PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Pour François Dubet, sociologue, la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem est allée, avec sa réforme du collège présentée mercredi 11 mars, « aussi loin qu’elle le pouvait ».

Mais son projet ne permet pas d’en finir avec un collège conçu sur le seul modèle du lycée général, alors qu’il accueille tous les jeunes jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.

« La Croix » ?: Que pensez-vous du futur collège??

 François Dubet?: Je suis tenté de défendre ce projet. Il met en cohérence et simplifie des programmes d’une ambition jusqu’ici invraisemblable, sans commune mesure avec le niveau des élèves. De plus, partant du constat que l’enseignement « traditionnel » bénéficie surtout aux bons élèves, il réserve 20 % des heures de cours pour de l’accompagnement personnalisé, des travaux en petits groupes et des projets interdisciplinaires.

Mieux ?: ce sont les équipes qui décideront de la forme à donner à ces temps pédagogiques différents, en tenant compte des spécificités de leur établissement. Cela peut contribuer à motiver les élèves. Même s’il n’y a là rien de vraiment révolutionnaire, c’est un début de rupture avec une logique purement disciplinaire.

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La dégradation des résultats des collégiens n’exigeait-elle pas des mesures plus ambitieuses??

 F.D.?: La ministre est allée aussi loin qu’elle le pouvait sans prendre le risque d’une guerre civile dans le monde de l’éducation. Si on raisonne en laboratoire, sans tenir compte du contexte, on peut se dire qu’il aurait fallu revoir le mode d’affectation des enseignants. Car basé sur une logique de points et d’ancienneté, il empêche la constitution d’équipes homogènes, stables et réunies autour d’un même projet, un facteur essentiel de réussite.

De même, dans un collège idéal, les professeurs considéreraient que leur travail consiste à la fois à instruire et à éduquer, à recevoir les parents et à porter une grande attention aux élèves, à passer – comme cela se fait dans beaucoup de pays, moyennant de meilleurs salaires – 25 ou 30 heures par semaine dans leur établissement, au lieu de s’en tenir à leurs 15 ou 18 heures de cours.

Cette réforme corrige-t-elle malgré tout les principaux défauts du collège unique??

 F.D.?: Si elles se saisissent de la marge de manœuvre supplémentaire accordée, les équipes pourront, dans un cadre commun, s’adapter davantage aux différents profils des élèves. Mais cette réforme ne résoudra pas la contradiction au cœur du collège unique.

À sa création, il y a quarante ans, on a décidé que tous les élèves suivraient un même parcours jusqu’à la 3e. On a donc prolongé la logique de l’école primaire jusqu’au terme de la scolarité obligatoire. Mais on a conçu ce collège comme le premier cycle du lycée « classique », avec des enseignants qui passent le même concours, le Capes, et appartiennent au même corps… Cette réforme n’y change pas grand-chose?: le collège restera un monstre pédagogique.

Cette logique de « corps » est-elle un obstacle majeur à toute évolution??

 F.D.?: Sans aucun doute. On vient par exemple de créer un cycle CM1-CM2-6e pour une meilleure continuité entre primaire et collège. La logique voudrait que des professeurs du premier degré interviennent au collège et inversement. Mais l’idée se heurte aux résistances syndicales.

De même, il faudrait que tous les collégiens suivent une part d’enseignements professionnels. Cela permettrait notamment de motiver ceux qui ne pourront poursuivre en lycée général ou technologique. Or beaucoup d’enseignants de collège ne veulent pas voir des professeurs de lycée pro, qui appartiennent à un autre corps, intervenir dans leurs établissements. Ce serait, considèrent-ils, dégrader leur propre métier…

Régulièrement, la droite propose d’en finir avec le collège unique. Pourquoi ne s’y est-elle jamais attaquée??

 F. D.?: Parce que les obstacles paraissent infranchissables. Nombre de professeurs sont d’accord pour séparer plus tôt les « bons » des « mauvais » élèves. Mais le collège unique retrouve grâce à leurs yeux dès lors qu’on leur demande qui, parmi eux, s’occupera des « mauvais »… Quant aux parents, beaucoup se sentiraient trahis si on leur disait – comme en Allemagne, où l’orientation est précoce – qu’à partir de douze ans, leur enfant ne pourra plus échapper à son destin.

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De plus, le système actuel, très inégalitaire, n’est pas sans arranger certaines familles qui, par le biais des options et des classes « européennes », parviennent à créer un entre-soi social et scolaire. Il me paraît d’ailleurs heureux que la réforme, en généralisant l’apprentissage d’une deuxième langue dès la 5e et en proposant à tous de mener des projets interdisciplinaires permettant une forme d’excellence (notamment autour des langues, vivantes et mortes), prive ces sortes de filières cachées, très coûteuses, de leur raison d’être.

Recueilli par DENIS PEIRON

 
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