PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Nouvel Observateur – le 1er septembre 2013 :

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A l’heure de la rentrée scolaire, le sociologue François Dubet passe au crible la réforme de Vincent Peillon et revient sur les blocages du système.

Le niveau des élèves baisse. La France dégringole dans les évaluations internationales, en lecture, en sciences, en maths. Les mesures mises en oeuvre à la rentrée dans le primaire (plus de professeurs que de classes, scolarisation de 30% d’enfants de 2 à 3 ans dans les zones défavorisées, retour à la semaine de 4,5 jours pour mieux étaler les apprentissages…) sont-elles de nature à redresser la situation ?

– Les mesures de Vincent Peillon ne seront pas inutiles. Surtout, elles indiquent une tendance et une volonté. Mais le risque serait de croire que chacune de ces mesures serait un remède miracle. S’il est bon d’offrir des structures d’accueil aux enfants de 2 à 3 ans, il serait imprudent de penser que le niveau scolaire augmentera automatiquement ; après tout, la démonstration n’en a jamais été faite de manière irréfutable et bien des pays scolarisant plus tard ont de meilleurs résultats que nous.

L’aménagement des rythmes scolaires est une bonne chose, mais le fait de confier les enfants à des animateurs ne suffira pas à accroître les performances ; il faudrait aussi que les élèves aient plus de temps pour travailler. Ce qui passe par des jours de classe plus nombreux et moins chargés. Nous concentrons encore trop d’heures dans trop peu de journées.

Le ministre recrute aussi 54.000 enseignants supplémentaires…

– Le fait d’ajouter des professeurs est une excellente mesure, mais elle ne suffit pas ! Voyez ce qui s’est passé dans les ZEP : l’attribution de postes supplémentaires n’a parfois rien changé aux manières de travailler et aux résultats des élèves. Recruter des professeurs va dans le bon sens, à condition qu’on leur demande de travailler autrement. Le coeur de l’affaire est la transformation des pédagogies, ce qui suppose des moyens, mais ne se limite pas à eux seuls.

C’est aussi l’avis de la Cour des Comptes, qui lie les "résultats insatisfaisants de l’école" à l’utilisation défaillante des moyens existants.

– C’est un fait ! On sait que des pays qui ont de meilleurs résultats scolaires que nous et autant d’inégalités sociales ne consacrent pas plus de ressources à l’éducation. En général, ils donnent plus au primaire et moins au lycée. Mais surtout ils ont engagé une véritable professionnalisation des enseignants. Ils ont appris à individualiser les pédagogies, ils ne sont pas obsédés par les notes et les classements, ils créent une école chaleureuse et accueillante, ils travaillent avec les parents, ils traitent les difficultés scolaires dans l’école elle-même sans les externaliser dans une multitude de dispositifs de soutien… Bref, je partage le bilan de la Cour des Comptes : les moyens nouveaux devraient être mis au service d’une transformation profonde du travail scolaire lui-même.

La voyez-vous se profiler dans la loi sur la refondation de l’école ?

– Pour le moment, ce n’est pas clair. Force est de constater que Vincent Peillon se heurte là à des blocages profonds de notre système. Prenons l’exemple de l’articulation entre l’école élémentaire et le collège. Pour être plus efficace, plutôt que d’être bâti comme un petit lycée, le collège devrait être le prolongement de l’école élémentaire, afin que les élèves ne passent pas brutalement d’un maître d’école à une dizaine de professeurs. Mais il semble extrêmement difficile d’opérer cette conversion, d’accentuer la polyvalence des professeurs de collège, d’offrir une formation commune aux professeurs des écoles et aux professeurs de collège. Alors, on s’en remet aux bonnes volontés, nombreuses, mais insuffisantes.

Nos élèves sont champions pour le manque de confiance en eux. Or les travaux des neurobiologistes montrent que l’acquisition des connaissances se fait d’autant mieux qu’elle est liée au sentiment de plaisir. La nouvelle école de Vincent Peillon se fait-elle l’écho de ces découvertes ?

– Assez peu. Depuis trente ans, nous sommes obsédés par l’efficacité et l’équité du système scolaire ; nous ne parlons que de performances et d’inégalités. C’est évidemment essentiel. Mais nous avons perdu de vue que l’école est aussi une institution d’éducation où des jeunes apprennent à grandir, à devenir des individus autonomes et des citoyens actifs, confiants dans les autres et en eux-mêmes. Cela ne signifie pas que les enseignants sont autoritaires et répressifs, mais notre tradition scolaire repose encore sur le clivage entre l’instruction et l’éducation. Aussi confions-nous la vie scolaire aux conseillers d’éducation et aux animateurs et, sauf militantisme de quelques équipes enseignantes, la vie scolaire est particulièrement pauvre. Non seulement le plaisir d’aller à l’école et celui d’apprendre ne sont pas tenus pour essentiels, mais on ne cesse de dénoncer le laxisme et le laisser-aller. On se méfie souvent des parents. A cette tradition pédagogique s’ajoute la pression qui pèse sur les élèves, sur les enseignants et sur les familles. Cette culture scolaire profondément enracinée contribue à la formation d’inégalités scolaires excessives et à la reproduction de ces inégalités.

Le constat est désespérant. Quelles pistes pourrait-on imaginer pour améliorer les choses ?

– Peut-être devrions-nous cesser de tout attendre de l’école, et de penser qu’il n’y a pas de mérite véritable en dehors d’elle. Il faudrait développer la formation permanente, assouplir le jeu des filières, nous convaincre que la vie d’un individu n’est pas jouée à 17 ans avec ses résultats scolaires, et même cesser d’expliquer que tout est joué à 5 ans ! Comment avoir confiance en soi dans ces conditions ? Comment ne pas haïr l’école si on a échoué ?

Les ESPE (Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education) ne semblent pas non plus préparer les futurs enseignants à changer de paradigme…

– On peut être déçu que les ESPE rappellent étrangement les IUFM, alors qu’une formation professionnelle aurait exigé un modèle proche de celui des écoles d’ingénieurs par exemple. Vincent Peillon avait l’opportunité d’opérer un virage historique en reconnaissant que l’enseignement est un métier qui s’apprend, comme celui d’ingénieur ou de médecin. On serait entré dans une école professionnelle à bac+1 ou bac+2 pour apprendre un métier. Or, dans cette réforme, le poids essentiel reste celui de la formation académique, qui, pour les enseignants du secondaire, fonde leur identité et leur légitimité. Nous savons bien que c’est très insuffisant.

De même, la formation permanente ne peut pas dépendre des désirs aléatoires des uns et des autres. J’ajoute qu’un recrutement précoce aurait sans doute contribué à accroître la diversité sociale des personnes recrutées, car, à bac+4 ou bac+5, le public étudiant est nettement plus "embourgeoisé" et choisit l’enseignement parfois faute de mieux. Quant à prendre en compte le bien-être des élèves, les ESPE en sont loin…

Les enseignants continueront d’avoir des inspections comme par le passé, stressantes et souvent inutiles…

– Au collège et au lycée, en effet, le système de l’inspection me semble à la fois usé et un peu rituel. Je ne suis pas certain qu’il aide beaucoup les enseignants, même s’ils y sont attachés parce que cette inspection qu’ils redoutent les préserve du jugement de leurs pairs, de leurs élèves et du chef d’établissement. On pourrait imaginer plutôt des inspecteurs de la vie scolaire, plus proches des équipes éducatives et capables de les aider. Ou des enseignants confirmés qui consacreraient une partie de leur temps à cette activité de soutien et d’animation. De manière générale, on devrait circuler plus aisément dans le système : quarante ans à faire la même chose, c’est long.

Vincent Peillon a été d’une prudence de Sioux, en ne touchant pas aux obligations de service des enseignants, qui datent de 1950…

– C’est évidemment un enjeu décisif, non pour faire davantage travailler les enseignants, mais pour qu’ils restent plus longtemps dans leur établissement. Plus d’adultes à l’école permettrait de renforcer son rôle éducatif, et réduirait les incivilités. Mais c’est tout l’inverse qui se produit. Le métier étant devenu très difficile, les professeurs ont plutôt tendance à s’échapper au plus vite. Un cercle vicieux… Peut-être Vincent Peillon aurait-il pu lier la réforme du statut à la création des écoles professionnelles et choisir de consacrer ses ressources à améliorer ce statut plutôt qu’à recruter des professeurs. Mais il suffit de voir ce qui s’est passé avec les rythmes scolaires pour comprendre que le ministre "marche sur des oeufs".

Au collège, rien de très nouveau. Les grandes structures restent en place : programmes, découpage par heures de l’emploi du temps, orientation par défaut vers la filière professionnelle des élèves les plus faibles.

– L’identité des enseignants reste définie par le programme, la discipline enseignée et la hiérarchie des disciplines. Vincent Peillon a, semble-t-il, choisi de ne pas porter le fer sur cet enjeu pourtant décisif. Là encore il me semble qu’une nouvelle formation et un nouveau statut auraient peut-être été une stratégie efficace. Mais je dois avouer qu’il est plus facile de conseiller que d’agir, connaissant l’attachement des enseignants à ce modèle dont chacun mesure bien les effets pervers.

De même, le lycée reste toujours conditionné par les programmes très lourds et par le bac, qui verrouille le système. Rien de neuf à l’horizon ?

– Xavier Darcos avait proposé une réforme des lycées cassant le jeu des filières. Elle a été refusée sans appel, et je ne vois guère comment la situation pourra changer. Peut-être faudrait-il s’interroger sur la double fonction du bac. D’un côté, c’est un certificat de fin d’études secondaires ; de l’autre, c’est un pré-concours de recrutement dans l’enseignement supérieur par le jeu des filières et des mentions. Pendant ce temps, 40% de l’enseignement supérieur sélectionne plus ou moins. Peut-être faudrait-il distinguer un jour ces deux fonctions du bac en laissant l’enseignement supérieur orienter et sélectionner sous réserve que tous les bacheliers aient une place. Bien des pays procèdent de cette manière et semblent ne pas s’en porter plus mal.

Peut-on espérer, avec cette réforme, que l’école en France soit moins injuste ? Qu’elle reproduise moins les inégalités sociales de départ ?

– Le système scolaire est une machine extrêmement lourde qui ne peut changer d’un coup. Les réformes du gouvernement vont dans le bon sens dans la mesure où le diagnostic posé sur l’école me semble juste. Mais elles évitent de se heurter à tous ces points de blocage évoqués. En définitive, et la remarque excède très largement la politique de Vincent Peillon, on peut se demander si la France a toujours la capacité politique de changer l’école sans risques politiques excessifs.

Vincent Peillon emploie-t-il la bonne méthode avec les enseignants ? Comment pourrait-on rendre les réformes acceptables et désirables à leurs yeux ?

– Je me garderai bien de jugements rapides : depuis quelques décennies des styles ministériels contrastés se sont succédé sans que l’un d’eux s’impose. Les ministres de droite sont considérés comme des adversaires a priori ; et ceux de gauche, comme des alliés qui devraient se borner à donner plus de moyens. L’équation est complexe. Il faut affirmer une volonté de changement, tout en sachant que l’on ne peut se passer de l’adhésion des organisations syndicales. Choisir la force conduit au blocage ; choisir l’adhésion conduit à l’inaction. Il faut sortir le débat scolaire du cercle étroit dans lequel il se développe.

Certes, Vincent Peillon a organisé une grande consultation l’été dernier sur l’école, mais je pense qu’il pourrait en appeler plus nettement encore aux parents, aux associations et organisations minoritaires mais réformistes, pour redire que l’école n’appartient pas à ceux qui la font vivre et qui en vivent. On pourrait imaginer que le Parlement et le président s’en saisissent plus nettement comme un enjeu national. Chacun sait que l’école n’est pas en bon état et qu’il s’agit là d’une question aussi importante que celles du chômage ou du développement industriel.

Au rythme où nous allons, comment voyez-vous l’école dans dix ans ?

– Si l’on ne fait rien, je pense que le fonctionnement de l’école publique se rapprochera de celui d’un marché. Et, dans ce cas, les élèves faibles et défavorisés y croiront moins encore, pendant que les industries culturelles offriront des alternatives éducatives dont on peut tout craindre. Nous aurions donc intérêt à nous donner des objectifs modestes et des moyens pragmatiques de les atteindre. Nous ne pourrons pas éternellement faire des promesses que nous ne tenons pas.

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