PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Les environnements numériques de travail (ENT), surtout portés par les collectivités, sont l’objet de vives tensions en Ile-de-France. Un exemple qui pourrait entraîner une vague d’appels d’offres partout en France.

Ce fut une rentrée sans incident majeur pour l’ENT « Lilie », l’environnement numérique de travail de la région Ile-de-France, après plusieurs années d’échecs et de tâtonnements. Le développement de cette plate-forme open source pour tous les lycées d’Ile-de-France a été confié en 2009 à la société Logica, rachetée en 2011 par le canadien CGI, dans le cadre du plus important marché public jamais réalisé dans ce secteur : 17,7 millions d’euros sur six ans, pour 475 lycées. « Quatre fois le prix du marché de 2009 », s’étonne un concurrent. Cinq ans plus tard, moins de 20 % des lycées franciliens bénéficient de ce service. Une situation préoccupante, dénoncée par le syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN.

Le temps de l’enquête

Au printemps 2013, le syndicat publie une enquête faisant état de 90 % d’insatisfaction chez les lycées utilisateurs de l’ENT. « Les usagers se sont retrouvés confrontés à des problèmes de lenteur, ou à des difficultés pour accéder à certaines applications. Il était par exemple impossible de joindre un document dans les mails… Les choix techniques opérés ne correspondaient pas toujours aux besoins des utilisateurs. Toutes ces difficultés ont fini par décourager les établissements de se lancer dans le projet », détaille Bruno Bobkiewicz, proviseur du lycée Paul-Eluard de Saint-Denis, chargé de l’enquête.

Contactée, la société CGI, signataire du marché public, reconnaît des « problèmes liés à la montée en charge du service et au nombre de lycées concernés ». « Le moment de la rentrée est souvent source d’insatisfaction et d’instabilités ponctuelles. Nous nous adaptons progressivement aux demandes des utilisateurs », justifie Pierre-Dominique Martin, vice-président secteur public et transport au sein de CGI. Il met en avant la  « co-construction » de la solution technique avec le donneur d’ordre, la région Ile-de-France, une démarche originale affichant l’ambition d’être au plus près des besoins des usagers. La société a néanmoins versé 250.000 euros de pénalités à la région pour les ratés de la rentrée 2013…

Changement de méthode

Les déboires de Lilie ont poussé la région à changer de méthode : une convention est signée avec les trois académies d’Ile-de-France pour faciliter les échanges avec l’Education nationale, et un groupe de travail associant les chefs d’établissement mis sur pied. « Nous avons obtenu que l’investissement en suivi technique de la société CGI soit suffisant, avec un nouveau chef de projet. Nous avons de notre côté nommé un responsable transversal pour que CGI ait aussi un interlocuteur de terrain », détaille Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région chargée des lycées.

Mais comment justifier auprès des utilisateurs, enseignants et chefs d’établissement un tel investissement pour des résultats plus qu’incertains ? « Nous avons opté en 2009 pour une solution chère parce que nous avions le souci d’anticiper l’évolution des usages, d’offrir un service complet et libre, que d’autres collectivités pourraient ensuite s’approprier, au-delà de l’Ile-de-France », justifie aujourd’hui Henriette Zoughebi.

Nouvelle série d’appels d’offres

Séduites par la solution open source, d’autres collectivités se sont en effet engagées dans le projet. Le Conseil général de Seine-Saint-Denis a ainsi souhaité faire bénéficier ses collèges de l’ENT Lilie. En 2010, un marché est donc signé avec la société CGI. Un an plus tard, confronté à des problèmes de lenteur et des difficultés techniques, le déploiement de l’ENT est stoppé, et le projet abandonné. Même scénario en Rhône-Alpes, qui a conclut un marché avec CGI puis l’a dénoncé au vu des difficultés techniques rencontrées.

Rhône-Alpes a depuis lancé un nouvel appel d’offres, remporté par Kosmos, société nantaise spécialisée dans les applications éducatives. La région n’est pas la seule, puisque la Seine-Saint-Denis a lancé un nouvel appel à projets auprès de ses collèges : 25 établissements y ont répondu. Ils bénéficient cette année d’une subvention de 3.048 euros du département pour s’offrir, en direct, l’ENT de leur choix. Lionel Wolman, chef de projet, évoque une  « phase transitoire » avant le lancement d’un nouvel appel d’offres en janvier. « La Région Rhône-Alpes ou la Seine-Saint-Denis se sont heurtées aux mêmes difficultés que nous. Mais elles ont choisi d’y répondre différemment. Nous voulions comprendre d’où venaient les dysfonctionnements et les résoudre. Aujourd’hui, notre outil est fiable et nous permet d’envisager les usages de l’école du XXIe siècle », assure Henriette Zoughebi. Au total, la vingtaine de millions d’euros – 17,7 millions d’investissement et 5 millions de fonctionnement – investis depuis 2009 dans Lilie représente le prix d’un lycée neuf.

Marie-Caroline Missir

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