PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

L’école est-elle le reflet des inégalités de la société ? A-t-elle les moyens de lutter contre ces inégalités ? Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, répond à François Lenglet. Diffusion de l’entretien sur France2, lundi 16 février à 22h55.

Et si la source des inégalités était à rechercher dès l’enfance ? L’école de la République a-t-elle des ratés ? La France est un des pays où le milieu social influence le plus la réussite scolaire. Seulement 40 % des enfants d’ouvriers non qualifiés obtiennent le bac. Est-ce la fin de l’ascenceur social ? Najat Vallaud-Belkacem répond à François Lenglet.

François Lenglet : Le Premier ministre, Manuel Valls, a récemment parlé d’un “apartheid” social et territorial, une forme de ségrégation très brutale dans notre pays. A-t-il eu raison, selon vous ?

Najat Vallaud-Belkacem : Bien sûr. Il a eu raison d’employer un mot fort pour marquer les esprits. Ce séparatisme social est très souvent évoqué, mais le sujet retombe ensuite comme un soufflé. Nous avons besoin d’une action très forte des pouvoirs publics pour casser cette ségrégation sociale et territoriale. Mais nous devons aussi remporter une bataille culturelle : les Français dans leur ensemble doivent être convaincus qu’il est de l’intérêt de tous, pas seulement de ceux qui souffrent le plus, de casser ce séparatisme. Les mots forts sont bienvenus pour cela.

Un enfant d’ouvrier a aujourd’hui dix fois moins de chances d’obtenir un diplôme bac + 5 qu’un enfant de cadre ou d’enseignant. L’école pour tous, un élément fondateur du pacte républicain, n’est-elle pas devenue un leurre ?

L’école pour tous existe. Nous avons près de 90 % d’une classe d’âge au baccalauréat. La massification de l’école est là. L’enseignement supérieur accueille de plus en plus d’étudiants, et c’est une chance. Néanmoins, c’est la démocratisation de l’école qui n’est pas tout à fait là. Le destin scolaire des enfants reste très largement tributaire de leurs origines sociales. C’est inacceptable. Vous évoquiez les chances d’obtenir un diplôme bac + 5 pour un enfant d’ouvrier. Même un enfant de classe moyenne a trois fois moins de chance qu’un enfant de cadre d’obtenir ce type de diplôme.

Cela signifie-t-il que l’école reproduit exactement les inégalités, qu’elle ne les corrige pas ?

Elle en corrige. L’école a permis de très belles réussites, de formidables histoires d’ascension sociale. Mais elle ne le permet pas pour tous les élèves. Et parfois, la situation se dégrade. Des ascensions sociales possibles il y a quinze ans paraissent aujourd’hui plus difficiles, du fait d’une crise sur le marché du travail. Quand l’emploi est rare, les discriminations sont de retour. Et les perspectives sont moindres pour les plus éloignés.

Selon vous, cette reproduction des inégalités est donc liée à l’environnement économique, plus qu’au fonctionnement même de l’école.

Les deux marchent ensemble. L’école ne vit pas sur un petit nuage, elle est dans un environnement. Prenez l’exemple du stage en classe de troisième. Si vous êtes dans l’incapacité d’en trouver un, soit parce que vous vivez dans un territoire où il n’y a pas d’entreprises susceptibles de vous en offrir, soit parce que vous faites déjà l’expérience de la discrimination ethnique, territoriale et sociale, vous voyez vos perspectives et vos horizons commencer à rétrécir. Vous commencez alors à regarder l’école avec défiance, sur sa capacité à vous sortir de votre environnement social. Vous fournissez ainsi moins d’efforts, et vous vous donnez moins de chances de réussir. Le plus terrible dans tout cela, ce sont les élèves qui bataillent et obtiennent des diplômes, ont des compétences, mais qui ne trouvent pas d’emploi. C’est une course de haies très difficile à vivre, et qui renvoie un message terrible aux plus jeunes.

L’ascenseur social est donc bloqué en France ? Est-il en panne ?

Nous sommes dans une période de crise de l’emploi qui fait que, malheureusement, les rentiers et héritiers sont toujours mieux servis que ceux qui doivent faire leurs preuves avant d’accéder à quoi que ce soit. Nous essayons de corriger cela en donnant des moyens aux établissements scolaires. Dans les écoles où les difficultés sociales sont plus importantes, nous plaçons depuis 2012 davantage d’enseignants pour accompagner, coacher, « tutorer » ces élèves plus défavorisés. Mais il est vrai que nous avons accumulé un retard énorme en dix ans. Depuis le début des années 2000, notre pays investissait de moins en moins dans l’éducation. Ce sont les territoires et écoles qui concentraient déjà le plus de difficultés sociales qui en ont pâti davantage. Ces établissements sont devenus moins attractifs, les enseignants souhaitent encore moins y aller. C’est ainsi que la situation se dégrade.

Réparer l’ascenseur social, cela passe déjà par un diagnostic clair et lucide : aujourd’hui, en fonction du milieu dont nous venons, nous n’avons pas les mêmes chances de réussite à l’école. Non pas parce qu’on ne produirait pas les mêmes efforts, mais parce que l’on n’a pas accès à la même information, au même accompagnement. Et parce que l’on n’a pas les mêmes ambitions. Quand vous ne connaissez que des adultes au chômage ou des adultes ouvriers, vous ne pouvez pas rêver, spontanément, de devenir astrophysicien. Face à ce diagnostic, le rôle des pouvoirs publics est de venir compenser ce que ces enfants n’ont pas. Ils n’ont pas autour d’eux d’adultes qui exercent des métiers qui pourraient les faire rêver ? Nous devons leur envoyer des adultes qui exercent ces métiers. Ils n’ont pas d’information sur leur orientation, sur les codes de la réussite scolaire, sur les options qu’il vaut mieux choisir si l’on veut réussir ? Nous devons leur envoyer des tuteurs, des coachs, comme ces élèves de grandes écoles qui viennent donner un coup de main aux plus jeunes. Il faut, enfin, plus d’accompagnement individualisé pour les élèves dont les familles n’ont pas les moyens de les faire travailler le soir. Il faut arrêter de vouloir traiter tous les établissements scolaires de France à égalité. Ils ne sont pas égaux.

Des jeunes étudiants sont volontaires pour aider les jeunes en situation défavorisée. N’est-ce pas un aveu d’échec d’avoir besoin de gens extérieurs à l’école ?

Pas du tout. C’est même terriblement enthousiasmant de se dire que l’on va s’y mettre à plusieurs pour ouvrir les horizons des enfants, pour les faire rêver et les convaincre qu’ils peuvent y arriver. Au-delà de l’apartheid social, physique et territorial, c’est un apartheid dans les esprits qui s’est installé. Et c’est celui-là qui est le plus difficile à contrer. C’est terrible de voir des jeunes collégiens convaincus que même un lycée général, ce n’est pas fait pour eux. À chaque fois que je vais dans une classe, je répète aux élèves une formule de ma mère : “la vie a toujours plus d’imagination que toi”. Je leur dis qu’il faut qu’ils y croient, qu’ils restent ouverts aux opportunités et aux occasions. Mais la vérité, c’est qu’il y a en France beaucoup d’élèves qui se ferment les écoutilles, parce que personne ne leur a appris à les ouvrir. Leur apprendre à les ouvrir n’est pas le rôle des seuls enseignants. Ce sera plus efficace s’ils peuvent être aidés.

Nombre de vos prédécesseurs ont déclaré qu’il fallait envoyer des enseignants expérimentés dans les zones difficiles, et qu’il fallait mieux les payer. Pourtant, parce qu’on se heurte au conservatisme de l’administration, à la gestion du personnel, cela ne se fait pas.

Cela ne va pas de soi de dire qu’il faut forcément des enseignants ayant vingt ans d’expérience derrière eux. Pour avoir vu beaucoup de jeunes enseignants dans ces établissements plus difficiles, je peux vous dire que la jeunesse a aussi un intérêt. Ces jeunes ont un caractère très engagé, presque militant. Ils se disent : “Nous allons faire quelque chose pour ces quartiers, nous allons trouver les moyens d’innover.” Je ne veux pas dire pour autant qu’il faut y envoyer ces jeunes enseignants dès la sortie de leurs  études. Mais après quelques années.

Avez-vous la possibilité d’envoyer dans ces zones difficiles des enseignants compétents et motivés, quel que soit leur âge, connaissant l’administration et la gestion du personnel dans l’éducation ?

La gestion des ressources humaines au ministère de l’Éducation nationale s’est améliorée ces dernières années. Il reste certes beaucoup de choses à perfectionner. J’ai eu à m’en rendre compte dans un établissement de l’académie de Créteil, où vous n’aviez que des contractuels. Ce n’est pas possible. Cette gestion des ressources humaines doit être plus fine pour éviter ces absurdités. La question de la formation des enseignants est tout aussi importante. Tous les enseignants doivent être formés à la prise en charge d’un établissement plus difficile. Ils doivent apprendre à se confronter à la diversité des publics. C’est pour cela qu’il est si important de remettre une formation initiale des enseignants, et de renforcer la formation continue.

Vous êtes fille d’ouvrier, aujourd’hui ministre. Votre parcours est un parcours d’excellence de la méritocratie française. Qu’est-ce qui a fait que cela a fonctionné pour vous ?

Ces choses-là sont toujours très complexes. Il est très difficile de savoir où sont les déterminants de la réussite scolaire. Mais quand je regarde ma propre expérience, j’ai l’impression que le fait d’avoir eu une sœur aînée qui était bonne élève m’a conduit à la réussite scolaire. Elle a tiré l’ensemble de notre fratrie vers le haut, et cela compte beaucoup dans ces questions de réussite. Dès le plus jeune âge, j’ai aussi eu un goût très prononcé pour la lecture. C’est peut-être pour cela que j’y accorde autant d’importance et que je veux renforcer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans nos écoles.

Moi qui n’avais que peu d’occasions de m’évader, je m’évadais par la lecture. C’est par la lecture que j’ai pu découvrir d’autres vies, des milieux et perspectives dont je n’aurais peut-être jamais entendu parler compte tenu de mon milieu social. Les grandes écoles, par exemple. C’est aussi à l’école que j’ai appris à cohabiter avec les autres, à me projeter avec eux dans quelque chose de commun, en l’occurrence cette République.

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