PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Libération – le 21 février 2013 :

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Forum Ile-de-France Politologue et essayiste, Paul Ariès milite pour un retour aux relations sociales et pour des cités qui prennent davantage en compte les rythmes naturels.

 Pour Paul Ariès (1) «ralentir la ville», c’est la rendre aux classes populaires. Il imagine des «villages urbains» regroupant travail, commerces et loisirs.

Vous développez une critique acerbe de la ville moderne. Que lui reprochez-vous ?

Nos villes explosent et un véritable apartheid urbain s’installe. Près d’un milliard de personnes vivent aujourd’hui dans des bidonvilles et elles seront près de 1,7 milliard dans cinquante ans ! A l’inverse, les ghettos de riches, véritables forteresses dorées, continuent de se développer, signe d’une privatisation rampante de la ville. Aux Etats-Unis, en 1996, 35 millions de Nord-Américains vivaient déjà dans plus de 15 000 communautés de ce type, selon l’OCDE. Quant à l’Europe, la tendance est à la gentryfication, c’est-à-dire la colonisation des quartiers populaires par une population nantie qui fait grimper le prix du foncier et pousse toujours plus les milieux populaires à l’orée des villes.

De nouvelles frontières se dessinent, certains quartiers riches refusent d’être reliés aux zones pauvres. La géographie urbaine dessine les contours d’une nouvelle stigmatisation sociale où le lien social n’est plus fondé sur la proximité géographique mais sur l’identité.

Comment lutter contre cet apartheid urbain ?

Il faut avant tout maîtriser le foncier pour rendre possible le droit au logement pour tous. Cela suppose d’en finir avec les politiques urbaines soumises à la seule logique économique et court-termiste. On assiste aujourd’hui au règne du «citybranding» où les villes ne sont rien d’autres que des marques avec pour unique objectif, d’installer un climat urbain propice aux affaires. Destinées aux classes moyennes et supérieures au détriment des milieux populaires, ces villes en concurrence finissent par se ressembler toutes : centres de congrès, mégacentres commerciaux, supermarchés du cinéma…

L’espace urbain doit redevenir un lieu de vie. Pour cela, il faut rompre avec l’hygiénisme urbain, toutes ces pratiques anti-humaines empêchant l’appropriation de la ville : la généralisation d’un mobilier urbain de coercition, des bancs pour empêcher les SDF de dormir, des jets d’eau anti-piéton sur les places publiques pour qu’il n’y ait que du passage, la vidéosurveillance… Nous devons remettre du désordre, de la vie dans la ville, recréer des espaces de proximité, pour que les enfants jouent à nouveau dans la rue, que les usages populaires retrouvent droit de cité.

Vous parlez aussi de ville lente. Comme ralentir la ville ?

La «ville lente», où il fait bon vivre, marie le social et l’écologie. Si la tendance actuelle n’est pas au ralentissement, certains mots-chantiers nous indiquent dans quelle direction aller : relocalisation, coopération, gratuité. Il faut d’abord changer notre rapport à l’espace. Le «croissancisme» occidental a donné lieu à une dénaturation de l’espace généralisant des voies de communication pour que vive la civilisation de la voiture, responsable de l’éloignement de l’habitat, du travail et des loisirs. Il faut réduire ce triangle, raccourcir les distances entre ces trois fonctions en réintroduisant des commerces et des loisirs partout dans la ville. Changer aussi notre rapport au temps. L’homme économique aurait vocation à s’émanciper des temporalités naturelles. «Le temps, c’est de l’argent», répètent les économistes. Ralentir la ville implique de rendre au temps sa dimension qualitative en revendiquant, par exemple, le droit à la nuit, en éteignant les lampadaires, et en maintenant la fermeture des commerces le dimanche.

A quoi ressemblerait votre ville idéale ?

Surtout pas à une mégalopole, mais à une ville à taille humaine où pourraient se développer toutes les activités nécessaires au bien-vivre : un travail, un logement, des loisirs, la vie telle qu’elle devrait être pour tous. Je parlerais de villages urbains. Une ville qui redeviendrait une fabrique de l’humain où l’on passerait de la jouissance d’avoir à la jouissance d’être. L’homme avec ses limites doit redevenir la limite de toute chose.

 (1) «Ralentir la ville… pour une ville solidaire», Editions Golias, 2010. Dernier ouvrage paru : «Le Socialisme gourmand, Le Bien-vivre, un nouveau projet politique», éd. La Découverte, 2012.

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