PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Express – le 11 juin 2013 :

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Vincent Peillon veut faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Si l’intention est louable, pour Stéphanie de Vanssay, professeur des écoles depuis 20 ans, au quotidien, les professeurs sont confrontés à de nombreux freins, notamment matériels.

 

 

 

"Il n’est plus temps de se demander si le numérique est utile ou de faire des essais, le Net est là", estime Stéphanie de Vanssay.

afp.com/Frederic J. Brown

 

Jamais un ministre de l’Education nationale n’avait autant mis en avant l’école numérique, jusqu’à en faire un thème à part entière de la Refondation. Effort et intention louables, il était grand temps! Cependant, au delà de la volonté de faire avancer les choses et de la question des moyens, se pose cruellement celle de la compréhension de ce que cela change profondément de "faire entrer l’école dans l’ère du numérique". 

Le discours de Vincent Peillon fait plaisir à entendre, une volonté politique est affirmée, il n’est plus temps de se demander si le numérique est utile ou de faire des essais (alors pourquoi 20 collèges pilotes?), le Net est là, il n’est plus temps de tergiverser, il faut aller chercher les jeunes là où ils sont! La révolution du numérique se fera par la pédagogie et la mise en synergie de tous les acteurs. On ne peut qu’applaudir… Mais il y a loin du discours à la réalité. 

Galères en série pour les enseignants innovants

Parlons un peu du vécu quotidien de ces profs de primaire et du secondaire qui intègrent déjà le numérique dans leur enseignement. Alors que l’on devrait s’appuyer sur eux, leur faciliter la tâche et solliciter leur expertise, c’est rarement le cas et bien des tracasseries petites ou plus graves émaillent leurs journées. D’abord il faut accéder à une connexion: on aurait aimé voir annoncé le principe simple d’une connexion a minima dans chaque salle de classe/cours. Certes cela dépend des collectivités locales, mais on est loin du compte, notamment dans les écoles primaires. Ce n’est pas avec une heure en salle informatique par semaine que l’on va faire entrer les élèves dans l’ère du numérique!  

Parfois, comme dans cette classe de maternelle parisienne qui travaille avec des iPads, la prise existe dans la salle mais l’enseignante ne peut y brancher son ordinateur personnel (accès au réseau interdit) et cela fait plus d’un an qu’elle attend l’ordinateur "Ville de Paris" qui lui éviterait d’avoir à transporter chaque soir les iPads chez elle pour les synchroniser. Parlons aussi de ces professeurs qui s’équipent à leurs frais de clés 3G pour pouvoir utiliser dans leurs cours Youtube ou les réseaux sociaux qui sont filtrés par le réseau de l’établissement.  

Là encore rien sur l’ouverture des réseaux, la confiance nécessaire envers les enseignants et les élèves! Comment éduquer et accompagner les élèves quand dans l’école les usages sont interdits alors qu’ils sont de fait disponibles via leur téléphone et à domicile? Que penser aussi de la situation de cet enseignant de CLIS (Classe d’Intégration Scolaire pour des élèves handicapés) qui va présenter au forum des enseignants innovants un projet tablettes mené dans le cadre de l’éducation nationale et qui subit une retenue sur salaire pour son absence pourtant autorisée. Pire, comme il met en oeuvre une pédagogie atypique, intégrant le numérique, son rapport d’inspection est mauvais car son travail n’est pas compris, ne "rentre pas dans les cases"… Et pourtant, ses élèves progressent énormément! Malgré une demande envers les cadres de favoriser et soutenir les usages du numérique dans les classes, beaucoup reste à faire sur le terrain… 

Faire confiance, une révolution devenue possible?

Parlons formation. Un des dispositifs présentés lors de ce point d’étape nommé M@gistère a pour fonction d’accompagner la formation continue des professeurs des écoles. À partir de la rentrée prochaine, tous les professeurs des écoles bénéficieront de 9 heures de formation continue à distance, une excellente nouvelle car, quoi de mieux que d’expérimenter pour soi ce que peuvent apporter ces outils numériques, pour se lancer ensuite avec ses élèves? La présentation de M@gistère insiste beaucoup sur la personnalisation des parcours mais ne fait aucune mention d’échanges en ligne entre professeurs ni de travail collaboratif. Espérons que cela sera prévu et qu’il sera aussi permis de se former hors plateforme.  

Avec les nombreuses ressources déjà en ligne et les initiatives qui fleurissent comme les live-sessions de François Lamoureux auxquelles on peut participer en direct (ou visionner plus tard sur son blog) ou ce cours de l’IUFM de Lyon en creative commons intitulé "culture numérique de l’enseignant droits et obligations" gratuit et ouvert à tous, on peut faire de la co-formation de qualité sans que cela coûte un centime à l’institution. Il suffira de faire confiance aux professeurs sur la foi d’un compte-rendu de ce qu’ils auront appris et mis en oeuvre… Faire confiance, une révolution devenue possible? Si cette formation continue en ligne n’est pas de qualité, ouverte aux initiatives et résolument interactive, elle confortera les plus numérico-sceptiques et génèrera plus de dégâts que de bienfaits. Gageons au vu des intentions annoncées que tout cela a été prévu. 

Revenons-en aux élèves… Dans le dossier de presse, il est prévu une relance de l’éducation aux médias, y compris numériques, pour "former les cybercitoyens actifs, éclairés et responsables de demain", ce qui tranche étrangement avec les dispositifs présentés où l’élève n’apparait jamais comme contributeur, producteur, créateur de contenu mais seulement comme consommateur de ressources (de qualité !). Il manque de vraies incitations à s’emparer de Wikipedia et autres projets collaboratifs, à investir les espaces de discussions du Web (forums, réseaux sociaux), à publier, à créer du contenu artistique… mais cela est probablement à l’ordre du jour du prochain point d’étape…  

Tout l’intérêt du numérique réside dans les nouveaux champs qu’il ouvre: un accès ouvert aux savoirs, la collaboration, la contribution, l’intelligence collective… S’ils ne sont pas présents alors nous serons passés à côté de l’essentiel! L’école se doit de préparer les élèves à tirer tout le profit possible du numérique, reste à relever le défi. 

Stéphanie de Vanssay est professeur des écoles depuis 20 ans, en ZEP dont 8 ans en RASED (Réseau d’Aides Spécialisées Aux Elèves en Difficulté) et conseillère technique au syndicat SE-Unsa notamment sur les questions du numérique à l’école.

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