PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Monde – le 4 décembre 2013 :

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Eric Maurin travaille régulièrement sur l’école, il est notamment l’auteur de La Peur du déclassement (2009) ou de L’Egalité des possibles (2002) au Seuil. Pour l’économiste, il faut mener une vraie politique envers les parents. Il réagit aux conclusions du rapport PISA.

Comment lisez-vous la baisse importante du niveau des élèves français entre 2003 et 2013 ?

Eric Maurin L’OCDE évalue la capacité des élèves à mobiliser leurs compétences mathématiques dans des situations de la vie quotidienne. Cette capacité a nettement diminué en France au cours des dix dernières années, essentiellement chez les élèves les plus faibles. C’est d’autant plus cruel que, durant cette période, on a cherché à promouvoir une évaluation par les compétences, sans toutefois être capable de vraiment trancher dans ce sens. Ces résultats signent l’échec des politiques superficielles des années 2000.

Pourquoi les jeunes Français sont-ils moins efficaces que d’autres dans cette approche pragmatique de l’utilisation de connaissances ?

Il y a peut-être un blocage culturel. Les questions PISA ne correspondent que très partiellement au programme de mathématiques de notre collège et les énoncés ne sont pas ceux auxquels les collégiens français sont habitués. Toutefois, cet argument n’explique pas les inégalités grandissantes entre les élèves français les plus forts et les plus faibles. A mes yeux, la position de la France dans le palmarès PISA ne veut rien dire de très évident. En revanche, ce qui fait clairement sens, c’est la coupure grandissante entre les élèves forts et les faibles.

Comment l’expliquer ?

L’école n’est pas la seule responsable. Entre 2003 et 2013, la société s’est elle aussi profondément divisée. Les inégalités entre familles devant les conditions de logement se sont par exemple creusées. Or on sait que 20 % des enfants grandissant dans des logements insalubres ou surpeuplés sont quasi condamnés à l’échec scolaire. Réduire les inégalités à l’école est un projet qui implique tous les domaines de l’action publique.

Une partie d’une génération est-elle sacrifiée en fin de primaire ?

La vulgate, aujourd’hui, c’est de dire que tout se joue avant 11 ans et que l’échec scolaire serait avant tout l’échec de l’école primaire. C’est en grande partie faux, cela ne sert qu’à justifier à bon compte de ne pas réformer le collège. En réalité, l’école primaire réussit plutôt bien à contenir les inégalités entre élèves, quand elles explosent ensuite au collège. Des savoirs et des compétences tout à fait essentiels continuent de s’acquérir après 11 ans, à l’adolescence, et PISA révèle une incapacité très particulière du système français à les transmettre à l’ensemble des élèves.

Mais, vous, que proposez-vous ?

Rien n’est inéluctable. L’Allemagne était naguère elle aussi très mal classée. Elle a su remettre en question de nombreux aspects très caractéristiques de son système éducatif, comme la durée de la journée d’école. Il en résulte aujourd’hui des progrès sensibles, y compris et surtout pour les élèves allemands les plus faibles, désormais loin devant leurs homologues français.

Notre marge de manoeuvre est plus réduite que ne l’était celle de l’Allemagne en 2000…

Il ne s’agit pas de copier les Allemands, mais d’identifier quelques leviers susceptibles d’être actionnés dans le contexte français. A mon sens, vu l’ampleur des inégalités entre milieux sociaux, l’un de ces leviers, c’est la famille. Dès l’entrée au collège, de nombreux parents se désinvestissent complètement, particulièrement dans les milieux modestes, à la fois parce qu’ils ne se sentent plus légitimes, mais aussi parce qu’ils n’ont aucune idée de l’importance considérable que peut revêtir le simple fait d’échanger avec leurs enfants sur ce qui se passe à l’école.

Ce que nous comprenons aujourd’hui, c’est que cette réalité pourrait être tout autre. Le faible niveau d’implication des parents des classes populaires n’est pas inscrit dans leurs gènes. Il pourrait être considérablement renforcé, à l’initiative des chefs d’établissement et des conseillers d’éducation notamment. On sait depuis longtemps que l’implication des parents compte, on découvre aujourd’hui qu’elle peut être un levier d’action publique.

Vous croyez beaucoup au travail avec les familles et misez sur les chefs d’établissement ?

Les expérimentations auxquelles j’ai pu participer ces dernières années pointent toutes l’importance considérable des chefs d’établissement comme facteur de mobilisation et d’entraînement. Ils peuvent changer les choses en profondeur. En sachant les nommer au bon endroit au bon moment, il est possible de réduire les inégalités au collège et entre les collèges.

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