PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Ecole 2 demain :

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« Oui, mais les bonnes vieilles méthodes, quand même… » Voilà l’expression que je n’aurai jamais autant entendue que depuis que l’expérimentation tablette a mis en lumière que j’appuyais mon travail dans la CLIS4 sur le modèle théorique de la Zone de Renégociation Conceptuelle (ZRC) et l’approche des concepts par les p@reils, fruits de ma recherche-action sur l’apprendre à apprendre depuis une quinzaine d’années.

Car, tant que cela ne concernait que les élèves en grande difficulté d’apprentissage, cela ne semblait poser de problème à personne ici. D’ailleurs localement, même juste par curiosité, seuls les collègues, membres des disparus RASED, les psychologues scolaires du secteur, des enseignants spécialisés, certains enseignants dont les élèves étaient concernés, ont senti le besoin et l’envie de venir voir ce que faisait ce maître E de particulier avec ses p@reils, qui fonctionnaient et donnaient des résultats positifs et suffisamment intéressants, cela même après les articles dans la presse nationale, les prix nationaux ou reconnaissances quelconques… Ceux qui sont venus voir, pour mieux comprendre, s’en inspirer, essayer de diffuser, sont souvent venus de plus loin.

Mais voilà que la disparition des RASED (car oui, avouons-le en toute honnêteté, avec ce qu’il en reste, on ne peut plus parler de RÉSEAU d’aide) m’a propulsé sur un poste sédentarisé, avec des élèves, une CLIS4 (handicap moteur), qui au regard de certains n’auraient donc rien à voir avec mon ancien public…

Ces gens n’auraient-ils pas compris la portée que pouvait avoir le fruit de ces années de recherche-action sur l’apprendre à apprendre sur la façon de concevoir les apprentissages dans une classe ? Un apprendre pourtant au cœur de l’acte professionnel de tout enseignant… Ils penseraient donc que ce que j’ai pu découvrir sur cet apprendre ne concernerait pas les élèves d’une « classe ordinaire », enfin disons ne relevant pas de la grande difficulté, car une CLIS4 est loin d’être une classe ordinaire. Ils ne l’auraient donc pas saisi… Et cela d’autant moins que, vu de loin et sans s’y intéresser, cette approche articulée sur les p@reils relèverait visiblement plus de l’ésotérique que d’un modèle et d’une posture pédagogique exigeants et sérieux…

Et si, pour une CLIS4, classe bien peu « ordinaire », cette approche pédagogique, ce choix théorique, cet appui fort sur les TICES, ce genre et ce style, au sens d’Yves CLOT, étaient justement un choix des plus judicieux ? Et si justement, ces élèves à besoin particuliers, au même titre que les élèves en grande difficulté scolaire, étaient justement les plus aptes à être les poissons-pilotes d’une grande refondation de l’école ?

En quelques mots, les p@reils, que je vous invite à découvrir sur leur site ( www.pareils.fr ), sont une activité pendant laquelle les élèves sont activement en recherche fine de « correspondances », de points communs entre différents objets physiques, mais également entre différentes notions et concepts plus abstraits. L’activité favorise l’engagement des élèves dans la réflexion et l’exploration de leur capacité d’apprendre au-delà de leurs premières représentations, souvent erronées et durablement figées (cristallisation). L’activité leur permet de fait de remettre ces représentations en question, par eux-mêmes (renégociation conceptuelle), Elle favorise ainsi la résolution de blocages et de représentations figées (les « croyances de l’élève »), et installe une démarche active où l’élève s’engage dans le fond des apprentissages, en développant ses processus cognitifs et métacognitifs lui permettant d’appréhender plus sereinement le programme.

Cette approche des concepts par les p@reils favorise également la mise en relation et en renégociation du monde propre à l’enfant, de son histoire, de sa vie, de sa compréhension du monde, de son espace-temps socioculturel, avec le monde de l’école, favorisant ainsi un apprendre globalisé, formel et informel. Cette approche, décliné à l’ensemble des apprentissages et notions étudiées dans la classe, exige une grande rigueur conceptuelle pour le maître, créant ainsi, en plus des activités proprement dites sur les p@reils, une ambiance pédagogique engageante, d’exigence et de recherche au sein de la classe. « On sent bien qu’ils ont l’habitude de chercher et de réfléchir. » disait dernièrement la remplaçante dans la CLIS4 durant quelques jours en février.

Oui, mais voilà, il y a la peur… Une peur qui transpire un peu de partout… Une peur alimentée par un modèle d’apprentissage et de management construit sur la crainte et la répétition… La crainte que « ce prof ne fiche rien », la crainte que des parents puissent exprimer leurs propres peurs, avoir des griefs, et fassent du bruit, la crainte que cela soit trop éloigné des « bonnes vieilles méthodes » que, au moins, tout le monde connait bien et « rassurent », la crainte que cela fasse trop de vagues, la peur de ne pas bien comprendre, la peur et la crainte, la crainte et la peur… Je me demande de plus en plus de quel côté se situe vraiment la peur d’apprendre dont parle Serge Boimare !

Et au milieu de tout cela, il y a les élèves de la CLIS4, les AVS et moi-même. Nous savons, nous le vivons. Mais finalement, que représentons-nous ici face au tout puissant « bon sens » des « bonnes vieilles méthodes » et a la crainte omniprésente de l’institution ?

Ces AVS, qui accompagnent les élèves de la CLIS4, et qui furent les premières sceptiques sur cette autre façon, si particulière, par projet, d’aborder les apprentissages et les compétences, tous inscrits en lien dans les activités d’ apprentissages de la classe, sans vraiment de « leçons » ou de « cours » perceptibles au sens habituel, et avec un tissage de connaissances et de compétences qui est mis en place pour les élèves au fur et à mesure de l’avancée des projets, sont aujourd’hui les plus convaincues par la méthode et l’ancrage sur les p@reils et la ZRC. Elles sont les premières témoins de l’exigence de cette posture pédagogique (car oui, il s’agit avant tout d’une posture pédagogique très exigeante) et du plaisir d’apprendre généré en contrepartie. Elles sont devenues, aux côtés des élèves, les plus attachées à défendre cette organisation pédagogique et cette approche par les p@reils, parce qu’elles les vivent et observent au quotidien, mesurant comment et combien cela porte les élèves vers des compétences et des connaissances solides, dans une ambiance de construction très positive de l’image de soi et de l’autonomie de penser, d’apprendre et d’être. Elles ont bien saisi le sérieux, l’exigence et l’intérêt de cette approche. D’autres retours positifs (parents, neuropsychiatre, remplaçante…) sont depuis venus conforter ce que nous observons dans la classe, mais cela est toujours moins audible à certains, jamais assez pour vraiment rassurer et pour ne pas plutôt surdimensionner le versant des craintes.

Car lorsqu’un élève du niveau CM2 de la CLIS4 nous partage qu’il vient de comprendre pourquoi et comment il avait réussi il y a huit mois, donc l’année scolaire passée, une évaluation sur les compléments circonstanciés (notions pas du tout en cours d’étude dans la CLIS4 au sens classique de la leçon de classe), faut-il être inquiet ? Avoir peur ? En effet, celui-ci s’exclamant au cours d’une recherche sur la qualité grammaticale des mots à organiser dans notre répertoire grammatical: « Mais voilà maître, j’ai compris, c’est avec les p@reils que j’ai réussi ! » et nous expliquant qu’il n’avait jamais compris pourquoi il avait réussi cette évaluation à l’époque, faut-il s’inquiéter de ne pas avoir refait de "leçon classique" sur ces éléments de grammaire ou se réjouir de ce magnifique retour métacognitif sur une réussite passée et de combien la démarche pédagogique appuyée sur les p@reils donne les outils cognitifs aux élèves pour que de telles choses arrivent ?

De même, lorsque cette élève d’âge scolaire CM1, fâchée avec les mathématiques, redécouvre les nombres à la lumière des p@reils avec les outils numériques associés à la manipulation, et devient notre championne de la soustraction manipulée en disant « c’est comme ça que j’aime les maths », faut-il s’inquiéter d’une démarche un peu moins ordinaire parce que dans le même temps la qualité graphique de son écriture manuscrite s’est un peu dégradée, les outils numériques ayant été un peu plus présents dans les apprentissages ? Ou faut-il au contraire se réjouir de ce nouveau rapport aux apprentissages mathématiques et de la confiance en reconstruction dans un champ scolaire aussi important ?

Et quand à la fin de son texte écrit sur sa tablette cet élève, un sourire jusqu’aux oreilles s’exprime ainsi: « …et je n’ai presque pas fait de fautes dans mon texte ! » ? Faut-il s’inquiéter qu’aucune « note » ne circule dans la classe depuis le début de l’année? Ou faut-il plutôt se réjouir de cet engagement d’exigence personnelle et appropriée face à l’écrit ?

La réponse d’un des élèves à un autre élève se surprenant lui-même à demander si le travail en cours donnera lieu à une note, est par ailleurs tout à fait intéressante : « Mais tu sais bien qu’il n’y pas de notes dans la classe puisque nous travaillons directement sur notre livret, et sur ce que nous apprenons ; nous n’avons pas besoin de note, on est là pour apprendre. »

Ou encore lorsque, surpris par la qualité de réflexion, d’engagement et par les compétences nouvelles de ses camarades de cycle 2, conscient des cristallisations notamment scolaires dont il a du mal à se défaire, cristallisations très chargées d’une vision quasi pavlovienne des apprentissages (stimulus-réponse), et des obstacles que cela pose sur son chemin par rapport à ses camarades engagés dans une démarche bien moins cristallisante, cet élève demande pourquoi il n’a pas « appris de cette manière depuis le début de sa scolarité », et ajoute qu’il « aimerait bien que ses jeunes frères puissent apprendre comme dans notre classe »… Faut-il avoir peur de cette démarche sans cahier du jour papier, et si peu d’évaluations sous leur forme habituelle, ou se réjouir du discours aussi éclairé et réfléchi d’un élève sur ses apprentissages et la pédagogie impliquée ?

Alors voilà, la question se pose : dois-je maintenant consacrer toute mon énergie à rassurer, voir comme certains semblent le souhaiter, en me rapprochant toujours au plus près des « méthodes rassurantes et bien connues », au risque d’y perdre le bénéfice même de ces quinze ans de recherche-action ? Au risque d’y perdre la force de l’innovation qu’apporte la théorie de la Zone de Renégociation Conceptuelle ? Ou dois-je plutôt m’appliquer à remplir ma mission auprès de ces élèves qui comptent sur leur enseignant pour avancer, comprendre et apprendre toujours plus ?

Je pense m’être déjà suffisamment frotté aux fameuses «bonnes vieilles méthodes» durant des années, à trouver comment aider des élèves sur lesquels d’autres s’étaient déjà cassé les dents, pour avoir une idée assez précise et argumentée sur un bon nombre de points à leur sujet, points que l’on retrouve d’ailleurs en partie modélisés dans la théorie de la ZRC. Alors, pour ceux qui veulent en savoir plus, il suffit de se plonger dans la présentation de la théorie de la Zone de Renégociation Conceptuelle, en libre accès sur mon blog depuis sa conception, et sur la présentation des Petits Dictionnaires Des P@reils, tout aussi ouverte au monde sur le site des p@reils.

Pour le reste, je suis fatigué. Fatigué par ce management guidé par la peur et la suspicion, par cette propension à ne voir que le verre à moitié vide, par cette terrible difficulté qu’a encore l’École à entrer dans une vraie culture de l’expérimentation et dans ce «work in progress» dont parle Philippe Watrelot dans sa chronique éducation du 30 janvier. Fatigué par cette nécessité perpétuelle d’avoir à se défendre parce que catalogué comme étant « à la marge ». Bref, l’innovation, ce serait d’accord, mais tant que ça ne touche pas trop à la classe, aux « apprentissages fondamentaux » et que c’est du cosmétique sur les « bonnes vieilles méthodes » ? Une étude toute fraîche dans le cadre d’une thèse à l’Université de Lund en Suède, montre combien pour « réussir » à l’école il vaudrait mieux être « dans la crainte » et « pas trop curieux et ouvert ». Cela questionne sur l’avenir que prépare une telle école.

Education Nationale, je suis ton plus fervent défenseur, mais tes verrous, tes cristallisations, tes peurs, ta rigidité, bref, ton aspect mammouth me fatiguent, m’épuisent… Vais-je devoir te quitter pour des bras et un regard plus ouverts ? Et si c’était plutôt à toi de rassurer, de me rassurer sur tes compétences, ton ouverture et ton professionnalisme ?

Mais non, je ne te quitterai pas encore, car tu mérites d’être secouée un peu, de te remettre un peu toi-même en question aussi, parce que c’est la force des grands. Et « la marge » ? « Je l’assume ! », pour paraphraser l’anaphore d’un texte qui circula beaucoup à propos du projet de refondation de l’École. Je l’assume pleinement d’ailleurs, car oui, et, oh curiosité du modèle théorique de la ZRC, cette Zone de Renégociation Conceptuelle est justement « à la marge », dans cet espace où se tissent les liens, les connaissances, et où se nourrit le plaisir d’apprendre. Parce que je suis de plus en plus convaincu, très chère Éducation Nationale, que si tu veux vraiment avancer et emmener avec toi le plus de monde vers plus de compétences et de connaissances articulées, c’est à ta marge que tu vas pouvoir trouver de nombreuses bonnes pistes.

l’EN a peut-être besoin de plus de synergie entre ses acteurs et les Sciences de l’Éducation, dans leur sens le plus large, pour se renégocier elle-même (se rassurer ?) à un tournant de son évolution, à l’heure du numérique, certes, mais ce n’est ni dans la crainte, ni a l’éclairage de la peur, ni en faisant l’autruche qu’elle pourra sortir gagnante de cet immense enjeu de restructuration, rénovation, refondation auquel elle ne peut désormais plus échapper, au risque d’être en rupture complète avec le monde et le public auquel elle se doit de donner, dans la mesure de sa mission, les meilleurs outils pour réussir socialement, professionnellement et personnellement leur vie future.

Alors, aidons-la à se réveiller, osons, innovons, partageons, diffusons !

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