PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Source :

Accéder au site source de notre article.


PRESENTATION

Comme le dit Pierre Lévy dans sa préface et comme le montre ce livre, « la révolution numérique ne concerne pas tant les apparences, ou l’observable, que le système organisateur de nos perceptions, de nos pensées et de nos relations, leur nouveau mode d’apparition ». La révolution numérique n’est pas seulement un événement technique, mais un événement philosophique majeur, qui modifie nos structures perceptives et reconfigure notre sens du réel.

Les techniques, en effet, ne sont pas seulement des outils, ce sont des structures de la perception. Elles conditionnent la manière dont le monde nous apparaît et dont les phénomènes nous sont donnés. Depuis près d’un demi-siècle, les technologies numériques nous apportent des perceptions d’un monde inconnu. Ces êtres qui émergent de nos écrans et de nos interfaces bouleversent l’idée que nous nous faisons de ce qui est réel et nous réapprennent à percevoir.

Quel est l’être des êtres numériques ? Que se cache-t-il derrière le terme trompeur de “virtuel" ? Que devient notre être-dans-le-monde à l’heure des êtres numériques ? Le temps est venu d’analyser « l’ontophanie numérique » dans toute sa complexité. La prétendue différence entre le réel et le virtuel n’existe pas et n’a jamais existé. Nous vivons dans un environnement hybride, à la fois numérique et non-numérique, en ligne et hors ligne, qu’il appartient aux designers de rendre habitable.

EXTRAIT

Percevoir à l’ère numérique, ce n’est pas perce- voir des objets nouveaux, comme si la perception, s’appliquant identiquement à toutes les classes d’objets possibles, se trouvait simplement enrichie d’une nouvelle classe d’objets auxquels elle n’avait plus qu’à s’appliquer comme à n’importe quelle autre. Percevoir à l’ère numérique, c’est être contraint de renégocier l’acte de perception lui-même, au sens où les êtres numériques nous obligent à forger des perceptions nouvelles, c’est-à-dire d’objets pour lesquels nous n’avons aucune habitude perceptive. Cette renégociation perceptive n’a rien de naturel. Elle exige du sujet contemporain un véritable travail phé- noménologique en vue d’apprendre à percevoir cette nouvelle catégorie d’étants, les êtres numériques, dont la phénoménalité est inédite et par conséquent désarmante. Ce travail phénoménologique, à la fois psychique et social, consiste pour chaque individu à réinventer l’acte de perception pour le rendre compatible avec la phénoménalité particulière de ces êtres. Il s’agit d’apprendre à percevoir les êtres numériques pour ce qu’ils sont, sans surenchère métaphysique ni dérive fantasmatique – ce qui implique d’abord de comprendre ce qu’ils sont. Car, nous le verrons, la perception n’a jamais été autant une fonction d’entendement qu’à l’heure des êtres numériques.

La révolution numérique n’est donc pas seulement un événement historique qui relève de l’histoire des techniques : elle est aussi un événement philosophique qui affecte notre expérience phénoménologique du monde et qui relève de l’ontologie, ou plutôt de l’ontophanie, c’est-à-dire de la manière dont les êtres (ontos) apparaissent (phaïnô). Mais tandis que la révolution non euclidienne ou la révolution quantique étaient avant tout des révolutions intellec- tuelles limitées au cercle restreint des savants capables de les comprendre, la révolution numérique est une révolution sociale qui affecte l’ensemble des populations. Elle se présente donc comme un événement de masse, qui vient perturber l’expérience ontophanique de centaines et de centaines de millions d’individus.

Comprendre la révolution numérique au plan philosophique revient donc à analyser ce que le numérique modifie dans les structures mêmes de la perception, seul moyen de comprendre la phénoménalité des êtres numériques. Mais pour être en mesure de saisir la nature de l’ontophanie numérique, il faut remonter à l’origine essentiellement technique de toute ontophanie. C’est le sens de l’hypothèse défendue ici. Le phénomène numérique ne fait que rendre visible, par son ampleur, un trait philosophique caractéristique de toute technique en général, resté relativement inaperçu mais essentiel : la technique est une structure de la perception, elle conditionne la manière dont le réel ou l’être nous apparaît. Autre- ment dit, toute ontophanie du monde est une ontophanie technique.

Print Friendly

Répondre