PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Entretien avec Michel Guillou

Michel Guillou, observateur des pratiques numériques « ?pour apprendre? », est intervenu auprès du CRAP-Cahiers pédagogiques et a répondu à quelques questions, loin des positions caricaturales.

Que nous apprend l’enquête Profétic lancée par le ministère auprès de 5 000 enseignants du second degré ?
Peut-être peut-on observer d’abord qu’il s’agit d’un retour très partiel sur les pratiques professionnelles, puisque les enquêteurs n’ont recueilli en ligne l’avis que de 58?% des enseignants sondés, sans doute les plus avertis et concernés d’entre eux. Malgré tout, parmi ces derniers, plus de 50?% se disent non convaincus par les atouts du numérique pour l’éducation.

D’autres observations intéressantes ont tendance à me désespérer : plus de la moitié des professeurs disent ne jamais ou presque utiliser le numérique pour personnaliser les apprentissages ; les liseuses numériques sont quasiment absentes des espaces documentaires ; les professeurs détestent très majoritairement communiquer et surtout animer des communautés d’échanges ; les matériels préférés des professeurs sont ceux qui renforcent leur posture magistrale et un enseignement de type frontal. Enfin, lorsqu’ils ont besoin d’aide, les enseignants ne sont que 2?% à faire appel à leur inspecteur ! Triste constat de l’échec du management des équipes. Triste panorama d’ensemble, donc.

Vous-même, quel état des lieux du numérique faites-vous ?
On est très loin du compte, dans une société dont les pratiques numériques, médiatiques et sociales progressent à grands pas. Les jeunes notamment, les élèves, n’ont pas hésité, eux, à investir le numérique et ses espaces, dont ils sont devenus eux-mêmes des médias efficaces, mais parfois fort peu raisonnables. Une nouvelle raison pour mettre en route des démarches éducatives sans tarder pour les accompagner.

À la suite de quelques autres, j’ai fait quelques propositions pour sortir de l’ornière, propositions qui ont l’heur de recueillir une écoute plutôt favorable du côté du ministère, même si elles sont parfois en décalage avec son projet d’école numérique. Il faut d’abord offrir une infrastructure confortable à tous les enseignants de France, de l’université à la maternelle, en apportant le très haut débit jusqu’à chaque poste de travail, dans chaque classe. La France reste l’un des pays d’Europe les plus mal connectés et c’est un chantier prioritaire et urgent. Il faudra de même travailler de concert à l’acculturation numérique et à la formation de tous les personnels, les cadres les premiers, et à la modification radicale des examens et des programmes, en commençant par leur simplification, l’évolution des modalités d’enseignement, la transformation des espaces, l’aménagement des moments, tous points qui sont encore trop ancrés dans des pratiques du précédent siècle. Et puis, il faut tout de suite, car c’est un chantier qui risque d’être sensible, commencer la concertation sur l’évolution nécessaire des missions des professeurs et des cadres.

Il faut ensuite continuer à décentraliser l’État, entreprise qui, pour des raisons historiques, tarde à produire ses effets dans le système éducatif. C’est l’ensemble du chantier de la gouvernance qui implique les collectivités territoriales qui devra être mené pour plus d’efficacité. Et c’est le projet numérique des équipes, dans les écoles, les collèges, les lycées, etc., qui devra être soutenu, valorisé, accompagné plus que la planification verticale descendante, centrale et autoritaire.

Il conviendra enfin de cesser de stocker les ressources pour les libérer dans le flux des échanges entre les acteurs de l’école, parents et élèves y compris. C’est la condition de leur appropriation et de leur amélioration, fruits de l’intelligence collective.

On voit bien aussi que c’est la société tout entière qui est transformée.
Bien sûr. Les entreprises, les sociétés de services, l’administration de l’État ont mis en œuvre depuis belle lurette des mutations et des réformes radicales qui ne concernent pas que l’informatique ou les systèmes d’information. Ce sont les relations hiérarchiques, les modes de management qui sont touchés. Il y a bien des mentalités à changer, des postures à faire évoluer. Ainsi, les projets s’élaborent maintenant plus souvent en réseau, en mettant en jeu des mécanismes transversaux et horizontaux dans lesquels les hautes figures classiques des experts ne trouvent que difficilement leur place. En particulier, au-delà de l’entreprise, ce sont tous les mécanismes de représentation ou de médiation qui sont mis à mal par les changements d’approche induits par le numérique. On le perçoit tous les jours avec la grave crise morale qui touche la représentation politique nationale, d’une part, avec la crise majeure économique et structurelle que connaissent les médias d’autre part. Et, bien sûr, cette crise des médias est comparable à celle de l’école, à la différence que les contingences économiques ont contraint les médias à évoluer plus vite. Certains prédisent qu’elles seront aussi nécessaires (il faut s’en prémunir, je crois) pour faire avancer plus vite la révolution numérique de l’école.

Comment imaginez-vous ce qui vient ?
L’actualité est riche de nouvelles qui mettent en émoi jusqu’aux plus progressistes des enseignants. Il faut s’en convaincre, le numérique va bouleverser les rapports entre les maitres et les élèves, au-delà des espaces scolaires, et les postures immémoriales d’expertise et d’autorité comme les modèles de transmission des connaissances seront mis à mal. Une autre certitude : demain, on n’écrira plus de la même manière, on ne saisira plus du texte de la même manière, il faut se préparer à ces mutations. Enfin, je voudrais émettre un souhait. Je reviens de l’évènement ­Éducatice où j’ai pris un immense plaisir à saluer les anciens et les nouveaux amis et à continuer avec eux des échanges commencés en d’autres lieux souvent virtuels, intérêt majeur de ce salon. Mais comment se fait-il qu’on continue à associer un salon dédié au numérique éducatif à un autre, Éducatec, exclusivement consacré aux matériels éducatifs techniques et industriels ? C’est ajouter encore au T de Tice sa dimension technique bien réductrice, dont on sait qu’elle a fait beaucoup de mal au numérique. Il est plus facile de vendre de l’outillage ou du code plutôt que de l’engagement pédagogique numérique ou de l’innovation. Alors, à chacun de veiller à ne pas s’égarer sur des chemins strictement utilitaires ou consuméristes, et de bien s’engager dans un numérique pédagogique à dimension humaine, citoyenne, sociale et éthique.

Propos recueillis par Christine Vallin

Lire la suite : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-pedagogie-numerique-a-dimension-humaine

Print Friendly