PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Monde.Fr – le 17 février 2014 :

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L’école est aujourd’hui en mal d’identité, écartelée entre ses origines et son devenir et assaillie par les pouvoirs politiques et les mouvances de société. Mais entre drogues et violences, racisme et fascisme, comment les enfants peuvent-ils apprendre et grandir sans devenir eux aussi, violents, fascistes et racistes ?

L’évolution de la société a complètement révolutionné l’approche de l’enseignement et de l’enseignant.

Avec l’enseignement obligatoire et gratuit, la connaissance sous sa forme la plus large fut dispensée à tous. Écrire, lire, mais aussi l’apprentissage des nouveaux outils au fur et à mesure de leur découverte. L’école s’élabora, la formation des maîtres aussi et l’école devint cette institution monumentale qu’est l’Education nationale. Mais avec l’accès à l’école pour tous, la société se transforma. L’analphabétisme disparut et les petits élèves devinrent parfois de grands professeurs, des médecins, des artisans et des techniciens dont certains eurent des niveaux d’études bien supérieurs à celui de l’instituteur ou du professeur qui avait enseigné sa discipline.

De la reconnaissance passée à l’amertume d’aujourd’hui

En perdant le monopole du savoir, les enseignants perdirent aussi l’aura qui en résultait avec la reconnaissance sociale et la notoriété qui y étaient liées. Disparurent aussi, le plus souvent, les privilèges en nature comme appartement dans l’école, chauffage, etc.

Pendant très longtemps l’enseignant vécu dans une ambiguïté professionnelle qui laissait entendre qu’il enseignait par goût de la transmission et jamais par désir lucratif. Les enseignants investis de cette dimension furent enfermés dans un cocon où il n’était pas nécessaire de prouver quoi que ce soit. Ils savaient, ils transmettaient, point.

Lorsque l’école s’essouffle, les enseignants sommeillent

Vaguement assoupis dans un monde qui lui avançait à vitesse supersonique, les enseignants se retrouvent aujourd’hui au cœur d’une machinerie dont ils ne connaissent plus les mécanismes.
N’étant plus les détenteurs mythiques d’un savoir universel, n’ayant pas non plus la reconnaissance et le pouvoir liés à l’argent dans une société où l’argent est un référent positif, ils sont en quête d’une nouvelle identité sans pour autant vouloir abandonner un seul des quelques privilèges liés à leur fonction : congés scolaires et sécurité d’emploi dans un ministère public.

Entre conscience collective et profits individuels

À la jonction de l’humain et de l’économie, les enseignants sont partagés entre conscience collective et profits individuels. 1789 est loin et les idées civiques aussi. Ils ne sont plus des super héros pourfendeurs de l’ignorance, mais des hommes et des femmes pas ou peu formés pour affronter les nouvelles données sociales et économiques : immigration et barrière du langage, cultures diverses qu’ils n’approchent pas, et aucune formation ethnologique et sociologique pour les aider à comprendre.
Des hommes et des femmes amers de n’être plus considéré, furieux d’être mal rémunérés, mais toujours des éléments charnières, entre un Ministère de l’Education Nationale qui revendique des valeurs républicaines et des chances égales pour tous, alors qu’il sacrifie des milliers d’enfants au dieu argent- finance-économie en ne leur proposant pas d’enseignants bien formés, et le terrain avec les élèves où ils se doivent d’intervenir et d’appliquer les directives.

Lorsque l’enseignement est appliqué comme un dogme : la responsabilité des enseignants dans l’injustice sociale à l’école.

Les enseignants peu formés pour la sociologie et la psychologie de l’enfant et loin de la caricature généreuse de Pagnol, transportent au même titre que les élèves, leurs problèmes personnels et les problèmes de société actuels : violence, racisme, incivisme, peur de vivre, peur du chômage et même divorce. Aussi, lorsque certains d’entre eux exercent dans des quartiers et dans des classes à dominantes « immigrées », ils développent assez naturellement des racismes primaires et des rejets, se permettant à l’occasion d’un passage dans une autre classe, de décider de l’orientation professionnelle pour un élève, non pas en fonction des aptitudes de l’élève ou de son intelligence, mais en fonction de son milieu familial : Untel est d’un milieu défavorisé, il n’aura aucune chance de faire des études, alors autant le mettre sur une voie de garage d’office (attitude authentique observée personnellement).

Conséquence, des milliers d’enfants abandonnés à l’analphabétisme, mal évalués, mal dirigés et à qui d’une façon arbitraire on enlève toute possibilité de progression dans l’échelle sociale. Progression humaine et économique confondues.
Mais l’injustice et la ségrégation à l’école comme ailleurs ont toujours généré des ghettos et des violences. De la frustration et des colères. Des révolutions et parfois ces chemins de compensation où les économies parallèles prolifèrent.

La formation des enseignants

Il est impératif aujourd’hui d’apporter aux enseignants une formation autre, en plus de celle qu’ils ont et qui concerne essentiellement le contenu scolaire, et de leur donner des outils pour comprendre le monde qui les entoure, socialement, économiquement, humainement.
Peut-être alors seront-ils en mesure de transmettre l’histoire ou la géographie de la façon la plus adaptée aux élèves. Peut-être pourront-ils redonner à chaque jeune l’impression que l’école est un lieu privilégié où s’abolissent toujours les inégalités et les privilèges ; qu’à l’école tout est toujours possible et que les injustices sociales s’arrêtent à ses portes.
Et peut-être alors une chance égale sera donnée à chaque élève pour acquérir ou développer ce qui leur sera impérativement nécessaire pour devenir un jour des adultes autonomes et heureux : l’adaptabilité, la réflexion personnelle, le goût du savoir, la créativité, le civisme et la conscience de l’autre. Le respect de la vie.

Heureusement et malgré tout, il reste encore des enseignants qui s’inscrivent dans la modernité tout en préservant le désir de transmettre ces valeurs qu’ils considèrent aussi importantes que leur programme scolaire.
Ces enseignants-là sont le terreau sur lequel l’école de demain pourra développer des racines qui ne demandent peut-être qu’à grandir.

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Categories: 4.2 Société

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