PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Revue de l’Association Française des Acteurs de l’Éducation – Administration & Education – sommaire du n°132 de décembre 2011 :

Accéder au site source de notre article.


À partir de l’enquête PISA 2009, l’OCDE classe la France en 33e place sur 34 pays suivant le critère des inégalités scolaires. Danielle Zay rappelle que « les caractéristiques du milieu familial expliquent à elles seules 28 % des performances scolaires ». Il n’est donc pas trop fort de dire que le système éducatif français est confronté à un véritable défi de l’inclusion. Le thème de ce numéro, coordonné par Martine Caraglio et Yannick Tenne, s’est imposé d’évidence.

Le constat dressé dans ces pages argumente la thèse d’une école française qui exclut. Ainsi les coordonnateurs écrivent qu’« avant d’envisager une quelconque ascension [vers une meilleure inclusion], l’institution se doit d’abord désormais d’éviter l’exclusion sociale de certaines catégories d’élèves » et des contributeurs n’hésitent pas à employer le terme « ségréguer ». Jean-Charles Huchet décrit la « loi d’airain du système éducatif français qui transforme la différence en difficulté, la difficulté en exclusion » et dénonce « cette culture qui confie à l’externe et à un spécialiste le traitement de la différence ravalée au rang de difficulté », alors que Jacqueline Costa-Lascoux et Anne Rebeyrol constatent que « pour ceux qui en sont victimes, en effet, les conséquences sont lourdes : solitude, phobie scolaire, troubles de l’estime de soi, absentéisme plus fréquent, résultats scolaires en baisse sensible, dépression, voire tentative de suicide ». Anne Armand appelle à « la prise en compte d’un "individu" » et Bernard Gossot et Claudie Rault affirment que « le processus d’inclusion suppose l’apport de réponses là où sont les élèves plutôt que le déplacement des élèves là où sont les réponses ».

L’inclusion scolaire est doublement liée à l’inclusion sociale. Si le milieu familial influe sur les résultats scolaires et que la composition des promotions des grandes écoles montre la place prépondérante qu’y prennent les catégories socioprofessionnelles favorisées, l’École contribue à définir les conditions de l’inclusion dans la société. Certains en font le principal levier d’une société plus inclusive. Ainsi l’UNESCO tenait en 2008 une conférence baptisée « L’éducation pour l’inclusion : la voie de l’avenir » et Malika Sorel-Sutter affirme que l’engagement de l’école est de « tout faire pour intéresser et impliquer ses élèves [et] ne doit pas la conduire à créer elle-même les conditions qui rendront impossible leur insertion au sein de notre société ». Il en ressort un ambitieux programme résumé par Jean-Paul Delevoye : « Construire une société plus juste, plus heureuse, plus viable » tout en gardant à l’esprit la remarque de Bernard Gossot et Claudie Rault : « La société ne peut assigner à l’école une mission que celle-ci ne saurait remplir seule. »

La loi du 11 février 2005 sur le handicap et la mise en place des programmes CLAIR puis ÉCLAIR ont centré en France l’attention sur ces aspects de l’inclusion. La définition donnée dès 1994 par la déclaration de Salamanque est beaucoup plus large en indiquant que « loin d’être une question marginale, à savoir : comment intégrer certains apprenants dans l’enseignement général, la démarche de l’éducation inclusive consiste à chercher comment transformer les systèmes éducatifs et les autres cadres d’apprentissage pour les adapter à la diversité des apprenants ». Par exemple, Danielle Zay et Jean-Charles Huchet considèrent séparément que le redoublement est une première forme d’exclusion.

Il faut alors s’interroger sur les contraintes, en particulier financières, de la mise en œuvre d’une École plus inclusive. L’UNESCO nous rassure en constatant « [qu’] il est moins coûteux de créer et gérer des écoles qui éduquent tous les enfants ensemble que de mettre sur pied un système complexe de différents types d’écoles spécialisées pour différents groupes d’enfants ». Au contraire, il apparaît que l’éducation inclusive « a pour objet de permettre tant aux enseignants qu’aux apprenants de se sentir à l’aise avec la diversité et d’y voir un défi et un enrichissement pour l’environnement d’apprentissage plutôt qu’un problème » quand Marc Bablet constate que les regroupements peuvent être « explosifs » et engendrer des coûts très importants pour des effets aléatoires. Bref, même si Danielle Zay remarque « [qu’] aucun système ne peut être totalement inclusif », aller vers école inclusive anticipatrice d’une société inclusive peut se faire sans perte de qualité et même être l’occasion d’une efficacité nouvelle.

La loi, en rappelant le droit à l’éducation de personnes en situation particulière crée donc l’amorce d’une évolution beaucoup plus large du système éducatif. Mais les coordonnateurs du numéro constatent que « proclamer le droit est une chose, le traduire en actes en est une autre ». Ainsi, Anne Armand observe que « les ZEP ne sont plus les laboratoires d’innovation pédagogique qu’elles ont été à leurs débuts » ou que « la formation des enseignants pour les lieux de la plus grande difficulté scolaire est à inventer ». La question de la formation des intervenants adultes revient dans de nombreux articles de ce numéro. Pour Bernard Gossot et Claudie Rault, « autant qu’une aide à l’élève, il leur [les cadres] revient d’apporter assistance et conseils aux équipes pédagogiques », quand Jean-Pierre Liégeois remarque « [qu’] un enseignant bien formé saura accueillir des élèves d’origines culturelles diversifiées, même s’il ne dispose pas d’un matériel pédagogique ou didactique totalement adapté, alors que l’inverse n’est pas vrai » et que Suzanne Guillemette, Louise Simon et Lorraine Savoie-Zajc constatent qu’il est nécessaire « [d’] investir dans le développement professionnel des intervenantes ou des intervenants » car suivant Jacqueline Costa-Lascoux et Anne Rebeyrol « cette formation de tous les adultes est une des conditions de la prévention ».

Derrière les compétences et les engagements individuels des adultes, le rôle des chefs d’établissement est central. En effet, Jean-Charles Huchet attire l’attention sur le risque que pour ces questions, « le "militant" (toutes sensibilités confondues) prend le pas sur le "professionnel", la conviction sur le "métier" » alors que Françoise Lorcerie rappelle que « l’inspection déplore que l’engagement personnel des enseignants leur serve de boussole » quand Suzanne Guillemette, Louise Simon et Lorraine Savoie-Zajc notent que la direction « prend peu le temps d’analyser les profils des intervenantes et intervenants qui oeuvrent au sein de l’établissement » et appellent à une « gestion différenciée de l’activité éducative ».

La première partie du numéro pose la question d’une école inclusive dans le cadre d’une société inclusive, ou non. Jean-Paul Delevoye, revient sur son rapport de Médiateur de la République et plaide pour « être beaucoup moins normatifs », Malika Sorel-Sutter du Haut conseil à l’intégration et Marie Duru-Bellat apportent leurs éclairages. La seconde attire l’attention sur « la tension [qui] est alors inévitable entre la vocation d’intégration de l’école et son rôle de classement » et remarque que le « rapport de pouvoir entre les groupes produit, du côté des dominants une vision d’eux-mêmes comme uniques, originaux et également un individualisme », ce qui peut conduire à mettre en avant « l’égalité des chances plutôt que l’égalité ».

La deuxième partie interroge les systèmes éducatifs tant européens par Danielle Zay que français par Anne Armand pour les RAR et les ÉCLAIR et Jean-Charles Huchet. Anne Armand constate qu’il faut « passer d’intervenir après à intervenir avant, pendant et après ». La troisième partie est consacrée au pilotage d’un département par Marc Bablet, au retour de la recherche menée sur les établissements québécois par Suzanne Guillemette, Louise Simon et Lorraine Savoie-Zajc et au pilotage d’établissements français dans la perspective d’une école inclusive par Guy Soudjian.

La dernière partie illustre l’inclusion à travers des situations particulières. Françoise Lorcerie s’intéresse aux primo-arrivants pour lesquels la France figure au 21e rang sur 31 pays classés. Elle attire l’attention sur les catégories dont « le bon usage est celui dans lequel les catégories sont des outils pour objectiver les problèmes d’exclusion et tester des solutions ». Jean-Pierre Liégeois observe l’intégration des Roms, Annie Porcher et Philippe Naudy les dispositifs relais et Isabelle Bourhis l’accès des filles aux filières scientifiques. Jacqueline Costa-Lascoux et Anne Rebeyrol reviennent sur leur rapport sur les discriminations en rappelant le « bien-être des élèves comme condition de leur réussite » avant que Bernard Gossot et Claudie Rault ne s’intéressent aux élèves en situation de handicap, celui-ci « devient une construction sociale », en indiquant la « permanence d’un potentiel d’éducabilité ».

Potentiel dont on peut affirmer sans risque de se tromper que la permanence concerne la diversité des apprenants. Les notes de lecture sur les ouvrages de Jean-Pierre Obin Être enseignant aujourd’hui ou Alain Marchive Un collège ambition réussite, présentées dans ce numéro, nous confortent dans cette position. L’École face au défi de l’inclusion est sans discussion une question centrale de notre société aujourd’hui. Devant des indicateurs qui ne peuvent que lever une saine inquiétude, nous espérons par ce numéro apporter une contribution à la réflexion et à l’action sur un sujet qui demande la prise de conscience et la mobilisation de tous.

Paul QUÉNET
Rédacteur en chef

Print Friendly

Répondre