PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

« Travailler à faire connaitre la Bonne nouvelle du Salut » car  « c’est le Christ qui est […] le fondement du projet éducatif de l’école catholique»[1]. Tels sont les objectifs assignés par la conférence des évêques transcrit  dans le statut de l’enseignement catholique publié en juin 2013.  Ceux-ci  confirment, s’il en était besoin, leur incompatibilité avec le principe de laïcité réaffirmé et encadré en octobre 2013 par la « charte de la laïcité à l’école » du ministère de l’éducation nationale.

Comme à l’accoutumé montent à l’assaut les soutiens, les plus divers du communautarisme et libéralisme scolaires : « Faut-il s’inquiéter de la charte de la laïcité dans les écoles ? », la Vie et la Croix 30 aout 2013 ; « Laïcité à l’école : la charte liberticide de Peillon »[2] le Salon beige  3 septembre 2013 ; « La charte liberticide de Peillon – Peillon veut verrouiller l’expression des consciences au nom de la Laïcité à l’école – Peillon contre la liberté religieuse »[3] ; « La Charte de la laïcité attaquée par le CFCM », Le Figaro10 septembre 2013. 

Au-delà des critiques de certains mouvements catholiques, d’autres tel le CEDEC défend et revendique la charte du ministre de l’Education nationale : « Ce texte rappelle clairement ce que permet la laïcité conformément à la Constitution française et aux lois portant sur ce sujet. Tout dérapage pour contourner les exigences ici rappelées entrerait ainsi dans le champ de l’illégalité. »[4]

 Les syndicats d’enseignants des établissements privés séparément ou collectivement demandent au ministre de l’éducation« d’imposer la charte de laïcité »[5]et de travailler avec le programme « d’Éducation Morale et Civique -qui- est en train d’être élaboré »[6]. Cette charte, dit la FEP-CFDT « n’est pas une menace pour le caractère propre des établissements sous contrat ».

Néanmoins, « L’enseignement catholique n’est pas un enseignement public bis » déclare la présidente nationale de l’Apel,  et indique « on ne peut pas lui imposer ce document dans ses écoles. »  Elle insiste sur une proposition qu’elle a faite à l’enseignement catholique « il faudrait que l’enseignement libre entame une réflexion afin de créer un document supplémentaire, complémentaire, qui fasse le lien entre cette charte et nos valeurs »

L’enseignement catholique, lui, n’a de cesse de « contourner ces exigences » ministérielles. Il part du principe que  la morale prend nécessairement son enracinement dans les évangiles. Ses orientations pour la formation morale adoptées en avril 2014[7] « Au nom de l’Évangile, l’école catholique est attachée à la liberté des consciencesremarquons CE PLURIEL  -, à l’écoute des croyances dans leur diversité et accueillante aux différents parcours personnels. C’est pourquoi elle permet à chacun, au sein d’une communauté, de grandir en humanité, en répondant librement à sa vocation. »[8] L’enseignement catholique s’apprête ainsi à contourner la loi d’orientation pour l’école du 8 juillet 2013[9]. Concernant la morale souhaitée par Vincent Peillon et inscrite aux programmes, le secrétaire général de l’enseignement catholique précise : « Dès lors que nous ne sommes pas dans la vulgate d’une pensée obligatoire, nous ne nous opposons pas à cet enseignement de la morale» mais selon la doctrine de l’Eglise.

L’enseignement catholique petit à petit se réapproprie cette doctrine, ainsi avant son éducation civique et morale chrétienne, le 16 avril 2010, à la surprise du monde éducatif, il avait pris l’initiative inédite de publier un « Guide »,  catéchèse de la bonne « éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement »[10].

Le 1er octobre 2013, lors de son point de presse, le secrétaire général de l’enseignement catholique avait évoqué la question de la Charte de la laïcité : « Le document  ministériel  ne s’applique  pas aux établissements  privés  associés  à l’Etat  par contrat, et cela me paraît tout à fait logique. »«La laïcité républicaine, nous y adhérons pleinement. En revanche, la laïcité des établissements, nous ne pouvons y souscrire».Pour son  financement public, l’enseignement catholique adhère fictivement à la « laïcité  républicaine » pour s’en  affranchir au nom de sa liberté  de convertir subventionnée. Les drapeaux tricolores et européens ainsi que la devise républicaine doivent selon la loi de 2013 être apposés aux frontons des établissements publics et privés financés par la puissance publique. Le secrétaire général de l’enseignement catholique propose d’y ajouter une parole d’Evangile. Un moyen selon lui de marquer à la fois «l’appartenance ecclésiale» de ces établissements et le partenariat qui les lie à l’État. Une façon aussi de s’arroger, illégalement le droit de représenter un réseau confessionnel alors que les établissements privés « à caractère propre » passent, un à un, contrat avec l’Etat qui ne peut déléguer à aucun culte cette reconnaissance institutionnelle ni à un « secrétaire général de l’enseignement catholique ».

Oui, la laïcité s’oppose à la reconnaissance institutionnelle de religions.

Cependant, l’enseignement catholique, financé par l’Etat, se transforme   en structure de plus en plus ecclésiale. En effet, fin 2008, ce dernier devient « un service national de la conférence des évêques de France ». Alors que jusqu’ici, ce réseau fonctionnait sous tutelle d’une commission informelle de l’épiscopat encadrée par un évêque,[11]l’entité « enseignement catholique » est ainsi devenue, désormais, un service direct de l’Église catholique.  Cette modification fondamentale est passée sous silence. Le nouveau statut de l’enseignement catholique, de juin 2013, confirmera ce nouveau verrouillage des établissements sous contrat en renforçant le précédent statut de 1992. Le journal La Croix, le 26 mai 1992, commentait déjà en ces termes les orientations définies par la conférence des évêques : « L’Église reprend les rênes de l’école. » Aujourd’hui le même journal ne dit mot. C’est pourtant un retour à la loi Falloux de 1850 confirmé par le cardinal Vingt-Trois « Nous n’avons pas fait la réforme des statuts de l’enseignement privé mais la réforme de l’enseignement catholique. Il est d’abord confessionnel. Il a donc un caractère ecclésial ». Souvenons-nous pourtant de l’intervention de Michel Debré le 23 décembre 1959 à l’Assemblée nationale. Au moment du vote de la loi éponyme, il mettait en garde ceux qui avaient déjà, la tentation d’aller plus loin : «  … il n’est pas concevable, pour l’avenir de la nation, qu’à côté de l’édifice public de l’Éducation nationale, l’État participe à l’élaboration d’un autre édifice qui lui serait en quelque sorte concurrent… ». Dans ses mémoires il rappellera opportunément : « Ni l’Église en tant que telle ni aucune association nationale ne peut être le partenaire du ministère de l’Éducation nationale ; la coopération des deux enseignements se fera donc à l’intérieur d’un service public pluraliste grâce à des contrats qui seront passés par l’éducation nationale avec des établissements. »[12]

Michel Debré déclarait ne pas vouloir que sa loi s’inscrive dans une logique explicitement cléricale. Logique qui avait cours depuis la loi du 31 décembre 1941, abrogée en 1944, qui prévoyait des subventions aux établissements privés, grâce au décret du 7 janvier 1942 mentionnant à l’article 9 : « Lorsque l’école (privée) se reconnaît un caractère confessionnel et relève comme telle d’une autorité religieuse, cette autorité religieuse a seule qualité pour présenter les demandes de subvention et agir devant les commissions consultatives et supérieures. »

 Une « Charte de la laïcité à l’école » peut en cacher une autre

 Le groupe de presse Bayard (La Croix, Milan Presse, La Vie) affilié à la « Fédération des medias catholiques » a relayé largement les critiques et les réserves du secrétaire général de l’enseignement catholique sur la charte de la laïcité du ministère. La présidente nationale des parents de l’enseignement catholique appelle de ses vœux : « … un groupe de travail au sein de l’Enseignement catholique pour adapter cette charte à ses réalités et aider, en les formant, ses enseignants à en débattre avec les élèves et leurs parents. »  Concomitamment,« Milan Presse et la Ligue de l’enseignement se sont associés pour créer la charte de la laïcité expliquée aux enfants. »[13]. De fait, il n’est pas interdit de s’interroger sur les motivations profondes qui conduisent à l’émergence de cette deuxième charte de la laïcité lorsque l’on connait le soutien historique, inconditionnel  de la « Fédération des medias catholiques »[14]et de Milan Presse une de ses composantes à l’enseignement catholique.

Il est précisé sur le site de Milan : « Les textes ont été retravaillés avec la Ligue de l’enseignement, et illustréavec humour par le dessinateur. Cette séance d’actu accompagne la lecture et la compréhension de cette version de la Charte ».  C’est donc bien une nouvelle version commentée sur le site de Milan Presse.

La réécriture de cette charte fait apparaitre la suppression du terme « laïcité » 12 fois et un ajout des termes « religion » ou « religieux » 7 fois. Le vocable laïcité est maintenu bien évidement dans le titre de la charte revue et les deux sous-titre. Il eût été difficile de les supprimer dans les intitulés ce document destiné à expliciter la laïcité.

Prenons l’article 2, le texte ministériel énonce : «  La République laïque organise la séparation des religions et de l’État. L’État est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Il n’y a pas de religion d’État ». La réécriture Ligue de l’Enseignement- Milan Presse devient : « La France n’impose pas de religion et n’en interdit aucune ». Certes, ce n’est pas totalement faux, mais très  incomplet. Ainsi on évacue la neutralité de l’Etat à l’égard des religions. C’est une conception d’une « laïcité positive » revendiquée par l’enseignement catholique et ses soutiens, pour contrer la neutralité. « On n’impose pas la religion » disent-ils, « on la propose ». Ce deuxième texte ne dit pas autre chose. Cette démarche n’est-elle pas aussi revendiquée par les soutiens au statut d’Alsace Moselle pour perpétuer la reconnaissance de religions instituées ?

Autre article, le 9 : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. » indique la charte du ministère. Quant à la version revue : « À l’école, personne n’a le droit de t’insulter et de te faire violence. Personne ne peut être exclu à cause de sa religion, de son sexe ou de la couleur de sa peau. »  L’article 9 est révélateur des intentions : »personne ne peut être exclu… ». C’est toujours la loi du  15 mars 2004 sur les signes religieux qui est en jeu! Cette loi ne s’applique d’ailleurs pas à l’enseignement catholique.

 Dix jours après les annonces de la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, pour « la défense des valeurs de l’école » – un plan en 11 mesures remettant à l’honneur la laïcité et les valeurs républicaines –, l’enseignement privé catholique a dévoilé, mardi 3 février, un pan important de sa mobilisation : le volet « formation morale ».[15]

« Il peut y avoir plusieurs écoles dans la République ; il n’y a et il ne peut y avoir qu’une seule Ecole de la République »[16] déclarait habilement Pierre Mauroy (Premier ministre de l’époque)  lors du rassemblement du Bourget le 3 mai 1982, à la vive irritation des participants car il occultait ainsi la nécessité de remettre en cause le pluralisme scolaire institué et financé par l’Etat et en soutenait, de fait, le principe.  

Eddy KHALDI

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