PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In La Tribune – le 17 juin 2013 :

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Alors que les bacheliers planchent aujourd’hui sur leur épreuve de philosophie, combien parmi eux ne croient pas à leur chance de succès? Combien ont décroché? Lutter contre le décrochage scolaire, le ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, en a fait une priorité. Son dispositif "plus de maîtres que de classes" sera appliqué dans les classes de primaires dès la rentrée 2013, et s’inspire directement des dispositions américaines en la matière, comme nous le démontre notre contributeur, Mehdi Lazar, géographe et spécialiste de l’éducation.
 

Le décrochage est l’un des maux de notre école en France. Chaque année environ 140 000 jeunes sortent de notre système scolaire sans diplôme. Le volume insoutenable de ces "sorties précoces" rend absolument nécessaire la lutte contre l’abandon scolaire. Cependant, notre pays n’est pas le seul à avoir des difficultés liées au décrochage et aux États-Unis – comme en Europe – l’abandon scolaire apparaît comme un révélateur des inégalités sociales et du manque d’efficacité du système éducatif. S’il est en France désormais une priorité nationale, quelques mesures efficaces mises en place en Amérique du Nord pourraient nous aider à envisager de nouvelles solutions pour améliorer la réussite de tous les élèves.


Aux Etats-Unis, une prise de conscience antérieure à la France

Le décrochage, un phénomène commun aux économies développées, est connu en Europe depuis la « massification » scolaire des années 1980. Les Etats-Unis furent eux concernés par les écarts de réussite éducatifs assez tôt, au début des années 1960 – malgré un taux de scolarisation dans le secondaire supérieur aux pays européens. La lutte contre le décrochage devint ensuite particulièrement en vue après la publication du rapport "A Nation at Risk: The Imperative For Educational Reform" en 1983. Dès le début, plutôt que de lutter contre les origines complexes et multifactorielles du décrochage, qu’elles soient d’ordre social, psychologique ou autre, il s’agissait plutôt de lutter et de surveiller les manifestations du décrochage.

Parmi celles-ci, l’absentéisme en est le premier symptôme. En ce sens, il sert de "signal d’alarme" pour un certain nombre d’élève qui commencent à perdre pied dans leur parcours scolaire. Ceci notamment pendant un nombre restreint de périodes critiques : aux États-Unis comme en France, il s’agit surtout de la fin du collège (cela correspond pour certains élèves à la fin de la scolarité obligatoire et pour la majorité des autres à une période d’orientation – particulièrement problématique lorsqu’elle est subie). Au lycée, les périodes de rupture continuent de se situer lors des périodes de transition (particulièrement dans la première partie de l’année scolaire) et le plus souvent dans des établissements sensibles.

Le manque d’engagement scolaire prédispose du décrochage
En plus de l’absentéisme, les autres signaux assez prédictifs du risque de décrochage sont les indicateurs d’ordre académique. En effet, il est essentiel de rappeler que des compétences de base déficientes et un manque d’engagement scolaire constituent des barrières importantes à l’obtention d’un diplôme. Il est par exemple prouvé que le manque d’engagement scolaire est un facteur plus prédictif du décrochage que les antécédents sociaux des élèves. A ce titre, la place du primaire dans la lutte contre le décrochage est essentielle. En effet, l’abandon scolaire est un processus long et les élèves à risque connaissent déjà l’échec au primaire – tel que le redoublement en CP ou de faibles résultats aux évaluations nationales de CE1 et de CM2 – qui souvent s’amplifie au collège.

Des indicateurs simples tels qu’une faible assiduité scolaire ou de mauvais résultats sont ainsi particulièrement surveillés aux États-Unis car ils révèlent des situations d’élèves fragiles qui risquent de devenir décrocheurs. C’est donc sur eux qu’il convient de focaliser les efforts de la communauté éducative, et ce dès que des signaux d’alarme apparaissent.

Développer le rôle des établissements dans la lutte contre le décrochage
Aux Etats-Unis, comme en France, le décrochage a souvent été traité à l’échelon national. L’abandon scolaire est ainsi une priorité nationale en France, tout comme il est "cause fédérale" aux USA. Outre- Atlantique, deux grandes réformes ont tenté de lutter contre le décrochage scolaire : le "No Child Left Behind Act" de Georges Bush Jr (2002) et le programme "Race to the Top" de Barack Obama (2009). Ces deux réformes mettent l’accent sur un pilotage par les objectifs et les résultats – ce qui avait commencé à être mis en place par le gouvernement de Nicolas Sarkozy – avec des plans de performance annuels (dans lesquels de nombreux indicateurs concernaient les taux de décrochage, les taux d’accès au diplôme, etc.).

Cependant, le traitement du décrochage est aussi pertinent au niveau des établissements. Plus particulièrement, un ensemble de mesures semblent efficaces partout où elles sont engagées. Parmi celles-ci, on peut citer notamment des systèmes "d’alarme" permettant de surveiller les principaux indicateurs de décrochage (absentéisme en hausse, résultats en baisse ou encore une plus grande fréquentation de l’infirmerie), mais aussi un accompagnement fort des élèves aux moments critiques de la scolarité et une meilleure orientation. Cette prévention nécessiterait en France une nouvelle définition des missions des acteurs de l’éducation. Par ailleurs, une plus grande autonomie laissée aux établissements permettrait de développer un "leadership" d’établissement fort – prenant notamment appui sur un pilotage par l’évaluation basé sur des données fiables et identiques – mais aussi une collaboration plus grande des établissements avec d’autres partenaires et les parents d’élèves.


Des dispositifs au plus près des élèves "à risque
"
Au niveau pédagogique, avoir des équipes stables et impliquées reste essentiel, tout comme l’existence d’une bonne formation des enseignants et des programmes d’enseignement rigoureux et clairs. L’apport de la recherche doit être valorisé, ainsi que la personnalisation de l’enseignement et surtout la création de dispositifs de tutorat et de mentorat qui auraient pour fonction de guider les élèves identifiés comme « à risque ». Loin de servir à coller des étiquettes, il s’agit plutôt de donner à un élève une chance de pouvoir relancer son parcours scolaire avant que les difficultés ne soient trop lourdes à rattraper. Les dispositifs qui ont ainsi fonctionné dans les établissements américains reprennent toutes ces mesures, en totalité ou en partie, et sont centrés sur l’élève et son parcours scolaire.

Le décrochage est donc finalement plus un processus qu’un événement : de mauvais résultats scolaires à l’école élémentaire, l’absentéisme ou une délinquance juvénile sont des bons indicateurs du risque d’abandon scolaire, notamment lors de ruptures de parcours et des transitions. Il reste donc essentiel en France d’établir des alarmes concernant l’absentéisme – des systèmes d’alerte précoce – permettant de créer des parcours plus adaptés aux situations de chacun tout en mettant en place des aides pour les élèves fragiles. Seule une mise en place volontaire d’un certain nombre de ces pratiques nous permettra de prévenir le décrochage scolaire.

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