PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Ce texte reprend la contribution de Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, lors du colloque de la Ligue de l’enseignement « La Laïcité: des combats d’hier aux enjeux d’aujourd’hui ».

La refondation de l’école porte cette ambition :

« Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité ». Loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

La laïcité, qui a contribué à l’unité nationale aux XIXe et XXe siècle, est plus indispensable que jamais pour faire vivre le pluralisme social et culturel de la France d’aujourd’hui, pour construire l’appartenance commune en faisant partager les principes et les valeurs de la République, et permettre l’exercice de la citoyenneté en faisant vivre ce que Dominique Borne définit comme « une tension » entre la liberté de chacun et l’égalité de tous (1) .
C’est ce que demande clairement la Charte de la laïcité qui a été élaborée à l’intention des personnels, des élèves et de l’ensemble des membres de la communauté éducative :

Article 5 de la Charte : « La République assure dans les établissements scolaires le respect de chacun de ces principes ».

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Jean-Paul Delahaye

Crédit Photo Le Café pédagogique 

1. Cinq points de vigilance pour faire partager les valeurs de la République aujourd’hui

Pour faire partager les valeurs de la République, il faut être particulièrement attentif à cinq points de vigilance dont certains font référence à ce que Jean Baubérot appelle les « impensés de la laïcité » (2)

Tout d’abord, et c’est la base de tout, l’école et la société doivent agir de concert. Le meilleur enseignement possible concernant les valeurs ne sera efficace que si la réalité sociale n’apporte pas un démenti à ce qui est enseigné. Ce qui pose problème à l’école aujourd’hui c’est le fait que notre société est schizophrénique en ce sens qu’elle fait souvent le contraire de ce qu’elle demande à l’école de transmettre. Loin de nous démobiliser, ce constat doit au contraire nous convaincre de l’importance vitale de la mission confiée à l’école.
Reconnaissons simplement que la cohérence d’attitude entre la société et l’école est tout de même une condition de faisabilité et d’efficacité pour la transmission et le partage des valeurs.

La mission de l’école est difficile car il faut comprendre que c’est l’ensemble de la société qui est en mal d’intégration, et c’est le deuxième point de vigilance.

Je veux dire par là, et je suis en cela Abdennour Bidar quand il fait observer que « la question de la transmission des valeurs communes se pose en réalité de façon beaucoup plus générale pour notre société tout entière y compris en termes d’intégration de chaque nouvelle génération, donc de tous les élèves » (3) , au contrat social fondé sur les valeurs de la République. Au cours de mes déplacements, j’ai pu observer que si la charte est généralement bien affichée dans les établissements, ce n’était pas encore le cas partout il y a encore quelques mois. Et à ma question « pourquoi ? », il m’est arrivé d’entendre qu’il n’y avait « pas de problème ici ».
On passe totalement à côté du sujet si on considère que ce sont seulement les populations d’origine immigrée qui auraient besoin de recevoir un brevet de laïcité. Et donc, s’il faut mettre les points sur les i, la charte de la laïcité ne s’adresse pas qu’aux élèves et aux parents de confession musulmane.

Le troisième point de vigilance concerne la formation des personnels.

Article 10 de la Charte : « Il appartient à tous les personnels de transmettre aux élèves le sens et la valeur de la laïcité, ainsi que les autres principes fondamentaux de la République. Ils veillent à leur application dans le cadre scolaire. Il leur revient de porter la présente charte à la connaissance des parents d’élèves ».

Parce que la pédagogie de la laïcité est un élément fondamental de la refondation de l’école, il nous faut remédier au déficit dont la formation professionnelle des personnels a souffert ces dernières années en matière de laïcité.
C’est évidemment le rôle des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation. C’est aussi le rôle des référents laïcité (leur liste est sur EDUSCOL) mis en place dans les académies pour organiser des formations et qui vont pouvoir désormais s’appuyer sur le « Livret laïcité » mis à disposition des cadres cette semaine à l’initiative de la ministre Najat VALLAUD-BELKACEM, et dont le contenu est destiné à faire en sorte qu’aucun professionnel, aucune équipe éducative, ne se sente isolé ou démuni vis-à-vis du respect du principe de laïcité à l’Ecole.

Le quatrième point de vigilance invite à être attentif aux liens entre laïcité et justice socio-économique.

La République est laïque et sociale disait Jean Jaurès  en substance, et il ajoutait cette mise en garde : elle restera laïque si elle sait rester sociale.
Dans certaines parties du territoire de la République, la question religieuse recouvre en partie la question sociale et la question identitaire. Dans les quartiers ghettoïsés, les valeurs de la République apparaissent trop souvent aux habitants plus comme des incantations que comme des réalités vécues. Si on oublie cela, on ne peut comprendre pourquoi, aux yeux de certains, les valeurs que l’école est chargée de promouvoir n’ont pas beaucoup de légitimité a priori.
C’est la pauvreté économique, sociale, culturelle de bon nombre d’élèves qui rend très difficile aux enseignants leur mission de transmission de savoirs fondés sur la raison. Or, la raison est un instrument indispensable pour expliquer le monde. Quelle citoyenneté en partage pour les 5 millions de chômeurs et leurs enfants, pour les 1,2 million d’élèves de nos écoles, collèges et lycées qui vivent aujourd’hui dans la grande pauvreté, un élève sur dix ? Comment entrer sereinement dans les apprentissages quand on est mal logé, qu’on a des difficultés pour se nourrir, pour s’habiller, pour payer les fournitures et les équipements, pour participer aux sorties et voyages scolaires ? Comme l’écrivait magnifiquement Victor Hugo en 1872, « comment peut-il penser celui qui ne peut vivre » ? 

Enfin, cinquième point de vigilance, notre institution scolaire elle-même doit donner l’exemple des valeurs qu’elle est censée faire partager aux élèves et affronter un fait devenu insupportable, je veux parler de l’échec scolaire précoce et cumulatif des élèves issus des familles les plus défavorisées, échec qui met gravement en cause l’idéal du système éducatif d’assurer l’égalité des enfants. Malgré l’engagement des personnels, il y a une fracture scolaire comme il y a une fracture sociale, fracture attestée par la permanence de l’effet des inégalités sociales sur les destins scolaires. De fait, notre école peine à faire du commun pendant la scolarité obligatoire.

L’exemple que constitue le collège unique et la difficulté que nous éprouvons depuis maintenant 40 ans à en achever la construction montre bien l’étendue de nos contradictions. Comment prétendre à une citoyenneté partagée par la jeunesse quand une partie d’entre elle se rend très vite compte que le collège qui l’accueille n’a pas été pensé pour tous. Comment expliquer que, chaque fois que l’on veut élargir la base sociale de la réussite on soit immédiatement accusé de nivellement par le bas par ceux qui veulent garder les positions acquises par leur classe sociale ? Peut-il exister une citoyenneté partagée sans mixité sociale et scolaire, c’est-à-dire si ceux qui bénéficient d’un système élitiste, qui n’est pas de l’élitisme républicain mais qui est en réalité un élitisme social, continuent à vouloir isoler leurs enfants des enfants du peuple ?
Ne sous-estimons pas le problème. Dans une époque où les droits l’ont souvent emporté sur les devoirs, comment ceux qui sont privés de droits pourraient-ils considérer qu’ils ont les mêmes devoirs que les autres citoyens ? Et cela place notre école laïque en position délicate, une position en quelque sorte de cristallisation de toutes les insatisfactions en tant que représentant une République qui oublie parfois que la devise républicaine est un tout et qu’il est illusoire de penser faire vivre la liberté si on oublie l’égalité et la fraternité.

Il ne faut pas s’étonner qu’un sentiment aigu d’injustice conduise enfants et adolescents à certaines provocations et que la devise « Liberté, égalité, fraternité », ne fasse pas beaucoup de sens à leurs yeux. La laïcité doit permettre d’incarner et de valoriser notre devise, il ne faudrait pas utiliser la laïcité pour espérer échapper à la question du caractère profondément inégalitaire de notre société et de notre école.
Autrement dit, comment être crédible s’agissant du « vivre ensemble » si nous ne sommes pas capables de « scolariser ensemble », au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire? Seule l’école de la réussite, pour tous les élèves, peut être aussi celle de l’émancipation, de la formation de l’esprit critique, de la compréhension du monde et des règles qui fondent notre appartenance commune à la République. C’est tout le sens de la loi de refondation de 2013 voulue par Vincent Peillon et portée aujourd’hui par la ministre Najat Vallaud-Belkacem, et dont l’objectif est la réduction des inégalités de réussite en donnant la priorité à l’école primaire, à la formation des personnels, à l’éducation prioritaire.

Cela fait très longtemps que l’on sait qu’il y a un lien entre laïcité et social. C’était le message de Jean Jaurès en 1905 que je rappelais tout-à-l’heure. Ferdinand Buisson nous avertissait à son tour en 1911 et on ferait bien de prendre cet avertissement enfin au sérieux. 

Citation Ferdinand Buisson : « Il y a toujours une question scolaire, mais ce n’est pas de savoir qui de l’Eglise ou de l’Etat dirigera l’école : la chose est jugée. C’est de savoir si notre démocratie réussira à faire, par l’éducation, la France de demain plus forte, plus grande, plus juste, plus humaine que ne fut celle d’hier. Ce n’est plus une question politique, c’est la première des questions sociales ».Ferdinand Buisson, 1911 (4) .

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La Charte de la laïcité à l’école est affichée dans les établissements publics.

2. L’enseignement de la laïcité doit se faire dans le cadre d’une démarche de connaissance.

Après ces points de vigilance, j’en viens à la Charte de la laïcité. En proposant cette charte en septembre 2013, le ministre Vincent PEILLON a voulu la rendre la plus claire possible. Le langage utilisé est accessible à tous, car seule une laïcité bien comprise peut être une laïcité bien transmise. Le site EDUSCOL  du ministère de l’éducation nationale présente cette Charte (5) et fournit des ressources pédagogiques permettant aux acteurs de l’éducation d’effectuer ce travail de transmission. La laïcité souffre trop souvent de méconnaissance ou d’incompréhension. Or, l’intolérance et les préjugés se nourrissent de l’ignorance. Le rôle de la Charte de la laïcité est donc d’expliquer le sens et les enjeux du principe de laïcité dans son rapport avec les valeurs de la République pour en faire un objet d’étude très concret pour les élèves.
Cette solidarité avec les valeurs est exprimée dans l’article 4 de la Charte.

 Article 4 de la Charte : « La laïcité permet l’exercice de la citoyenneté, en conciliant la liberté de chacun avec l’égalité et la fraternité de tous dans le souci de l’intérêt général ».

En créant un lien explicite entre la laïcité et les valeurs, la Charte ouvre en même temps la voie à une multitude d’opportunités pédagogiques de mobiliser la laïcité dans un établissement. C’est ce qui est rappelé dans l’article 15.

Article 15 de la Charte : « Par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement ».

Il est important en effet de préciser que les élèves doivent être en activité pour faire vivre la laïcité. La tentation existe parfois d’utiliser les articles de la Charte de la laïcité à l’école comme autant de proclamations à accepter sans discussion chaque fois que la laïcité est contestée. C’est un contresens complet. Car, comme le rappelle Abdennour Bidar, que je cite à nouveau, « les élèves vivent en permanence au sein des établissements des situations mettant en jeu leur liberté d’action, la difficulté et les enjeux de leur relation aux autres, etc. Inscrite dans ce quotidien de la vie dans l’établissement, la laïcité apparaît alors non plus comme un concept « hors sol » mais bien comme un outil pratique et donc utile pour apaiser le climat scolaire et au-delà pour conduire chacun à réfléchir sur l’usage qu’il fait de sa liberté » (6).

La laïcité, c’est un cadre, un principe d’organisation de la république qui garantit une liberté, une liberté fondamentale, la liberté de conscience.

Article 3 de la Charte : « la laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public ».

Dans un établissement scolaire, la liberté est aussi depuis la loi d’orientation de 1989 la liberté d’expression des élèves.

Article 8 de la Charte : « La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l’Ecole comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions ».

Le message ici est que la laïcité n’est pas l’ennemie de la religion et que la charte de la laïcité ne saurait être utilisée comme un instrument antireligieux.
Le principe de laïcité permet à la République de garantir aux citoyens le droit d’être catholiques, musulmans, juifs, protestants, agnostiques, athées… La laïcité n’est donc pas une option spirituelle particulière, mais la condition de l’existence de toutes. Pour que tous les citoyens puissent vivre ensemble, c’est la République qui est laïque, non un groupe ou une communauté.
On peut donc respecter le principe de laïcité en étant croyant et, bien sûr, enseigner la laïcité quelles que soient ses options religieuses. Cela implique des droits mais aussi des devoirs.
C’est ce qui motive la loi de 2004 sur les signes religieux ostensibles au sein de l’école publique et que l’article 14 de la Charte rappelle.

Article 14 de la Charte : « Dans les établissements scolaires publics, les règles de vie des différents espaces, précisées dans le règlement intérieur, sont respectueuses de la laïcité. Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

L’article 6 de la Charte précise quant à lui que la laïcité est à la fois une liberté et une protection.

Article 6 de la Charte : « La laïcité de l’école offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l’apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix ».

Il est très important que les élèves et leurs parents se représentent  bien la garantie et le bénéfice de la laïcité de l’Ecole, comme un élément majeur de la confiance que celle-ci doit savoir inspirer. La mission de l’école laïque, est-il besoin de le préciser, n’est pas de rendre tous les jeunes identiques. Une affirmation identitaire, individuelle ou collective, n’est donc pas en soi illégitime et une solidarité de groupe ne conduit pas obligatoirement au communautarisme. Certaines attitudes ne sont pas toutes des menaces pour la République. Et, comme le rappelle Jean Baubérot dans son dernier livre, « il a toujours existé des communautés en France » (7) . Chez les jeunes, la revendication identitaire peut être aussi un apprentissage de la liberté. Et puis la religion n’explique pas tout : à certains moments la revendication identitaire au nom d’une religion peut davantage relever d’une instrumentalisation de la religion que d’une manipulation religieuse. La question est de savoir comment l’école peut concilier les affirmations identitaires de nature religieuse et la vie scolaire des établissements, comment poser des limites dans le respect du principe de laïcité, comment, pour reprendre la formule d’Henri Pena-Ruiz, « faire vivre un idéal laïque devenu illisible dans un monde saisi par la frénésie des identités exclusives » (8) ? Autrement dit, comment faire œuvre d’éducation (comme le disait déjà le Plan Langevin-Wallon de 1947, «  la laïcité de l’école n’implique pas qu’elle n’exerce aucune action éducative ») sans prêter le flanc à l’accusation d’intégrisme laïque ?

La réponse est que le principe de laïcité ne peut être réellement transmis et compris  que si l’on ne perd pas de vue quelques repères.

Dans les établissements scolaires, premier repère, les éducateurs doivent faire comprendre aux élèves qu’en République la liberté, y compris celle d’affirmer une identité particulière ou collective, n’est jamais absolue et qu’elle est toujours encadrée par la loi.
Dans notre République la source de la loi est humaine et ne saurait être une prescription religieuse, quelle qu’elle soit. L’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen le proclame : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » La loi est au cœur du pacte républicain et obéir à la loi est une nécessité. Mais la loi a également une vertu pédagogique. La loi contraint, certes, mais les jeunes comprennent très vite que la loi est aussi une protection. Et quand les jeunes l’ont compris, ils peuvent devenir, à leur tour, des défenseurs de la laïcité.

C’est pourquoi, deuxième repère, parce qu’un acquis fondamental de la République laïque est que la croyance personnelle n’est pas liée à une appartenance sociale, les éducateurs doivent absolument refuser et combattre toutes les pressions que certains groupes d’élèves ou d’adultes chercheraient à exercer sur d’autres élèves ou adultes au nom d’une obligation d’appartenance à une identité particulière.
La République, ce n’est pas l’acceptation d’un homme qui serait déterminé par sa naissance, sa religion ou son absence de religion, c’est la garantie apportée à l’homme de sa liberté pour pouvoir s’autodéterminer.

La Laïcité, c’est aussi un cadre qui garantit l’égalité et donc la « non-discrimination » pour appartenance religieuse, politique, philosophique ou de genre. L’article 1er de la Charte, qui reprend l’article premier de la Constitution, le rappelle et l’article 9 de la Charte insiste particulièrement sur le principe d’égalité des femmes et des hommes.

Article 1 de la Charte : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, sur l’ensemble de son territoire, de tous les citoyens. Elle respecte toutes les croyances ».

Article 9 de la Charte : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre ».

Dans les établissements scolaires, les éducateurs doivent donc, et c’est le troisième repère, refuser que l’affirmation identitaire se construise de façon conflictuelle, sur le rejet de ce qui est commun à tous les français et ne doivent pas se laisser entraîner dans des compromis à l’égard des valeurs fondamentales. Autrement dit, la revendication identitaire ne doit jamais entraver les règles de vie fondées sur des valeurs essentielles, comme la stricte égalité entre les élèves. La laïcité est l’une des conditions essentielles du respect mutuel et de la fraternité. C’est pourquoi, le sexisme, le racisme, l’antisémitisme et le repli communautariste n’ont pas leur place à l’école. De même que, parce qu’à côté des intégrismes religieux il peut exister d’autres atteintes à la laïcité, préserver la laïcité c’est aussi protéger les élèves des pressions politiques, de l’intrusion non contrôlée de l’économique et du marchand.

Il y a donc une limite très claire aux accommodements. Consentir en effet des accommodements sur les trois repères que je viens d’énoncer n’aurait rien à voir avec ce qu’il est convenu d’appeler des « accommodements raisonnables », mais aurait plutôt à voir avec des compromissions inacceptables.

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La Ligue de l’enseignement et les Editions Milan diffusent une affiche pédagogique destinée à accompagner la Charte de la Laïcité à l’Ecole. Elle est intitulée « La Charte de la laïcité à l’école expliquée aux enfants« .

Le premier moyen pour garantir la liberté et l’égalité est la séparation.

Article 2 de la Charte : « La République laïque organise la séparation des religions et de l’Etat. L’Etat est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Il n’y a pas de religion d’Etat ».

Citation J Ferry : « Lorsqu’on veut chercher à assurer la paix entre deux puissances rivales, l’Etat et l’Eglise, la constitution laïque de la société et le pouvoir ecclésiastique ; lorsqu’on veut que ces deux puissances morales vivent en paix, la première condition, c’est de leur prescrire de bonnes frontières. Ce n’est pas dans la confusion des attributions, dans le mélange des idées qui ne peuvent conduire qu’à la discorde, à un état social troublé et mauvais ; c’est dans la nette, claire et définitive séparation des attributions et des compétences qu’est le salut et qu’est  l’avenir. […] Délimitez les frontières et vous ferez la paix… ». Jules Ferry, Sénat, juin 1881.

C’est le paradoxe apparent de la laïcité qui sépare pour rassembler : qui sépare le pouvoir religieux et le pouvoir politique, le droit civil et le droit canon, le curé, le pasteur, l’imam et le rabbin de l’instituteur, pour rassembler les citoyens autour de valeurs communes. La laïcité ne rejette personne. Mais, en contrepartie, les élèves et leurs parents, membres à part entière de la communauté éducative, s’engagent à respecter les trois piliers de l’Ecole publique : la laïcité, la gratuite et l’obligation scolaire.
L’article 13 le dit très clairement.

Article 13 de la Charte : « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’Ecole de la République ».

La « neutralité » est le deuxième moyen pour garantir la liberté et l’égalité.

La deuxième partie de l’article 2 de la Charte y est consacré.

Article 2 de la Charte (2e fois) : « La République laïque organise la séparation des religions et de l’Etat. L’Etat est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Il n’y a pas de religion d’Etat ».

La laïcité n’est jamais dirigée contre des individus ou des religions, mais elle garantit l’égal traitement de tous les élèves et l’égale dignité de tous les citoyens. L’article 11 en tire cette conséquence pour les personnels.

Article 11 de la Charte : « Les personnels ont un strict devoir de neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions ».

Il est important de ne pas commettre de contresens sur le principe de neutralité. 
Longtemps, l’Eglise catholique a accusé l’école publique laïque de ne pas être vraiment « neutre ». Jean Jaurès lui a répondu : si la neutralité consiste « à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale », alors « il n’y a que le néant qui soit neutre » ! Il doit être bien entendu que la neutralité vis-à-vis des convictions n’est pas la neutralité des valeurs et un État laïque n’est pas un État faible. 

La culture commune, les programmes

Je termine cette rapide présentation de la Charte par la question des contenus d’enseignement et de la culture commune. Les Articles 7 et 12 y renvoient.

Article 7 de la Charte : « La laïcité assure aux élèves l’accès à une culture commune partagée ».

Article 12 de la Charte : « Les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».

La question des programmes d’enseignement est évidemment essentielle car c’est par la laïcisation des programmes que notre école est devenue laïque.
Il n’est donc pas étonnant d’observer que ceux qui, aujourd’hui, n’acceptent toujours pas le principe de laïcité et qui le combattent, portent leurs attaques justement sur les programmes d’enseignement. Nos programmes d’enseignement ne sont évidemment pas négociables.
Cela signifie que si toute réponse à une contestation des programmes par un élève doit comporter une phase de dialogue, pour autant ce dialogue n’est pas une négociation en encore moins une absence de fermeté.

Conclusion
L’objectif de la charte de la laïcité est de montrer que la laïcité doit être comprise comme une valeur positive d’émancipation et non pas comme une contrainte qui viendrait limiter les libertés individuelles.
La laïcité est en réalité le seul outil qui permette d’éviter l’éclatement de la République en segments, en communautés étanches.
C’est pour cette raison que la laïcité est un gage de paix.

  (1) Dominique Borne, Cahiers français n° 336, janvier-février 2007.
  (2) Jean Baubérot la morale laïque hier et aujourd’hui, in Pour un enseignement laïque la morale, sous la direction d’Eric Favey  et Guy Coq, Privat, 2014.
  (3) Abdennour Bidar, Quelle pédagogie de la laïcité à l’école, Revue ESPRIT, octobre 2014.
  (4) Ferdinand Buisson, La foi laïque. Extraits de discours et d’écrits, Paris, Hachette, 1911, p. 261. Cité par Laurence Loeffel, Pour la laïque et autres textes par Jean Jaurès, Paris, Le bord de l’eau, 2006, p. 36.
  (5) Voir la charte en version imprimable et les ressources pédagogiques sur http://eduscol.education.fr/pid23591/laicite-principe-et-pedagogie.html
  (6) Op. cité. Voir aussi Abdennour Bidar, Pour une pédagogie de la laïcité, La Documentation française, 2012.
  (7) Jean Baubérot, Les sept laïcités françaises, Editions de la maison des sciences de l’homme, 2015.
  (8) Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Gallimard-Folio, 2003.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur et Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité. La Charte de la laïcité à l’école et l’affiche pédagogique sont au mur.

Lire la suite : http://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/051115/la-charte-de-la-laicite-l-ecole-un-outil-pedagogique-pour-faire-partager-les-valeurs-de-la-r

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