PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Monde.fr – le 8 Février 2014 :

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Pour Vincent Peillon, « la réforme du primaire est le premier outil d’amélioration du collège »

Créer un « PISA choc » : c’était l’objectif du Monde en lançant, lundi 3 février, une série consacrée aux mauvais résultats de la France dans l’étude de l’OCDE évaluant les compétences des élèves à 15 ans. Les enfants de pauvres sont-ils condamnés à l’illettrisme ? Peut-on enseigner les mathématiques à tous ? Faut-il être malheureux à l’école pour bien apprendre ? Faut-il en finir avec le collège unique ? A-t-on les enseignants qu’il nous faut ? Nous avons demandé au ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, de répondre à ces questions, explorées tout au long de la semaine.

Lire aussi : Le Monde bouscule l’école en six questions

Les enfants de pauvres sont-ils condamnés à l’illettrisme, demandait « Le Monde » en début de semaine. A vos yeux, ce déterminisme que PISA a mis en évidence est-il enrayable ?

L’école française reproduit les inégalités et les accroît même parfois. La France est même désormais le pays le plus inégalitaire de l’OCDE. Ce n’est pas acceptable, et ce n’est pas une fatalité. Nous avons fixé, dans la loi, un objectif de réduction à moins 10 % des écarts de performance à la fin de la scolarité obligatoire entre les collégiens de l’éducation prioritaire et les autres. C’est un défi, et nous mettons tout en œuvre pour y parvenir. C’est d’autant plus important que la réduction des inégalités est le premier pas vers une amélioration globale du système pour tous, y compris pour les meilleurs. On ne le répète pas assez, mais en éducation, efficacité et justice sociale vont de pair.

Mais, concrètement, que faites-vous de spécifique pour cette population ?

En mettant l’accent, en primaire, sur la maîtrise de la langue et des fondamentaux, c’est à ces enfants que je pense d’abord. C’est pour eux aussi que nous remettons en place une scolarisation précoce. Dans l’éducation prioritaire, nous avons fait progresser la scolarisation des moins de 3 ans de près de 3 points en une rentrée seulement.

Les mesures prises depuis dix-huit mois convergent toutes vers la création d’une école plus juste : la priorité au primaire avec le « plus de maîtres que de classes » et le recentrage de la formation continue des enseignants sur les fondamentaux ; la réforme des rythmes scolaires, qui donne une matinée de plus pour apprendre à lire et des activités périscolaires gratuites à beaucoup plus d’enfants ; des services de tutorat numérique ; la refondation de l’éducation prioritaire, où nous changeons d’échelle.

Il vous a été reproché de ne pas assez communiquer avec les familles, par exemple à propos des « ABCD de l’égalité ». L’information des familles est pourtant un levier pour améliorer la réussite…

C’est un point sur lequel j’insiste beaucoup. D’ailleurs, les relations avec les parents font désormais partie à part entière du métier d’enseignant, ils doivent y être formés, et cela est intégré dans leur service. C’est une nouveauté radicale. Nous avons aussi mis de nombreux outils à disposition des familles, pour accompagner leurs enfants dans les apprentissages, pour ouvrir l’école aux parents, pour leur donner le dernier mot dans l’orientation. Quant aux « ABCD », les associations de parents avaient été consultées, et c’est bien naturel. Mais attention : mieux associer les parents ne veut pas dire ouvrir l’école à tous les groupes de pression et toutes les violences de la société.

Lire l’analyse L’ « ABCD de l’égalité », au cœur de la polémique sur la « théorie du genre »

Les enseignants ont très mal vécu les journées de retrait dans leurs écoles, qu’avez-vous envie de leur dire ?

Lorsqu’une famille retire son enfant de l’école sur la base de rumeurs absurdes, c’est une injure faite à l’éducation nationale et aux enseignants. Ce sont les mêmes qui parlent d’autorité de l’institution et qui la sapent par de tels actes. Cet irrespect envers les professeurs, qui méritent la confiance et la reconnaissance de la nation, m’a profondément blessé. Leur travail, c’est de donner des repères aux enfants, leur permettre de se construire et de grandir. Ils ont tout mon soutien.

Vous nous parlez de l’apprentissage de la langue, mais quid des mathématiques ? Peut-on les enseigner à tous ? A lire les résultats des jeunes Français à PISA, on peut se poser la question.

PISA constate non seulement les lacunes des jeunes Français, mais pointe en outre qu’ils ont une difficulté particulière à utiliser leurs connaissances mathématiques pour appréhender des situations qu’ils rencontrent dans la vie. Cela repose le vieux débat théorique entre l’approche conceptuelle et l’approche empirique d’une discipline, certes, mais cela dit aussi qu’il y a quelque chose à repenser dans notre enseignement des mathématiques. J’ai d’ailleurs saisi le Conseil supérieur des programmes à ce sujet.

Les mathématiques souffrent aussi de leur position de discipline de sélection. On les étudie pour être dans la filière la plus valorisée du lycée et non pas pour elles-mêmes. Mais c’est très difficile à faire bouger, parce qu’on a toujours eu dans ce pays une discipline utilisée pour sélectionner. Cela a été le latin, aujourd’hui ce sont les mathématiques. Cela montre qu’une réforme de l’éducation est d’abord une réforme des mentalités…

En mathématiques comme ailleurs, les élèves français ont un rapport ambigu à l’école, qu’ils trouvent stressante et qui leur donne moins confiance en eux que l’école anglo-saxonne, par exemple.

C’est exact, et c’est mesuré. Pour que l’école change, il ne suffit pas que le ministre le décrète, il faut que les pratiques évoluent dans les classes, et même en dehors, dans les attentes de la société et les représentations des parents. Nous voulons construire une école de la confiance et de la bienveillance.

Pour cela, il faut aider les enseignants, mais aussi changer la façon qu’a l’institution de les traiter. Il faut être cohérent. Par exemple, si les enseignants sont eux-mêmes l’objet d’évaluations-sanctions, leurs propres pratiques d’évaluation s’en ressentiront forcément. Ma mission de ministre est de faire avancer de front ces deux chantiers.

Il n’est pas possible de réussir à l’école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d’opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu’ils souffrent.

Le président de l’UMP, Jean-François Copé, voudrait en finir avec le collège unique qu’il estime trop hétérogène. Que lui répondez-vous ?

Que nous enseigne sérieusement PISA ? Que les pays qui ont des systèmes éducatifs efficaces ont des troncs communs longs et que ceux qui progressent, comme l’Allemagne, allongent ce tronc commun. Au collège, il faut un cadre commun pour tous et une prise en compte des différences. Une exigence commune pour tous les élèves dans la scolarité obligatoire, cela ne veut pas dire un collège uniforme et aveugle à l’hétérogénéité. La réforme que je prépare pour 2015 consiste justement à donner de l’autonomie aux équipes pour construire des réponses pédagogiques différenciées pour leurs élèves. Je veux donner aux établissements plus de moyens que ce dont ils ont strictement besoin pour mettre en œuvre les programmes. J’y consacre 4 000 emplois et, là encore, j’ai demandé au conseil des programmes des propositions.

Mais, en définitive, la réforme du primaire est le premier outil d’amélioration du collège. Si les enfants n’arrivaient pas avec des lacunes aussi importantes en 6e, le collège serait en moins grande difficulté. Ce qui n’empêche pas d’améliorer les transitions. C’est pourquoi nous avons créé le conseil école-collège dans la loi. Il est maintenant obligatoire pour les enseignants de collège de se concerter avec les maîtres du primaire.

Optimise-t-on vraiment le potentiel de 800 000 enseignants ?

Les enseignants n’ont reçu ces dernières années ni la confiance ni les moyens dont ils avaient besoin. Il faut être ambitieux ! D’abord, nous transformons leur formation. C’est un défi pour les ESPE , parce qu’on leur demande de faire quelque chose de radicalement nouveau, une formation progressive, intégrée et professionnalisante. C’est difficile, mais c’est la clé du redressement et nous avançons.

J’ai aussi consulté les enseignants sur les programmes du primaire et sur l’éducation prioritaire. Nous avons revu presque tous les métiers, avec des avancées pour chacun, signes de notre respect, et nous sommes en train d’aboutir avec le secondaire sur la réécriture des décrets de 1950. L’essentiel, j’y veille, c’est de permettre l’adhésion des enseignants et de tous les personnels à la refondation.

Et le blocage des avancements ? Vous avez démenti avoir testé cette source d’économie, mais la rumeur perdure.

Et je la démens à nouveau. Ce n’est ni quelque chose que je propose – cela ne relève pas, d’ailleurs, de mon champ de compétences –, ni quelque chose que je souhaite.

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