PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

in le COURRIER de Genève :

Accéder au site source de notre article.


CYCLE D’ORIENTATION  Un travail de Bachelor, qui donne la parole aux professionnels, montre que la prise en charge des élèves décrocheurs au Cycle d’orientation demeure insuffisante.
 

Malgré les mesures instaurées par le Département de l’instruction publique (DIP) pour lutter contre l’abandon
scolaire, le système peine à satisfaire des besoins toujours plus importants. C’est en tout cas ce que révèlent les conclusions d’un travail de Bachelor de deux étudiantes de la Haute école de travail social (HETS) sur «les décrocheurs genevois du secondaire I»1. A travers le regard de professionnels du social et de l’enseignement, les auteures tentent un éclairage sur une «école qui se veut pour tous, mais qui n’a pas tous les moyens pour réaliser son objectif».
En Suisse, l’école est obligatoire jusqu’à quinze ans, âge qui correspond à la fin du Cycle d’orientation (CO) pour les élèves genevois. Pourtant, certains d’entre eux n’atteignent pas la fin de cette scolarité obligatoire. Pour de multiples raisons, les «décrocheurs» ne parviennent plus à suivre le rythme scolaire, ils désertent les bancs de l’école ou s’en voient exclus, temporairement ou définitivement.

Classes-atelier et dispositifs relais
Absent régulièrement? Absent constamment? Présent seulement physiquement? «Difficile de cerner le profil de l’élève décrocheur», estime Nicole Lavanchy, professeure à l’HETS et qui a dirigé le travail. D’autant plus que les élèves perturbateurs ont tendance à monopoliser la prise en charge, au détriment d’autres, plus discrets, mais qui décrochent aussi, remarque un enseignant. Un premier constat corroboré par l’absence de statistiques précises permettant d’évaluer le nombre d’élèves décrocheurs au Cycle. «Compte tenu de la définition floue dont il dispose, le décrochage scolaire est difficilement quantifiable», confirme Brigitte Vitorri, professeure à l’HETS et jurée à la soutenance du travail.
Le DIP tente néanmoins de gérer les décrocheurs identifiés à travers des mesures de prévention et d’intervention, classes-atelier et dispositifs relais. Des élèves de plus en plus nombreux, comme en attestent certaines indications chiffrées que le Service de la recherche en éducation (SRED) est en mesure de fournir.
Il y a par exemple toujours plus d’élèves dans les classes-atelier. Celles-ci accueillaient 114 élèves en 2004, ils seront environ 180 en 2014. Moins ambitieux et plus personnalisé, le programme des classes-atelier privilégie les activités manuelles. «A l’origine, cette classe n’est pas conçue pour des élèves qui ont des problèmes de comportement, mais bien comme un véritable outil pour des gamins pas très scolaires», relève un enseignant. Mais dans l’urgence, la classe-atelier sert tous les besoins.

Manque de places et de moyens
Le dispositif «relais externe», qui accueille temporairement les élèves présentant des troubles du comportement en leur offrant un suivi psychologique, demeure peu développé: seules 9 places sont disponibles à l’échelle du canton. Pourtant, le travail de mémoire révèle qu’en moyenne 10 à 30 élèves par CO auraient besoin d’un tel encadrement. Conscients du manque de places, les enseignants se limitent à présenter un seul dossier par établissement.
Même constat avec le «relais interne», sorte de classe spécialisée regroupant des élèves difficiles, qui enregistre deux fois plus de demandes qu’il ne dispose de places.
Quant aux passerelles instaurées avec la réforme du CO, ces mesures d’appui favorisent la mobilité entre les différentes sections. S’il ne s’adresse pas spécifiquement aux élèves décrocheurs, ce système permet toutefois de leur accorder une plus grande attention.
Plusieurs enseignants interrogés relèvent par ailleurs le manque de professionnels au Service de la protection des mineurs (SPMI), avec lequel l’école est parfois amenée à collaborer, ainsi que le nombre insuffisant de places dans les foyers. «Tant qu’il ne commet pas de délit, l’élève difficile n’est pas prioritaire», déplore un éducateur.
En revanche, l’instauration d’un Réseau d’enseignement prioritaire (REP) a permis d’augmenter les effectifs d’enseignants dans les établissements particulièrement sensibles. A ce jour, quatre CO sont inscrits dans ce réseau. «Même si elles ne sont pas parfaites, ces mesures ont le mérite d’exister», souligne Mme Vittori.
Le DIP n’a pas souhaité répondre à nos questions avant la conférence de presse de rentrée qui a lieu aujourd’hui. I


DE MULTIPLES FACTEURS

Perte de motivation, agressivité, manque d’intérêt, changement d’établissement…: les signes annonciateurs de l’élève qui «perd pied» sont multiples. L’absentéisme reste néanmoins la manifestation la plus courante. Les directeurs d’établissements estiment que 10 à 15% des élèves le pratiquent de manière occasionnelle et 1 à 4% de manière risquée voire massive.
Quant aux causes qui poussent l’élève à rejeter l’institution scolaire, elles trouvent racine aussi bien dans des problèmes personnels que scolaires ou familiaux: troubles du comportement, difficultés scolaires, refus de l’autorité, faible estime de soi ou encore manque de cohésion familiale. Le décrochage serait également plus important au sein des familles disposant de peu de moyens.
Dans la recherche des facteurs à l’origine du phénomène, la responsabilité de l’école doit également être prise en compte. Face à un système trop rigide, un programme qui va trop vite, une pression constante à la réussite, certains élèves auraient «simplement besoin de plus de temps ou d’écoute», remarque un enseignant.
Si «le décrochage n’est pas un phénomène nouveau, ses conséquences sont en revanche plus graves aujourd’hui», remarque Brigitte Vittori, professeure à l’HETS. Elle pointe du doigt une société toujours plus exigeante où règne la course au diplôme sur fond de crise économique. «Le regard posé sur ces jeunes complètement déconnectés et privés du bagage scolaire requis est très dur.» On doit pouvoir proposer un autre message que le traditionnel «bosse, fais des diplômes et t’auras du boulot», estime un enseignant. sro
 

En lien avec cet article: 

Le défi du décrochage scolaire

Genève a jusqu’en 2017 pour se conformer à la nouvelle Constitution, qui rend la formation obligatoire jusqu’à 18 ans. Mais le canton dit ne pas vouloir attendre pour s’occuper des quelque 400 à 500 jeunes qui, après l’école obligatoire, abandonnent leur formation sans trouver de projet alternatif. Plusieurs mesures seront mises en place dès cette rentrée. L’article constitutionnel …

 

Le décrochage vu de l’intérieur

Confronté à une population de jeunes adultes sans formation, Philippe Sprauel, responsable du service Point jeunes à l’Hospice général, considère que le décrochage trouve racine dans la scolarité obligatoire. «Certains jeunes sortent du Cycle en étant non promus, d’autres n’ont pas acquis le minimum de compétences requises pour le marché du travail.» La prévention est donc primordiale: «Au-delà de l’élève, il y a le citoyen, l’individu qui appartient à la société, et c’est lui qu’il faut former à la vie d’adulte afin qu’il puisse être autonome.» Il déplore néanmoins des mesures insuffisantes pour les jeunes «très marginalisés».
C’est bien au Cycle que Damien* a commencé à décrocher. Interrogé dans le cadre d’un autre travail de Bachelor2 à l’HETS, qui donne cette fois la parole aux décrocheurs, il revient sur son parcours jalonné de difficultés. Des problèmes familiaux «déteignent sur [s]es résultats scolaires», la consommation de stupéfiants lui «démonte la motivation», il fait «2-3 crasses» et se retrouve en internat où il parvient à terminer sa scolarité obligatoire. Il est aujourd’hui âgé de 21 ans et travaille dans un magasin.
Clara*, 16 ans, a souffert de phobie scolaire. Timide, la jeune fille éprouve des difficultés avec ses camarades et se sent mise à l’écart. Au fil du temps, elle se renferme sur elle-même et ne se sent plus en sécurité. Elle évite l’école et finit par l’abandonner. Déscolarisée pendant un an, elle travaille à présent dans un salon d’esthétique. «L’école ce n’était pas pour moi.»

Michel*, 16 ans, s’apprête à entrer au Collège. Il n’oublie pas comment il a décroché: «Gentiment, tu commences à moins aller en cours, à perdre un peu le fil et finalement tu lâches le truc.» Le déclic intervient lorsqu’il commence à fumer du cannabis. L’école ne l’intéresse plus, son transfert dans un niveau inférieur achève de le décourager. Durant deux ans, il passe de foyer en foyer avant de «remettre les pieds sur terre». SRO

Des solutions pour l’avenir

Avec la nouvelle Constitution cantonale, aucun jeune ne devra être laissé au bord du chemin puisque la formation, dès 2017, sera obligatoire jusqu’à 18 ans. Dans cette perspective, le Département de l’instruction publique (DIP) va instaurer de nouvelles mesures dès cette rentrée afin de lutter contre le décrochage dans le post-obligatoire, comme l’a révélé la Radio télévision suisse (RTS) cet été.
Parmi elles, l’interdiction pour le jeune d’abandonner sa formation sans avoir un nouveau projet, la possibilité de changer d’orientation sans perdre une année ou encore le dispositif «Espace Lullin» destiné à accueillir des jeunes fragilisés.

Des institutions tentent d’ores et déjà d’aider les décrocheurs à sortir de la spirale de l’échec. Le dispositif d’encadrement et d’orientation SEMO (semestre de motivation) compte parmi les solutions proposées. Chaque année, il accueille une soixantaine de jeunes en rupture, pour une durée de six à douze mois. «Parmi eux, certains n’ont pas terminé leur scolarité obligatoire», explique Eric Mezin, le responsable adjoint. Agés de 15 à 25 ans, les jeunes sont confrontés à différents «freins à l’insertion»: addictions, manque de soutien familial, précarité ou problèmes de santé.
Ateliers manuels, remise à niveau, coaching et bureautique: «Tout est mis en œuvre pour permettre au jeune de trouver une formation professionnelle adéquate», déclare M. Mezin.

Autre alternative pour les jeunes qui ont accumulé des lacunes: le Centre de transition professionnelle (CTP), qui fait office de «12e» année du CO. La fréquentation du lieu est en constante hausse. En 2004, 194 élèves ont bénéficié des remises à niveau offertes par le CTP; ce chiffre s’élevait à 508 en 2011.
A l’Hospice général, le centre Point jeunes travaille avec des adultes âgés de 18 à 25 ans, qui sont pour la plupart sans formation ni emploi.

«La plupart des jeunes qui font appel à nous n’ont pas les prérequis pour intégrer un centre de remise à niveau ou de formation professionnelle de type SEMO ou CTP», explique Philippe Sprauel, responsable du service Point jeunes. «Ils ont de la peine à se projeter, à envisager des perspectives positives pour leur avenir. Notre travail consiste avant tout à (re)construire un sens, à leur faire comprendre que les démarches qu’ils effectuent sont bénéfiques pour eux et non pour les autres.»
En 2012, le travail de Point jeunes, entre autres, a permis à une centaine de jeunes de «raccrocher une formation professionnelle ou d’entamer des études», soit environ 20% de la population suivie. SRO

 

 

1 Travail de Bachelor rédigé par Christine Guilloud et Clarisse Tornay en juin 2013 à la Haute école de travail social (HETS) de Genève.

2 «Comprendre le décrochage scolaire»,
travail de Bachelor rédigé par Mary Gentile et Marie Warynski, en mai 2013 à la Haute école de travail social (HETS) de Genève.

Print Friendly

Répondre