PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In VousNousIls – le 6 février 2014 :

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Le cher­cheur et spé­cia­liste du cli­mat sco­laire Georges Fotinos a été audi­tionné jeudi der­nier par la Commission des affaires cultu­relles et de l’éducation de l’Assemblée natio­nale sur la ques­tion de la rela­tion école-parents. Il pro­pose des pistes pour amé­lio­rer cette rela­tion sou­vent tendue.

La rela­tion entre l’école et les parents n’est plus du tout la même aujourd’hui qu’aux pre­miers temps de la République. Quelles en ont été les prin­ci­pales évolutions ?

En 1882, les parents avaient qua­si­ment l’interdiction d’entrer dans les écoles. Ils n’ont com­mencé à deve­nir par­te­naires de l’école qu’à par­tir de 1905, avec la créa­tion d’associations de parents dans le secon­daire. Les chan­ge­ments ont été très pro­gres­sifs?; dans les années 1930, le phi­lo­sophe et pro­fes­seur de lycée Alain écrit encore que "la famille ins­truit mal et éduque mal" !

Parallèlement, dans le pri­maire, les ensei­gnants ont com­mencé à avoir un code de morale pro­fes­sion­nelle et de déon­to­lo­gie appelé "Code Soleil", à par­tir de 1923 et jusqu’en 1977 : il com­por­tait un cha­pitre entier sur les rap­ports avec la famille. Il deman­dait notam­ment à l’instituteur de "gar­der avec les familles un contact indis­pen­sable", ou encore d’"appuyer son auto­rité sur celle du chef de famille".

Le par­te­na­riat se concré­tise avec la créa­tion en 1975 du conseil d’école, pour ins­ti­tu­tion­na­li­ser et régler les rela­tions entre parents élèves et maîtres. Puis dans les années 1990, des textes de loi et des cir­cu­laires rénovent le ser­vice public pour le mettre "à dis­po­si­tion des usa­gers", avec des prin­cipes de trans­pa­rence, d’évaluation et d’information. De par­te­naires, cer­tains parents deviennent alors "clients" et consom­ma­teurs d’école, et la concur­rence entre ensei­gne­ment privé et public s’instaure.

Quelle est la pro­chaine étape de cette relation ?

La nou­velle phase qui devrait main­te­nant s’ouvrir, ins­crite dans la loi de Vincent Peillon et réaf­fir­mée dans la cir­cu­laire du 15 octobre 2013, est celle de la co-éducation. On ne can­tonne plus les parents à l’extérieur, ils doivent par­ti­ci­per au fonc­tion­ne­ment de l’établissement sco­laire et à l’élaboration des pro­jets éducatifs.

Cela n’est pas encore acquis. Tout par­te­na­riat doit être fondé sur une recon­nais­sance réci­proque et bien­veillante des com­pé­tences et des apports de cha­cun, ainsi que sur une confiance mutuelle et une égale dignité dans le dia­logue. Or, selon une enquête de vic­ti­ma­tion que j’ai menée auprès de direc­teurs d’école et de per­son­nels de direc­tion en col­lège et lycée, les ten­sions avec les parents sont nom­breuses et se trans­forment par­fois en vio­lences. 73% des per­son­nels de direc­tion et 56% des direc­teurs d’école disent avoir eu des dif­fé­rends avec les parents d’élèves durant l’année 2012–2013, et envi­ron un tiers des per­son­nels de direc­tion et un quart des direc­teurs affirment avoir été mena­cés ou insul­tés au cours de l’année passée.

Le lien avec les parents d’élèves serait donc en train de se dégrader ?

Certains parents se sont vrai­ment cou­pés de l’école publique et laïque, comme on l’a vu tout récem­ment avec les ABCD de l’égalité et le retrait d’élèves. Les rumeurs n’auraient pas pu se déve­lop­per s’il y avait eu un par­te­na­riat réel, s’il y avait eu une infor­ma­tion régu­lière de la part des ensei­gnants, si les parents savaient ce qui se passe vrai­ment dans les écoles. Il est abso­lu­ment néces­saire de recréer ce lien. Si nous ne le fai­sons pas, les parents qui peuvent se le per­mettre vont quit­ter l’enseignement public pour le privé, et il n’y aura plus de mixité sociale dans les écoles. Et après, com­ment faire vivre ensemble des citoyens qui ont été éduqués sépa­ré­ment sans se connaître ? Le com­mu­nau­ta­risme va s’amplifier.

Quelque 65% des per­son­nels de direc­tion et 40% des direc­teurs d’école consi­dèrent déjà que les délé­gués de parents d’élèves ne sont pas repré­sen­ta­tifs de l’ensemble des parents de leur établis­se­ment. Il faut recréer de la mixité sociale, en inci­tant les parents à par­ti­ci­per beau­coup plus au fonc­tion­ne­ment de l’école.

Que proposez-vous pour assai­nir la rela­tion école-parents ?

Il fau­drait par exemple créer un sta­tut de délé­gué de parent d’élève. Certains parents ne peuvent pas s’affranchir de leurs obli­ga­tions pro­fes­sion­nelles, sur­tout dans les classes défa­vo­ri­sées. Mais s’il y avait un sta­tut, il y aurait un dédom­ma­ge­ment, et l’employeur serait forcé de l’accepter. Il faut faire bou­ger le Code du tra­vail sur ce point. Dans ces condi­tions, le délé­gué ne serait plus un simple parent d’élève, mais le repré­sen­tant des citoyens qui l’auraient élu, et il devrait aussi leur rendre des comptes.

Par ailleurs, les ensei­gnants et les direc­teurs devraient être for­més à la rela­tion avec les parents. Il y a déjà eu des modules de for­ma­tion ini­tiale et conti­nue sur ce point, en par­ti­cu­lier à l’IUFM de Créteil : il faut les res­sor­tir. Ensuite, il faut concré­ti­ser, en construi­sant ensemble des pro­jets. La rela­tion école-parents doit être un axe du pro­jet d’établissement. Il faut des espaces de dia­logue avec les parents, pas seule­ment des lieux où les parents sont reçus et res­tent pas­sifs. Il faut aussi pré­pa­rer avec eux l’orientation des élèves : on peut leur confier la déci­sion de l’orientation de leurs enfants s’il y a eu une pré­pa­ra­tion en amont, au moins deux ans avant la 3ème. Cela a déjà été expé­ri­menté avec suc­cès. Il faut leur ouvrir davan­tage l’établissement, les ame­ner à s’impliquer davan­tage — et que les ensei­gnants l’acceptent.

Quentin Duverger

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