PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Fondation Ifrap – le 14 juin 2013 :

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L’Éducation Suisse doit faire face à plusieurs challenges : une autonomie cantonale inébranlable, quatre langues officielles et une très forte présence étrangère, le tout sur une petite superficie. La politique éducative suisse ou plutôt les politiques éducatives se décident exclusivement au niveau local (cantonal et/ou municipal) et toute intervention d’un État est réfutée. L’Éducation n’est pas une préoccupation nationale mais une compétence régionale. En résulte un paysage éducatif très hétérogène mais performant où les citoyens peuvent eux-mêmes, dans la grande tradition suisse, directement décider des modalités d’Éducation de leurs territoires.

Une responsabilité exclusivement cantonale

L’enseignement obligatoire relève de l’action des cantons et des communes, il n’y a d’ailleurs pas de ministre de l’Éducation fédéral. L’État fédéral n’intervient que dans le domaine de la fixation des programmes de la formation professionnelle après concertation avec les entreprises. Similaire au modèle allemand, chaque canton suisse légifère sur les questions d’éducation à travers son Parlement et son gouvernement où siège un chef du département Éducation, Culture et Sport. Dans chaque ministère de l’Éducation, des directions générales se chargent de rédiger les dossiers sur l’enseignement primaire, le secondaire, la formation professionnelle, l’orientation et les programmes pédagogiques qui seront débattus dans les commissions parlementaires. Le Parlement vote aussi le budget général alloué à la politique éducative du canton. Les cantons sont donc responsables de l’intégralité de l’enseignement obligatoire (qui peut inclure le niveau maternel et de la petite enfance) et de l’enseignement supérieur inférieur, au terme duquel les élèves doivent trancher entre poursuivre une formation générale ou suivre une formation professionnelle. Les cantons légifèrent également sur l’enseignement privé au sein de leur territoire, notamment en délivrant les autorisations et, afin de garantir un label de qualité des enseignements, 80% des établissements privés suisses se sont regroupés en fédération (Fédération Suisse des Écoles Privées ou FSEP) [1]. Enfin, une spécificité du système suisse réside dans le fait que les cantons sont également responsables de l’enseignement supérieur et des universités, habituellement sous autorité nationale (comme en France) ou fédérale (comme en Allemagne).

Les communes gèrent ensuite les établissements scolaires avec des niveaux de responsabilité variant selon les cantons et leurs densités de population. En effet, si 40% des communes suisses ont moins de 500 habitants, 45% de la population se concentre dans des villes de plus de 10.000 habitants. Les plus grandes villes possèdent d’ailleurs leur propre organe législatif. De manière générale, les communes assurent et surveillent le fonctionnement de l’école publique. Elles organisent la maintenance des établissements, engagent le personnel (enseignant ou non) et peuvent verser une part de leurs salaires, comme dans le canton de Zurich où les communes prennent en charge près de 80% du salaire des professeurs.

Un point essentiel du système suisse est que le partage de la responsabilité entre les échelons locaux diffère selon les cantons. Avec des profils très variés, chaque canton a adopté sa propre constitution et organise le partage de la gestion publique selon ses besoins et préférences. En matière d’Éducation, le canton de Bâle-Ville est l’unique autorité responsable. Aucune de ses 3 communes n’influe sur le budget éducatif. À l’inverse, dans le canton de Glaris dont les 3 communes sont très peu peuplées, les transferts budgétaires s’élèvent à 33%. Dans ce canton, ce sont les communes qui prennent en charge le budget éducatif à hauteur de 85%. La logique est la même dans le canton de Zoug, très petit mais densément peuplé, dont les 11 communes gèrent 91% du budget éducatif.

Enfin, tous les citoyens suisses peuvent influer sur la politique éducative du canton, voire de la Confédération, grâce aux initiatives populaires. Ce droit civique permet à un groupe de citoyens de proposer une loi et de la soumettre au vote populaire. Des initiatives populaires fédérales ont cherché à lutter contre l’éducation sexuelle dans l’enseignement primaire ces dernières années ou en faveur d’une place plus importante réservée à l’enseignement de la musique. Dans le canton de Genève, des initiatives ont proposé des solutions pour lutter contre l’échec scolaire ou pour garantir le maintien des notes à l’école primaire.

Cas du Canton de Genève

Le Grand Conseil, l’organe législatif du canton qui compte 100 députés, vote les lois en lien avec l’Éducation. Vient ensuite le Conseil d’État qui fait office de gouvernement avec un Chancelier et 7 autres membres dont le Conseiller d’État du département d’Instruction Publique, Culture et Sport (DIP). Le Secrétariat Général est ensuite chargé de traduire en actes les orientations politiques du Conseiller d’État et les priorités du gouvernement, en s’assurant de la rédaction et de la conduite des dossiers. Le DIP est responsable des 125 établissements d’enseignement public du canton dont les 7 centres de formation professionnelle ainsi que la Haute École de Genève et l’Université de Genève, toutes les deux subventionnées et rattachées administrativement au canton.

En 2010, le canton a consacré 25% de ses dépenses publiques pour l’Éducation [2] soit près de 2,5 milliards de francs dont 1,2 milliard a servi à financer le salaire du personnel enseignant. C’est le canton lui-même qui gère majoritairement les questions d’éducation en versant 5.394 francs par habitant, chiffre qui monte à 5.745 francs par habitant avec la participation des 45 communes du canton [3]. Les transferts du canton aux communes sont presque nuls (0,1%) alors qu’ils atteignent 1,4% dans l’autre sens, des communes au canton qui est l’administrateur principal de la politique éducative.

Un devoir d’harmonisation à travers la Confédération

Afin d’assurer une unité nationale, les 26 cantons se réunissent dans la Conférence Suisse des Ministres Fédéraux de l’Éducation (EDK), en accord avec l’article 62.A [4] de la Constitution fédérale pour mettre en place l’harmonisation des politiques éducatives dans le pays. Cette Conférence a pour but d’homogénéiser l’enseignement obligatoire, d’instaurer des standards de qualité communs, de fixer le montant minimum des bourses étudiantes, de financer la formation professionnelle et de standardiser le management des universités. L’Assemblée plénière de la conférence est composée des 26 ministres chargés de l’Éducation, sous l’autorité d’un conseil d’administration composé de 12 ministres faisant office d’organe exécutif. La Conférence représente la nation suisse dans le domaine de l’Éducation auprès des organisations internationales comme l’Union européenne, l’OCDE ou l’Unesco.

Les accords inter cantons les plus importants sont nommés concordats, le dernier en date étant le Concordat HarmoS qui fixe pour la première fois des objectifs nationaux fondamentaux (notamment pour les niveaux de langues) et harmonise la durée des degrés d’enseignement par niveau afin de faciliter la mobilité entre les cantons. Une fois votés, les concordats doivent être adoptés par chaque canton qui en assure ensuite la mise en place. Le Concordat HarmoS est pour l’instant adopté par 75% des suisses, 7 cantons l’ayant rejeté et les 4 derniers ne l’ayant pas encore soumis au vote. Ce qui assure aux cantons de toujours avoir le dernier mot.

Une formation professionnelle qui s’adapte aux besoins du marché du travail

Dans le domaine post obligatoire, c’est-à-dire à partir du secondaire supérieur (formation générale ou formation professionnelle), les compétences se partagent entre les cantons et la Confédération représentée par la Conférence Suisse des Ministres Cantonaux de l’Éducation (EDK).

Près d’un jeune sur trois suit une formation professionnelle en Suisse où coopèrent les autorités locales, la Confédération ainsi que les organes du monde du travail. Comme en Allemagne, la formation professionnelle duale où le temps de formation se partage entre une école professionnelle et une entreprise, est la plus répandue. Il existe également des formations d’apprentis (formation professionnelle initiale) en écoles de métiers ou de commerce. Il s’agit cette fois d’une formation en école à temps complet. Le souci premier de la formation professionnelle suisse est son orientation vers le marché du travail puisque ce sont les organisations du monde du travail [5] qui fixent les modalités d’examens et donc le contenu des diplômes afin de garantir une insertion fluide des étudiants selon les besoins du marché. Chaque jeune formé répond donc à un besoin du monde du travail ; il n’y a pas de formation s’il n’y a pas de débouchés. La Confédération, elle, approuve les plans d’études, les formations et les diplômes alors que les cantons gèrent principalement les financements. Les formations, qu’elles soient publiques ou privées, étaient subventionnées à 99,5% par les cantons et à et la Confédération en 2010. Le reste du financement de la formation professionnelle étant pris en charge par les entreprises qui accueillent les étudiants.

Un financement cantonal hétérogène

L’État fédéral suisse n’étant pas responsable de l’Éducation, sa participation aux dépenses publiques en la matière est très réduite et ne concerne qu’une partie de la formation professionnelle. Les cantons et les municipalités étant responsables de la politique éducative, ils en assurent également le financement à 95,3% en 2010 dont 66% uniquement versés par les cantons (voir tableau). Comme vu précédemment, la division de la responsabilité financière en matière d’Éducation entre les cantons et les municipalités diffèrent selon les régions et leurs organisations. Le seul domaine où la Confédération intervient de façon significative est l’enseignement supérieur où sa participation s’élève à 17,1% du budget des Hautes Écoles et à 33,1% de la formation professionnelle supérieure.

Dépenses publiques d’éducation selon le degré de formation et le niveau administratif et selon la nature de la dépense, en 2010 (en 1.000 francs suisse)

  Total Confédération Cantons Communes
    %   %   %   %
Total 29.991,3 100,0 1.396,9 4,7 19.797,7 66,0 8.796,7 29,3
Primaire et secondaire inférieur 12.826,6 42,8 20,2 0,2 5.426,9 42,3 7.379,4 57,5
Formation professionnelle initiale 3.630,8 12,1 40,1 1,1 3.411,7 94,0 179,0 4,9
Ecoles de formation générale 2.361,1 7,9 1,2 0,1 2.326,1 98,5 33,7 1,4
Formation professionnelle supérieure 2.15,2 0,7 71,2 33,1 142,9 66,4 1,1 0,5
Hautes écoles 7.374,7 24,6 1.258,9 17,1 6.084,8 82,5 31,1 0,4
Sources : Office fédéral de la statistique et Administration fédérale des finances

Cependant le montant de la dépense en matière d’Éducation varie grandement en fonction des cantons. Si en moyenne, les cantons consacrent 27% de dépenses totales aux questions d’éducation, la fourchette s’étant de 33,5% pour le canton le moins peuplé, Appenzell Rhodes-Intérieures, à 18,8% pour Grisons qui a la plus grande superficie et représente 17% du territoire suisse. En termes de dépense par habitant, c’est Bâle-Ville qui est placé en première place. Avec seulement 37km² de superficie, soit 0,1% du territoire, regroupant 4,1% de la population, le canton dépensait plus de 6.200 francs par habitant dans l’Éducation en 2010. Il se plaçait ainsi très largement au-dessus de la moyenne nationale qui s’élève à 3.884 francs/habitant. Uri, l’un des cantons les moins peuplés (0,4% de la population), consacrait la somme la plus basse par habitant soit 3.905 francs [6].

Les cantons suisses au classement PISA

De cette gestion locale, voire communale dans certains cantons, résulte une grande disparité des niveaux. Le dernier rapport PISA [7] place la Suisse au 14ème rang mondial (la France se situant au 20ème rang) mais démontre une variation des niveaux entre les cantons. Pour reprendre l’exemple de Genève dont l’Éducation est principalement réglementée au niveau cantonal et caractérisée par une très grande dépense par habitants (4 170 francs/habitants) : le canton affiche des résultats en dessous de la moyenne suisse en lecture et en mathématiques, voire très en dessous en science. A l’inverse, l’Argovie qui dépense moins que la moyenne suisse dans l’Éducation (3 318 francs/habitants) mais avec un soutien important de ses communes (autant dans le financement que dans la gestion) se place dans le trio de tête au classement PISA. En se plaçant 1er en lecture/mathématiques et 3ème en science, le canton confirme son statut d’excellence en matière de formation. Il semble alors que les cantons qui favorisent une gestion communale, d’au moins une part de l’Éducation, affiche de meilleurs résultats au classement PISA (comme le canton de Schaffhouse et Appenzell Rhodes-Extérieures) [8] que ceux préférant une gestion cantonale, plus concentrée.

La très grande diversité des profils des cantons, avec des populations différentes, plus jeunes, plus vieilles, plus étrangères, explique également ces disparités de financements et de niveaux. Les priorités éducatives ne sont pas les mêmes et contrairement à la France, qui agit toujours dans un souci d’égalité territoriale, ou à la Suède, qui a mis en place un système de rééquilibrage des budgets de ses municipalités, les cantons suisses se démarquent par leur désir d’autonomie et leur refus constant de voir un État fédéral influencer la politique éducative.

 


[1] Lire : Tribune de Genève.

[2] Sans prendre en compte les dépenses pour la recherche en formation et l’enseignement supérieur.

[3] Source : Statistiques cantonales, République et canton de Genève.

[4] Art. 61a, Federal constitution : The Confederation and the Cantons shall, within the scope of their powers, jointly ensure the high quality and accessibility of the Swiss education area.

[5] Associations professionnelles, organisations de branches, Chambres de Commerce et d’Industrie…

[6] Source : Administration fédérale des finances – Statistiques financières des collectivités publiques.

[7] Source : PISA 2009.

[8] Source : Office fédéral de la statistique et Administration fédérale des finances (dépenses d’éducation et transferts des cantons et de leurs communes, 2010).

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