droit commun à propos de l’école et des conseils généraux, le travail est encore plus ardu avec les espaces éducatifs gérés par les collectivités et les associations, parce que les coordonnateurs et les référents sont pris là dans les jeux de leur propre cadre de travail. Il ne s’agit plus de pointer d’éventuelles responsabilités extérieures, mais d’aller en discuter avec les collègues du bureau d’à côté ou avec sa propre hiérarchie.

Quelques illustrations. De nombreux programmes contribuent à renforcer l’encadrement de restaurants scolaires ou de centres de loisirs. De manière moins fréquente, l’encadrement de centres de vacances, des accueils en ludothèque, etc. Ce renfort se fait par la mise à disposition de personnels supplémentaires. Le plus souvent un référent du PRE participe à l’encadrement des structures fréquentées, ou susceptibles d’être fréquentées, par les enfants de la réussite éducative. Pour le dire vite, il s’agit de permettre à des équipes, pas suffisamment calibrées ni outillées d’accueillir des enfants « en fragilité ». Il y a un intérêt indéniable : permettre à ces enfants des temps sociaux, leur donner l’occasion de pratiquer des activités auxquelles ils n’auraient pas eu accès, de rencontrer des adultes et d’autres enfants, de fréquenter des espaces éducatifs qui leur étaient jusque-là inaccessibles. Mais la question est de savoir jusqu’à quand ?

Est-ce un coup de pouce ponctuel, dans le cadre d’une prise en charge ciblée ? Ou bien est-ce une prise en compte à long terme par la réussite éducative de l’incapacité du droit commun à accueillir tous les publics ? De ce point de vue, la pente est glissante. On a par exemple vu des familles se voir refuser une inscription au centre de loisirs, alors que le coût en avait été intégralement pris en charge par la réussite éducative. Elles ne savaient pas ce que d’autres parents savaient bien : la nécessité d’arriver largement avant l’heure d’ouverture du bureau des inscriptions pour faire la queue, le nombre de places étant toujours inférieur à la demande. Arrivés dans les créneaux horaires officiels, ces parents n’ont pas pu inscrire leurs enfants. Au-delà de l’exemple, combien d’activités sont inaccessibles aux enfants du fait d’un coût d’accès en termes culturels trop élevé pour des familles qui ne parlent pas la langue, qui travaillent en horaires décalés, ou simplement qui n’ont pas un rapport aisé au temps, aux institutions, et aux aspects administratifs. Combien de structures également exigent des enfants des pré-requis en termes de savoir-être pour accéder à des activités officiellement ouvertes à tous ?

Combler ponctuellement le droit commun, parce qu’il y a urgence dans telle ou telle situation, ou bien parce que l’on veut attirer l’attention sur un manque, demande à ce que dans le même temps la carence soit nommée, et traitée, au niveau technique, mais aussi au niveau politique. Lorsque la réussite éducative comble sans nommer et faire remonter ce qu’elle constate, elle contribue de fait à relayer, cautionner des inégalités de traitement sur un territoire. Et c’est probablement une des plus grandes difficultés des professionnels et des élus en charge de ce programme : agir pour que le droit commun soit plus juste.

Quel intérêt à regarder la Réussite éducative sous l’angle de l’égalité ?

On peut voir là deux raisons :

  • La première est que, précisément, l’égalité est en quelque sorte le fond de commerce de la réussite éducative, et qu’il importe d’être le plus clair possible sur ces questions, de travailler les points qui pourraient s’avérer fragiles, d’identifier les zones de fonctionnement qui nécessiteraient d’être améliorées. Il importe aussi de savoir en parler, pour construire des argumentaires à l’interne et auprès des partenaires.
  • La seconde raison concerne les acteurs de la réussite éducative, qui sont au front de la misère sociale et des conséquences en termes éducatifs du contexte économique et politique. Ils se doivent non seulement de « tenir » face aux familles et aux enfants, mais également de ne pas se perdre. Et lorsqu’on en est à savoir quels pauvres seront prioritaires parmi les pauvres, s’accrocher collectivement à la boussole de l’égalité représente sans doute un bon moyen de rester vigilant sur le sens de son investissement. C’est également ce qui permet de comprendre les fuites, les désaffections, éventuellement les violences ou les sabotages, et le non recours de la part des familles. C’est ce qui permet aussi de mesurer les conséquences des organisations professionnelles, et notamment les conséquences des conditions d’emploi précaires souvent faites aux intervenants.

Il n’existe pour le moment pas de recherches sur les questions d’égalité de traitement dans la réussite éducative. Et c’est certainement un chantier important à ouvrir.

 

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