PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Expresso – Le Café Pédagogique – le 13 juin 2013 :

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Peut-on dégeler le mammouth ? A quelles conditions l’Ecole peut-elle changer ? Voilà une question que beaucoup de ministres, et peut-être Vincent Peillon, se sont posés. Mais le mercredi 12 juin, c’est l’IREA qui interrogeait l’historien de l’éducation Antoine Prost sur cette question. Avant de basculer sur un sujet de polémique : comment refonder l’autorité.  François Jacquet-Francillon (Lille 3) et Anne-Marie Chartier (Paris Nanterre) ont tenté une réponse.

L’administration peut-elle avoir envie de réforme ?

Après une ouverture des travaux par Jean-Luc Villeneuve, président de l’IREA, Antoine Prost a rappelé quelques éléments historiques sur les réformes de l’école depuis Jean Zay pour en faire une typologie et poser des conditions de réussite. Il a tout d’abord défini la réforme comme un « changement voulu et important ». Car il faut qu’elle soit voulue par l’autorité responsable pour qu’elle réussisse. Selon lui, cela a été le cas de la réforme de l’école primaire ou de la réforme Debré mais pas de la réforme Fillon. C’est pourquoi, pour Antoine Prost, les réformes faites dans la discrétion, par décret voire par circulaire, ont plus de chance de réussir que celles qui sont faites par des lois « bavardes », ainsi que les nomme le Conseil d’Etat.

"L’administration doit avoir envie de faire une réforme et doit la porter pour qu’elle réussisse". Antoine Prost cite en exemple la réforme du baccalauréat professionnel dans les années 1980 ou celle des ZEP. Mais, si l‘administration « boude », c’est l’échec assuré, ce qui a été le cas de la réforme des classes nouvelles, du socle commun ou du livret de compétences. Ce qui aggrave tout c’est que, ainsi qu’il l’a souligné, " l’administration ne parle pas toujours d’une seule voix".

Commissions extincteurs et commissions animation…

Antoine Prost a évoqué d’autres acteurs des réformes. Par exemple les décideurs, avec une alternance politique droite/gauche qui n’est pas sans poser problème. Ou encore les commissions, dont les objectifs réels ne sont pas toujours ceux qui sont annoncés. A. Prost fait ainsi la différence entre les commissions « extincteurs », les commissions « audit-experts », les commissions « négociation » (avec les syndicats ou les parents d’élèves), et les commissions « animation », ces seules dernières ayant pour objectif de faire bouger les choses.

Autres acteurs, les réformateurs que sont les mouvements pédagogiques qui sont mal vus par l’administration parce trop réformateurs, ou les intermédiaires, tel l’INRP, qui seraient aujourd’hui aphones ou inexistants.

Les syndicats et la pédagogie…

Enfin, il y a les syndicats qui " se conçoivent généralement en contre-pouvoir au service de la défense exclusive des intérêts professionnels de leurs adhérents ", alors que, selon lui, leurs adhérents seraient plutôt pour la défense du service public de l’Education. Mais il a nuancé son propos en faisant remarquer qu’il était plus important "de surveiller ce que les syndicats faisaient plutôt que de prêter attention à ce qu’ils disent… "

Antoine Prost conclue son intervention en constatant que selon lui " toutes les reformes sont possibles dans l’Education nationale sauf celles qui portent sur la pédagogie". D’une part parce que l’administration n’est pas une administration de mission mais une administration de gestion, d’autre part parce une telle réforme touche trop à "l’estime de soi" des enseignants, de quelque niveau qu’ils soient.

Refonder l’autorité ?

La matinée s’est poursuivie par une table ronde sur un sujet brulant dans l’Education nationale : refonder l’autorité. François Jacquet-Francillon a défini les composantes de l’autorité avant de constater qu’elle évoluait dans un contexte de relations inter-générationnelles. L’autorité est selon F. Jacquet-Francillon constituée de trois composantes :

– L’autorité du « savant » qui s’impose par la légitimité de la culture qu’il transmet, légitimité qui peut varier selon la légitimité du savoir ou de la matière en cause.

– L’autorité du « chef », qui prescrit les comportements dans le groupe et qui est basée sur des valeurs communes à ce groupe, ou du moins réputées communes à ce groupe. Et F. Jacquet-Francillon de constater que « si les valeurs morales sur lesquelles repose la prescription des comportements ne sont pas reconnues, la prescription ne peut pas l’être. »

– Enfin, l’autorité du « juge », c’est-à-dire l’autorité de l’évaluateur, qui dans un contexte de « diplômite » aigue se substitue de plus en plus à l’autorité du « chef » tout en étant non moins remise en cause.

Le professeur Jacquet-Francillon a conclu que l’autorité était avant tout une « croyance » partagée en des valeurs et qu’il était " normal que des familles et des élèves la remettent en cause quand ils ne croient plus en ces valeurs."

Anne-Marie Chartier a évoqué le fait que "le jugement par l‘évaluation est souvent pris comme un jugement sur la personne ". Elle a appelé à une autorité adoucie dans ce domaine. En effet, selon elle, les problèmes d’autorité surviennent dans les grandes structures rigides dans lesquelles chacun est à sa place sans avoir sa place. Elle a souligné que les actes de violences étaient très limités dans les écoles « alternatives », qui ne " sont pas des écoles du laisser faire", parce qu’elles sont "un univers paisible dans lequel temps et modalités d’évaluations sont différents, plus personnels, plus respectueux de l‘élève".

 

F. Jacquet-Francillon a alors rebondi sur cette intervention pour constater que d’une manière générale l’épanouissement personnel prenait le pas sur le comportement de groupe. Il a replacé cela dans l’évolution de deux cultures scolaires. Il y a " celle qui limite les matières enseignées mais qui les approfondit par un processus quasi initiatique dans le but de faire des individus différents du reste de la société » (Ecoles Jésuites)" et celle qui multiplie les matières enseignées, qui ouvre la culture afin de mettre fin aux barrières sociales et scolaire dans le but d’uniformiser la société. Or, a-t-il remarqué, "cette deuxième culture scolaire tend à faire des enseignants les semblables de leur élèves ce qui entraîne la perte de leur autorité".

Voilà une affirmation reprise et confirmée par la salle. Mais alors comment arriver à refonder l’autorité ? Voilà encore une question qui se pose au titulaire de la rue de Grenelle…

Laurent Piau

 

Le programme du colloque

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