PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In FaireFace n°716 – Février 2013 :

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L’anthropologue Charles Gardou vient de publier un livre sur les fondements de la société inclusive. Il nous explique la différence entre intégration et inclusion, justifie que le patrimoine commun de l’humanité doit être accessible à tous et rappelle que les êtres humains ont en commun la vulnérabilité.

Faire Face : Qu’est-ce qui différencie l’inclusion de l’intégration ?

Charles Gardou : Intégrer consiste à faire entrer un élément extérieur dans un ensemble, à l’incorporer. Cet élément extérieur est appelé à s’ajuster au système préexistant. Ainsi, dans l’intégration, ce qui prime est l’adaptation de la personne : si elle espère s’intégrer, elle doit, d’une manière souvent proche de l’assimilation, se transformer, se normaliser, s’adapter ou se réadapter. Par contraste, une organisation sociale est inclusive lorsqu’elle module son fonctionnement, se flexibilise, pour offrir, au sein de l’ensemble commun, un “chez-soi pour tous”, sans toutefois neutraliser les besoins, désirs ou destins singuliers.

FF : D’où vient ce concept d’inclusion ?

C.G. : C’est un mot d’usage courant en langue anglaise que nous avons adopté et introduit dans le vocabulaire des politiques du handicap, sans toujours bien en mesurer le sens et la portée. Les classes d’intégration scolaire (Clis) ont été renommées classes pour l’inclusion scolaire par le ministère de l’Éducation nationale, en 2009 ; les unités pédagogiques d’intégration (Upi) sont devenues, en 2010, des unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) ; etc. Ce terme français d’inclusion semble pourtant peu approprié car, étymologiquement, il implique l’idée de clôture, d’occlusion, de réclusion… En odontologie, par exemple, une inclusion désigne l’état d’une dent emprisonnée dans l’arcade osseuse d’une mâchoire ; en minéralogie, un corps étranger contenu dans la plupart des cristaux et des minéraux. Tous ces usages marquent un enfermement. Le qualificatif “inclusif”, lui, apparaît plus intéressant, notamment dans son opposition à “exclusif”.

FF : Qu’est-ce qu’une société inclusive ?

C.G. : L’idée de société inclusive tourne le dos à toute forme de captation qui accroît le nombre de personnes empêchées de bénéficier des moyens d’apprendre, de communiquer, de se cultiver, de travailler, de créer… Une société inclusive n’est pas un club dont certains membres, privilégiés, pourraient capter l’héritage social à leur profit pour en jouir de façon exclusive. Une société inclusive, c’est une société sans privilèges, exclusivités et exclusions. Chacun d’entre nous est héritier de ce que la société a de meilleur et de plus noble. Chacun a un droit égal à bénéficier de l’ensemble des biens sociaux, qu’il s’agisse de l’école et autres lieux de savoir, des transports, des espaces culturels, etc. Nul ne peut avoir l’exclusivité du patrimoine humain et social, légué par tous nos devanciers et consolidé par nos contemporains : il doit être accessible à tous.

FF : Cet idéal d’inclusion concerne-t-il uniquement les personnes en situation de handicap ?

C.G. : Non, il va bien au-delà. Une société inclusive se conçoit à l’encontre de la dérive, trop fréquente, consistant à donner davantage aux déjà-possédant et des parts réduites à ceux qui, ayant le moins, nécessiteraient le soutien le plus affirmé. Elle rem et en question les mécanismes par lesquels les premiers augmentent leur avantage sur les seconds, en réalisant des plus-values et en capitalisant les conforts. La gageure d’une société inclusive est de réunifier les univers sociaux hiérarchisés pour forger un “nous”, un répertoire commun, une communauté où la solidarité avec les plus fragiles est dictée par une proximité de destin.

FF : Qu’entendez-vous par là ?

C.G. : Aucun être identique n’a existé, n’existe et n’existera : chaque être est singulier. Cependant, nous avons tous en commun une même vulnérabilité. Toute vie est irrémédiablement chétive, imparfaite et condamnée à une issue identique. La vulnérabilité peut, à chaque instant, exploser en nous. L es personnes en situation de handicap ne relèvent donc pas d’un type humain à part. Comme tous les êtres humains disséminés sur la planète, elles sont des variations sur le thème du fragile et du singulier. L’idée de société inclusive implique une intelligence collective de la vulnérabilité, conçue comme un défi humain et social à relever solidairement. Il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule.

FF : Si tous les hommes sont égaux, pourquoi faudrait-il prendre des mesures spécifiques pour certains d’entre eux ?

C.G. : Les hommes sont égaux en droits, mais ils ne sont pas des copies conformes d’un modèle unique. Une société inclusive est une société consciente que l’égalité formelle – en droits – n’assure pas l’égalité réelle – dans les faits. Et que si des situations identiques appellent des réponses identiques, les citoyens les moins armés et les plus précarisés nécessitent des réponses spécifiques.

FF : Mais une société, comme la nôtre, marquée par le creusement des inégalités, peut-elle devenir une société inclusive ?

C.G. : Nous vivons effectivement aujourd’hui dans une société de l’avoir, de la performance, du profit. Mais la société inclusive constitue un horizon vers lequel nous avons à cheminer. L’enjeu est de taille. La transformation des esprits et des pratiques prendra du temps mais la nécessité est là : amender la terre pour en permettre l’accomplissement. Les personnes en situation de handicap ont des raisons d’espérer : il n’est pas anodin que la loi de février 2005 comporte dans son titre la mention pour «l’ égalité des droits et des chances ». Elle a, de fait, instauré un certain nombre de droits, comme celui qu’a aujourd’hui tout enfant d’être inscrit à l’école de son quartier ou bien le droit à la compensation de son handicap. Si son application est loin d’être parfaite, les choses vont dans le bon sens.

FF : Quelles mesures peuvent être prises pour favoriser l’émergence d’une société inclusive ?

C.G. : Je vois quatre leviers principaux pour susciter la transformation culturelle nécessaire. La précocité d’abord : avant l’école, le rôle de nos crèches ou haltes-garderies serait d’accueillir indifféremment les enfants en situation de handicap et les autres (lire aussi page ci-contre). Nous avons aussi à dispenser des savoirs sur le handicap : nous péchons souvent par ignorance, sans avoir conscience de nos archaïsmes de pensée et des pratiques discriminatoires qui ont encore cours. Il est également essentiel d’agir sur l’ensemble des cultures professionnelles, par une formation initiale à la hauteur de l’enjeu. Enfin, les médias, dont on connaît l’impact sur nos représentations collectives, peuvent jouer un rôle déterminant s’ils se saisissent, de manière inventive et volontariste, de cette question.

 

 

 

 

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