PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Politiques éducatives : la mise en oeuvre

1 Les politiques éducatives sont un des sujets les plus débattus au sein des sciences sociales. Dans la tradition sociologique comme dans l’histoire de la pensée économique, elles ont été analysées par les grands auteurs : Durkheim, Bourdieu, Boudon, Gary Becker ont structuré notre connaissance des questions éducatives en fournissant des grilles de lecture et d’action pour le monde scolaire. Les notions de capital humain, d’inégalité des chances ou de reproduction font partie des fondements de l’action publique dans le domaine de l’éducation. Au regard par exemple du poids budgétaire du poste éducation, enseignement, recherche dans les finances publiques des pays développés ou du simple fait que l’école concerne tout le monde à un moment ou un autre de sa vie, les sciences politiques et de l’éducation ont affiné notre compréhension de la manière dont sont élaborées et pensées les orientations gouvernementales et institutionnelles en la matière.

2 Le livre de Claude Lessard et Anylène Carpentier s’inscrit dans ce cadre et nous propose de découvrir les politiques éducatives sous l’angle de leur « mise en œuvre », c’est-à-dire en s’intéressant surtout à la manière dont l’action publique se met concrètement en place dans les écoles par des acteurs animés par des logiques variées, parfois antagonistes … Le postulat de départ de cet ouvrage percutant est de s’intéresser au décalage inéluctable entre la politique éducative telle qu’elle a été conçue et telle qu’elle existe sur le terrain. Cette connaissance intuitive qu’il ne suffit pas par exemple d’annoncer le « collège unique » ou le fait qu’aucun enfant ne sera laissé à l’abandon (« no child left behind ») pour que cela se traduise dans les faits a une portée fondamentalement épistémologique. Soit on pense les politiques publiques comme un exercice d’ingénierie sociale dont le but est de calibrer les bons paramètres (structures scolaires, statut des personnels, contenu des programmes …) et pour lesquelles il faut s’efforcer d’évaluer de manière robuste l’efficacité et l’efficience des choix opérés ; soit on considère qu’un énoncé politique va faire l’objet d’une appropriation par les acteurs et se transformer au contact de la pratique.

3 C’est fort logiquement cette deuxième approche qui anime la réflexion des auteurs dont les propres recherches de terrain ont mené à privilégier cette conception « modeste » et ancrée de la politique. En prenant appui sur des travaux et des exemples français, britanniques, américains ou canadiens Lessard et Carpentier font de cette tension entre la conception d’origine d’une réforme éducative et son résultat sur le terrain un champ d’investigation qui a pour inspiration la sociologie de la traduction ou à la notion de « bricolage du social » mais qui se réclame explicitement de la sociologie de l’action publique de Lascoumes et Le Galès. Il apparaît en effet tout du long de cet ouvrage qu’on ne peut négliger le contexte organisationnel et la conception que se font les acteurs de leur rôle professionnel pour comprendre comment ont évolué les réformes éducatives dans les pays développés.

4 Le livre débute ainsi par un premier chapitre retraçant l’évolution historique des politiques éducatives. Les auteurs nous proposent un découpage en trois périodes. La première période se confond avec celle dite des « trente glorieuses » en France (ou de « l’âge d’or ») caractérisée par une forte croissance économique lors de l’après seconde guerre mondiale de 1945 à 1973. Dans le domaine éducatif comme pour les autres politiques publiques c’est une période inédite : l’école est associée au développement de l’Etat providence qui justifie son intervention pour favoriser l’égalité des chances et développer l’offre éducative afin qu’elle touche l’ensemble de la population. La légitimation intellectuelle de cette séquence politique est principalement la théorie du capital humain qui considère l’éducation comme un investissement dont la rentabilité peut être source de richesse. D’un point de vue plus politique c’est l’idée d’un droit à l’éducation qui fonde en grande partie l’action publique afin de ne pas réserver l’accès à l’école à une frange limitée de la société.

5 La deuxième période obéit également à un découpage historique assez traditionnel puisqu’elle part des chocs pétroliers pour déboucher aux années 1990 et se présente comme l’antithèse de la phase précédente. La crise économique et les difficultés que rencontrent les Etats providence à agir de manière efficace et légitime débouchent sur une critique sévère de l’action publique dans le domaine scolaire. C’est par exemple la publication aux Etats Unis du rapport A Nation At Risk en 1983 qui pointe un système éducatif dont le développement massif n’a pas amélioré le sort d’une grande partie des enfants, de même se multiplient les doutes sur la qualité de l’éducation, le rôle premier de l’école (insertion professionnelle, constitution de citoyens). Les politiques éducatives visent alors soit à revenir aux fondamentaux de l’apprentissage, soit à mieux cibler la lutte contre les inégalités.

6 La troisième période est celle que nous vivons. Les politiques éducatives des pays développés découlent d’une production de compétences pour la société et l’économie de la connaissance. Autrement dit l’école n’a de sens que si son action lui permet d’améliorer la situation du pays dans un contexte de mondialisation. Dès lors s’impose l’idée que les politiques éducatives doivent être jugées sur leurs résultats et évaluées de manière scientifiquement rigoureuse. Les deux chapitres suivants précisent les difficultés rencontrées par les politiques éducatives dans ce nouveau contexte socio-historique : d’un côté la mise en œuvre des politiques doit tenir compte du sens qu’en donnent les acteurs, de leurs intérêts ou de leurs valeurs ; de l’autre il faut concevoir des instruments de politique qui fournissent des résultats.

7 Les nouvelles politiques éducatives ont ainsi une cohérence interne. S’appuyant par exemple sur la nouvelle gestion publique qui importe les principes du management aux organisations publiques, les préconisations sont de libérer l’initiative des acteurs de terrain en donnant plus d’autonomie aux établissements, de favoriser une décentralisation qui permette d’apporter des réponses plus adaptées aux territoires, de raisonner dans une logique de quasi-marché pour que les acteurs opèrent des choix qui maximisent leur satisfaction … Pourtant, malgré sa cohérence ce paradigme se traduit toujours par des inégalités structurelles (que l’on compare simplement les destinées scolaires des enfants en fonction de la catégorie professionnelle des parents) mais par une satisfaction grandissante de ceux qui trouvent leur intérêt dans cette quasi-compétition pour les meilleures écoles.

8 Les deux derniers chapitres sont d’excellente facture et décrivent en détail la manière dont cohabitent la conception des politiques éducatives et leur mise en œuvre réelle. Dans le monde anglo-saxon se développent ainsi des méthodologies clés en main pour mettre en place le changement dans les écoles au nom de « l’efficience » ou de « l’amélioration ». Le fondement de l’action est d’implanter les meilleures pratiques dans le système éducatif ce qui a des implications très concrètes pour obtenir du financement, des ressources humaines et matérielles et est indissociable de l’obligation de rendre des comptes. L’exemple de la Comprehensive School Reform est emblématique à cet égard de cette nouvelle approche plus « gestionnaire » qui ressemble en bien des points à une sorte de taylorisme appliqué au monde scolaire. Politiques éducatives se termine ainsi par une analyse remarquable et approfondie du mouvement de l’éducation basée sur la preuve qui s’inspire des méthodes du monde médical pour proposer comme programme de recherche une évaluation systématique et quantitative des effets des réformes éducatives mises en œuvre afin de déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Cet idéal mécaniste se développe dans le domaine de la recherche en éducation et remet en question un champ dont l’identité a toujours été fragile, celui des sciences de l’éducation.

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