PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Philippe Watrelot, président du CRAP-Cahiers pédagogiques, a contribué à la note de Terra Nova sur la formation des personnels de l’Éducation nationale publiée le 10 septembre. Voici ce qu’il nous en a dit.


Comment avez-vous été amené à collaborer à cette note de Terra Nova ?
Depuis pas mal de temps, depuis que je suis formateur en temps partagé (2006) à l’IUFM puis à l’ESPÉ, j’essaye de penser mon métier de formateur, d’y réfléchir, et je consacre des articles sur mon blog à cette question. Je ne me considère pas comme un “expert” mais comme un praticien qui réfléchit. J’ai été contacté par Terra Nova pour travailler sur cette question, mais je n’en suis pas membre (pas plus que du parti socialiste, d’ailleurs !). Simplement, on m’a fait la gentillesse de croire que la réflexion que je mène sur le sujet pouvait apporter quelque chose. Je m’y suis exprimé à titre personnel.
Mais si j’ai accepté, c’est aussi parce que cela m’a permis d’essayer de faire passer deux ou trois idées importantes déjà défendues par le CRAP-Cahiers pédagogiques pendant la concertation de 2012. C’est donc un travail dans le prolongement de celui de l’association que je préside. J’essaie de me saisir de tous les leviers à ma disposition pour faire avancer nos idées.

Le constat sur la situation de la formation aujourd’hui est sévère. On y décrit une « usine à gaz » conçue pour un candidat idéal qui n’existe pourtant pas ou est très minoritaire.
Un mot sur le ton du constat. J’ai déjà écrit ou dit à plusieurs reprises que sur la formation comme sur d’autres choses, on est coincés entre deux chaises. D’un côté, la critique systématique et le refus de toute modification du système, de l’autre, la « pensée magique » et un discours qui consiste à assurer que finalement tout ira bien si on le dit. C’est particulièrement vrai sur la formation, et le vécu que peuvent porter les formateurs face aux difficultés n’est pas toujours entendu au niveau des corps d’inspection, des rectorats, des directions d’ESPÉ, qui restent dans une logique très volontariste, voire fermée à la critique. La posture adoptée dans cette note, mais aussi au CRAP-Cahiers pédagogiques, c’est de rester sur la ligne de crête, avec une critique qui se veut, avant tout, constructive.

Pour faire bouger les choses aussi bien sur la formation initiale que continue, il faut absolument sortir de l’incantation et des discours performatifs et entendre les critiques et les suggestions d’amélioration.
Il en va d’ailleurs de même avec la réforme du collège. Il y a une partie importante des enseignants qui est dans l’expectative. Il y a sans doute une résistance au changement mais surtout une attente forte par rapport à la formation : c’est le véritable enjeu si on ne veut pas rater la réforme. Et la formation, ça ne doit pas être un truc qui tombe du ciel, de haut en bas, avec diffusion de la bonne parole et des « bonnes pratiques ». Ça, ça ne marchera pas. Pour moi, pour nous, l’établissement formateur, au plus près des besoins, c’est la bonne échelle. J’y inclus les écoles, bien sûr.

La note plaide pour une formation continue obligatoire…
C’est essentiel. Enseigner c’est un métier qui s’apprend, tout le temps. Et en plus, c’est un métier qui s’apprend collectivement. C’est à dire que ça se fait mieux quand on est dans la réflexion collective. C’est pour ça qu’au CRAP-Cahiers pédagogiques, on organise des Rencontres chaque été, on publie une revue… Nous sommes prêts à prendre notre part dans une offre de formation continue.
Le métier d’enseignant s’apprend aussi bien mieux quand on répond à des besoins – et je fais évidemment un parallèle avec l’acte d’apprendre pour les élèves. D’où l’importance de miser sur l’établissement formateur, au plus près des besoins des enseignants et des élèves.

Il y a aussi un enjeu autour de l’isomorphisme de la formation : il faut qu’elle se fasse dans des formes et des conditions qui rendent les gens acteurs et les amènent à reproduire ça avec les élèves. Si la formation est strictement descendante, magistrale, frontale, on risque de reproduire cela avec les élèves et on aura tout faux (en plus d’avoir une formation peu efficace). Il faut développer la co-animation, où le « formé » se sent acteur de sa formation.

Un dernier mot : la formation, ce n’est pas que l’acquisition de compétences et de savoirs. C’est aussi la construction d’une identité professionnelle. Or, la place actuelle du concours et l’organisation de la formation font que l’on reste coincé (pour le secondaire) dans une identité pensée autour de la seule discipline d’enseignement. Si l’on veut faire évoluer cela, il faut que les ESPÉ deviennent des lieux où l’on peut travailler en interdisciplinarité, mettre sur pied des projets communs, et où on évalue autant la dimension pédagogique que l’excellence académique. Un lieu où on se pense comme enseignant, comme un spécialiste du « faire apprendre » autant que comme un spécialiste d’une discipline.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

La note de Terra Nova en ligne

Lire la suite : http://www.cahiers-pedagogiques.com/La-formation-ne-doit-pas-etre-un-truc-qui-tombe-du-ciel

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