PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Sciences Humaines – le 02 mai 2013 :

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Plus que de faits spectaculaires, la violence scolaire est faite de micro­événements qui se cumulent et détériorent le climat des classes. Sans surprise, ?ce sont les établissements des quartiers sensibles qui paient le plus lourd tribut.

Un adolescent qui poignarde son professeur de mathématiques, un parent qui gifle un professeur, un principal agressé physiquement par un élève, des adolescents harcelés par leurs pairs au point de se suicider dans quelques cas… C’est à travers le prisme de tels événements paroxystiques que l’opinion publique perçoit la violence scolaire.?

Pourtant, au-delà de faits dramatiques largement médiatisés, ce qu’il est convenu d’appeler (depuis les années 1990) « la violence scolaire » se constitue en réalité de faits souvent mineurs, de « microviolences » qui posent problèmes en raison de leur nombre, de leur caractère répétitif et, à terme, de leurs conséquences sur les individus et sur le climat des établissements.?

Cette violence scolaire « ordinaire » englobe en outre des phénomènes hétérogènes : agressions « anti­scolaires », dirigées contre l’institution ou le personnel, affrontements entre enseignants et élèves, harcèlement ou autres conduites crapuleuses entre les élèves eux-mêmes…??

Coups, insultes, harcèlements?

Pendant longtemps, la violence en milieu scolaire a été considérée par l’opinion publique comme par les décideurs comme une violence d’intrusion, venue des « quartiers » et ayant pour cause la délinquance de certains mineurs. Or l’ensemble des recherches montre que ces intrusions représentent moins de 10 % des faits de violence considérés comme graves, et moins de 2 % des violences entre jeunes. En fait, la violence en milieu scolaire est un phénomène endogène. C’est le résultat d’un processus de dégradation du climat scolaire et en particulier de la qualité des relations entre les jeunes ou entre les jeunes et les adultes. Ces relations dépendent largement du sentiment de justice, de la cohérence de l’application des règles qui définissent la vie de l’établissement scolaire. La relation entre le climat scolaire, la qualité des apprentissages et la violence à l’école a été largement établie par l’ensemble des recherches internationales.?

Les incidents perturbateurs, souvent de faible intensité mais de forte fréquence lorsqu’ils se multiplient, participent à la détérioration du climat scolaire dans son ensemble (1).?

?• Les agressions envers les personnels (enseignants et surveillants) sont majoritairement des violences verbales (en collèges et lycées, 44 % d’entre eux ont été insultés durant l’année scolaire et 8 % l’ont été plusieurs fois). Plus rarement, les insultes s’expriment par des gestes obscènes (5 % des enseignants). Sur un semestre (2012), un enseignant du primaire sur cinq a été insulté par des parents, mais ils ne sont que 3 % dans le second degré. La violence physique contre les personnels de l’éducation est très rare, ainsi moins de 1 % des personnels du second degré déclarent avoir été frappés.?

?• Insultes et agressions verbales ou symboliques constituent les trois quarts des violences entre élèves. Dans les enquêtes de victimation menées à l’OIVE, plus de la moitié (52 %) des jeunes de collège déclarent avoir été insultés au cours de l’année. Les violences symboliques consistent pour l’essentiel en surnoms méchants (39 %), mises à l’écart (32 %) ou humiliations (16,1 %).?

?• Les coups, les bagarres, les vols (essentiellement de matériel scolaire) et le racisme font partie du quotidien d’un certain nombre d’établissements (moins de 10 % de l’ensemble). Les bagarres sont d’ailleurs souvent requalifiées comme des jeux par les élèves. Nombre d’enseignants ou de surveillants rapportent que lorsqu’ils essaient d’intervenir, la victime elle-même cherche à désamorcer la situation : « On s’amuse Madame. » Ainsi s’installe une loi du silence qui s’explique par la peur de passer pour un faible, de la crainte des représailles, de la peur d’être exclu du groupe…?

?• Le harcèlement entre élèves peut prendre des formes diverses, physiques ou psychologiques (encadré p. 40). Les conséquences peuvent être lourdes s’il n’est pas pris en charge immédiatement par l’équipe éducative, d’autant que le harcèlement peut avoir un effet direct sur la vie de l’établissement : il contribue à augmenter le sentiment d’insécurité parmi les élèves qui en sont témoins, à développer un sentiment d’impunité chez les agresseurs et donc à durcir le climat scolaire. ??

Une violence ?en augmentation ??

Entre la description et la condamnation par les adultes de microviolences au quotidien, et les actes extrêmes (mais exceptionnels) relatés par les médias, faudrait-il en conclure que les établissements scolaires sont de plus en plus en proie à la violence ??

Ce n’est pas ce que montrent les enquêtes récentes qui mesurent régulièrement le climat scolaire et les déclarations de victimation à l’école primaire et dans les établissements du second degré. L’étude menée pour l’Unicef par l’OIVE auprès d’un échantillon de 12 326 élèves des écoles élémentaires indique que plus de 90 % des élèves se sentent en sécurité dans leur école. Ce que confirme l’enquête de la DEPP (2012) selon laquelle la majorité des jeunes de collèges et lycées se sentent bien dans leur établissement (2).?

Toutefois, pour un pourcentage d’élè­ves, la scolarité constitue une expérience douloureuse. 14 % des élèves interrogés perçoivent leurs relations avec les enseignants comme négatives ; un élève sur dix se perçoit comme une victime à répétition ; 5 à 6 % se déclarent harcelés (plusieurs fois par mois, voire par semaine). Si ces pourcentages coïncident avec la moyenne européenne (3), le mal-être de ces jeunes n’en est pas moindre.?

C’est, sans surprise, dans les établissements les plus défavorisés que l’on trouve la proportion la plus forte de violences ou de souffrances scolaires déclarées. Les établissements les plus affectés sont ceux qui cumulent le plus de difficultés : public en situation socioéconomique précaire ; zone paupérisée ou isolée ; équipes éducatives instables. Ainsi, le harcèlement et les agressions en groupes sont plus fréquents dans les établissements sensibles. La violence y est plus dure. Dans des pratiques telles que « la mêlée », par exemple, une victime est prise à partie par le groupe parce que c’est son anniversaire, ou parce qu’elle porte une couleur désignée par le groupe des agresseurs. On note également une augmentation des violences antiscolaires s’exprimant à l’encontre des enseignants, sous forme de tensions essentiellement dans les établissements les plus en difficulté (4). Ces tensions, génératrices de stress et d’anxiété, peuvent transformer la vie de l’enseignant en cauchemar. La dernière recherche sur le sujet menée à l’OIVE (2011) indique que si dans le secondaire, la plupart des enseignants ont une opinion positive du climat scolaire, ce sont les nouveaux enseignants qui sont le plus en difficulté, notamment dans les établissements sensibles où ils sont deux fois plus nombreux à être affectés par le problème. Les travaux de Denis Jeffrey et Fu Sun (5) soulignent combien chez les jeunes enseignants le fait de se sentir soutenu par les collègues influence la qualité de leur enseignement, leur engagement et constitue un facteur de protection contre la violence à l’école.?

Pour conclure, nous dirons qu’en ter­mes d’évolution, on constate une stabilité moyenne des violences scolaires, en même temps qu’un durcissement de ces violences dans certains établissements et certains quartiers. Même s’il faut préciser qu’il n’existe pas de fatalité et que nombre d’établissements scolaires situés en zone sensible réussissent, par un travail d’équipe constant et une vigilance particulière, à maintenir un climat scolaire positif (6). Lorsque les équipes travaillent collectivement, qu’elles sont stables et mobilisées, la situation est meilleure que ce que pourrait laisser penser le profil sociologique de l’établissement.?

Dans cette perspective, des expériences ont fait leurs preuves. Elles reposent sur un accompagnement renforcé des victimes, un partenariat plus important avec les collectivités locales et une formation initiale et continue permettant aux enseignants d’adopter les gestes pédagogiques d’un climat scolaire positif et d’assurer une plus grande stabilité des équipes éducatives. La violence à l’école étant surtout interne, on ne peut espérer régler le problème par une sécurisation excessive (portails de sécurité, caméras de surveillance) et sans s’interroger sur ce qui, au sein des établissements, peut faciliter ou générer l’émergence d’agressivité ou de violences.

À SAVOIR

◊ En 2011-2012, 13 incidents pour 1 000 élèves ont été recensés dans les établissements de second degré : près de 20 dans les lycées professionnels, 15 pour les collèges, 5,5 dans les lycées généraux et technologiques. Ces chiffres sont quasiment stables par rapport aux années précédentes.?

◊ Un quart des établissements regroupent 73 % des incidents au cours d’un trimestre. Les 10 % d’établissements les plus violents réunissent 44 % des incidents recensés.?

◊ 81 % des faits sont des atteintes aux personnes : violences verbales (40 %), physiques (33 %), sexuelles (2 %).?

◊ 10 % sont des atteintes aux biens (vols et dégradations), 9 % des atteintes à la sécurité (armes, drogues, alcool).?

◊ 20 % des déclarations indiquent une situation de harcèlement.?

◊ 18 incidents pour 1 000 garçons, 5 incidents pour 1 000 filles.

Source : enquête Sivis, ministère de l’Éducation nationale, 2012.

Le bullying, «face cachée» de la cour de récré

Dans sa classe de mathématiques, le professeur était totalement débordé : les élèves criaient, se déplaçaient librement entre les tables et se moquaient éperdument de l’enseignant. Un jour, celui-ci a craqué : il a demandé aux délégués de classe d’aller chercher le CPE pour rétablir l’ordre. L’un des délégués a refusé. Sylvain, l’autre délégué, a accepté. C’est alors que son calvaire a commencé. À partir de ce jour, les autres élèves se sont ligués contre lui, et il a été le souffre-douleur et la risée de presque toute la classe. Insultes, moqueries, menaces et mise en isolement, cela a duré des mois et des mois. Jusqu’à ce que finalement Sylvain se réoriente et change d’établissement.?

Ces formes de harcèlement (appelés le « bullying » par les Anglo-Saxons) ne sont étudiées que depuis les années 1980. Le bullying est bien la « face cachée » de la violence scolaire. Une violence qui n’a rien de spectaculaire, mais n’en est pas moins grave et omniprésente. Une collégienne au nez un peu trop long se fait appeler « Cyrano-Airlines » par les garçons de sa classe ; telle autre découvre ses cahiers déchirés et ses photos personnelles profanées ; à tel autre encore, on a trempé la tête dans les toilettes avant de tirer la chasse ; et de plus en plus de victimes subissent aujourd’hui le cyberharcélement.?

Les auteurs, après une enquête auprès de 3 000 élèves, estiment que 10 % d’entre eux sont victimes de bullying. Tous les milieux sociaux sont concernés. La seule différence majeure concerne l’âge (il est plus fréquent au collège qu’au lycée) et le sexe (il y a plus de garçons à la fois parmi les victimes et les bourreaux). Les auteurs s’emploient ensuite à démonter la mécanique du harcèlement, qui est un jeu à trois : il met en présence non seulement les harceleurs (qui agissent en groupe) sous l’emprise d’un leader et les victimes, mais aussi les pairs, qui sont des témoins silencieux des actes de harcèlement.?

Les conséquences humaines sont lourdes : à court terme, elles se manifestent par les angoisses, la peur, le mal-être, l’absentéisme et la baisse des résultats scolaires. Les conséquences psychologiques plus profondes sur l’estime de soi et la personnalité sont difficilement plus mesurables.

• Harcèlement et brimades entre élèves.
?La face cachée de la violence scolaire?
Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette, Faber, 2010.

Achille Weinberg

Les effets délétères du cyberharcèlement

À l’automne 2012, c’est une énième affaire de harcèlement via les réseaux sociaux qui bouleverse le Canada. Une adolescente de 15 ans, Amanda Todd, se suicide après avoir posté une vidéo dans laquelle elle explique son geste. Elle était harcelée par un homme, rencontré via un chat à l’âge de 12 ans, à qui elle avait accepté de montrer sa poitrine devant sa webcam. Le calvaire a duré trois ans : poursuivie sur Facebook, Amanda, dont la photo avait été publiée par son bourreau, avait perdu ses amis et était devenue la cible de moqueries. La dépression et l’alcool l’ont amenée à se supprimer.??

Prestige contre risques?

Les outils numériques (téléphones et ordinateurs) et les réseaux sociaux, dont sont friands les adolescents, ont aussi leur face noire. C’est ainsi que l’on voit se déployer depuis quel­ques années le cyber­harcèlement. Celui-ci est une forme de cyber­violence qui a pour spécificité d’être répétée. Si la cyberviolence est rapportée par environ un jeune sur quatre, le cyberharcèlement, comme le harcèlement traditionnel, est bien moins fréquent (5 %).?

Les jeunes publient énormément d’informations sur leur vie privée. En France, 88 % d’entre eux publient des photos personnelles, 68 % leur adresse de courriel ou de messagerie instantanée, 67 % le nom de leur établissement scolaire, 33 % leur adresse postale, 10 % leur numéro de portable et 5 % leur numéro de téléphone fixe. Plus d’un tiers des jeunes donneraient accès à leur profil à des inconnus (7) ; plus d’un jeune sur dix (11 %) a envoyé sa photo à un inconnu. Pour les adolescents, les gains en termes de prestige et de statut social semblent plus importants que les risques encourus. De plus, être sur Internet, se créer une communauté en dehors de la supervision parentale, fait partie d’un processus d’autonomisation légitime à l’adolescence.?

Cette nouvelle donne engendre aussi des actes de cyberviolence. Sur Internet, l’anonymat est facilité, l’agresseur ayant la possibilité de prendre un pseudonyme ou d’usurper l’identité de quelqu’un d’autre. D’où un sentiment d’insécurité et un état anxieux de la victime : quiconque de son entourage est alors susceptible d’être l’auteur de l’attaque. Du côté de l’agresseur, se développe un sentiment d’impunité et de toute-puissance qui l’amène à intensifier l’agression. Bien des agresseurs en ligne n’oseraient pas passer à l’acte en face-à-face. Protégé par la distance, l’agresseur ne voit pas directement les émotions générées par son agression, ce qui diminue ses capacités d’empathie, et la victime, sans les éléments informatifs du langage corporel, a du mal à discerner si l’intention de l’auteur est de plaisanter ou d’agresser. Bien des recherches indiquent que les agresseurs affirment que leur intention initiale était de plaisanter.??

Textos méchants et humiliants?

La cyberviolence peut prendre différentes formes : humiliations, menaces, insultes, rumeurs, textos agressifs, à caractère sexuel (sexting) ou diffusion d’images intimes suite à une rupture amoureuse… Le « happy slapping  » par exemple consiste à filmer avec son téléphone une personne en train de se faire agresser physiquement et à diffuser les images ensuite. Il reste cependant très marginal (1,5 % des cas de cyberviolence). En France, tout comme dans la majeure partie des pays européens, ce sont les textos méchants et humiliants qui sont les plus fréquents, suivis des problèmes sur les réseaux sociaux. Une recherche menée en France (8) auprès de 1 917 jeunes montre qu’un élève sur cinq est victime de textos injurieux ; un peu plus d’un sur dix (14 %) d’appels désagréables, menaçants ou humiliants ; 12 % ont eu leur identité usurpée et 11,6 % ont été exclus de groupes en ligne.

Catherine Blaya 

Catherine Blaya

Professeure de sciences de l’éducation à l’université Nice-Sophia-Antipolis et cofondatrice de l’Observatoire international de la violence à l’école (OIVE), elle a publié Violences et maltraitances en milieu scolaire, Armand Colin, 2006.

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