PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

L’éducation bienveillante peut-elle être performante ? La fabrication des élites doit-elle toujours se faire dans la compétition et la douleur ? On sait ce qu’il en est dans le système éducatif français où les filières d’excellence sélectionnent sur une extrême mémorisation et une évaluation sauvage. Mais ailleurs ? Pas forcément ! Pour preuve cette visite de l’International School of Paris, un établissement étranger très privilégié qui prépare, dès le jardin d’enfants, au baccalauréat international. Une école exigeante mais centrée sur le développement personnel et la culture du bien être. Et qui a su construire sa pédagogie autour de ces valeurs. Et oui ! D’autres écoles existent…

Au fond d’une petite rue calme du 16ème arrondissement parisien, l’International School of Paris (ISP) occupe plusieurs petits immeubles entre lesquels naviguent 400 élèves. La rue, pratiquement la cour de récréation de l’établissement, est surveillée en permanence par un vigile. La sécurité est prise au sérieux dans cette école privée hors contrat où se côtoient des jeunes de 70 nationalités qui appartiennent tous à des familles dont les employeurs peuvent payer des frais de scolarité très élevés. Pour le collège que nous allons visiter, ils se montent à environ 30 000 euros par an, c’est à dire à peu près le salaire annuel brut moyen en France. L’école est gérée par une association loi 1901. Elle ne cherche pas à faire du bénéfice mais emploie plus de cent salariés particulièrement qualifiés. Des emplois qui souvent n’existent pas dans le système éducatif français, comme celui de professeur de bien être.

Un collège ordinaire ?

A première vue, les salles de classe de l’ISP ressemblent à des salles de cours ordinaires d’un collège ou d’un lycée français. Il y a des salles informatiques avec une vingtaine de machines. Le cours de musique, par exemple, a lieu dans une salle équipée d’ordinateurs. Toutes les salles de classe disposent d’un tableau blanc interactif. Mais on trouverait un équipement équivalent dans de nombreux collèges ou lycées publics. Chaque salle a son mobilier, parfois sur le modèle américain de la chaise avec tablette, parfois des rangées de tables et de chaises comme on en trouve dans n’importe quelle école française. L’ISP ne joue pas la tradition. Les élèves ne portent pas d’uniforme, mais un badge sésame pour pouvoir entrer. Les enseignants ne professent pas en costume et la salle des profs ressemble à n’importe quelles salle des profs… Ne cherchez pas non plus des rythmes scolaires innovants. Les collégiens n’ont qu’une heure pour déjeuner et des cours qui commencent à 9 heures pour se terminer à 15 h ou 16h30 selon les jours. Un emploi du temps qui se partage entre des maths, des sciences, des sciences humaines, deux langues vivantes, de l’EPS, de la technologie et des arts. En apparence ce collège ressemble à n’importe quel collège.

Des disciplines intégrées

On aura déjà remarqué que plusieurs disciplines sont intégrées, comme les sciences et les arts. Mais à l’ISP l’intégration va nettement plus loin. Les disciplines sont organisées par les enseignants selon 5 aires d’apprentissage. Les professeurs organisent le programme d’études des élèves en commun de façon à les faire travailler sur 5 grands sujets d’étude. L’aire « ingéniosité humaine » les fait travailler sur l’influence de la pensée humaine et ses conséquences sur les actions de l’homme. L’aire « environnements » aborde les questions du développement durable en mariant, elle aussi, les disciplines. L’aire « communauté et service » invite les élèves à s’investir dans leur communauté et hors d’elle et à prendre des responsabilités. L’aire « santé et formation sociale » les fait travailler sur leur implication citoyenne dans la société. L’aire « approches de l’apprentissage » les aide à travailleur leurs compétences et à trouver leur propre façon d’apprendre. Les disciplines ne prennent sens que dans ces objectifs de formation personnelle.

Comprendre comment j’apprends

Car les 5 aires d’apprentissage s’appuient sur une philosophie du développement personnel organisée autour de 5 valeurs, les 5 « c » que Raymond Holliday Bersegeay, le directeur britannique de l’école, se plait à préciser : la  créativité, la communication, la compréhension transculturelle, la pensée critique et la collaboration. « Notre enseignement n’est pas mnémosique », nous avertit Raymond Holliday Bersegeay. « Ici ce n’est pas la mémorisation de connaissances qui compte mais l’élève. C’est son développement personnel qui est au centre de l’enseignement. Les connaissances sont sur Internet. Les élèves peuvent y accéder quand ils veulent. Le rôle de l’école c’est de leur faire découvrir comment ils apprennent, comment utiliser ces connaissances et dans quel but utile pour eux et la société ». Du coup enseigner les matières indépendamment les unes des autres n’a pas de sens. Les élèves travaillent sur des thèmes transversaux choisis par les professeurs de telle façon que chaque matière trouve sa place. Tous les enseignements sont, in fine, intégrés jusqu’à la fin de la seconde. « L’élève doit comprendre comment il apprend », insiste R. Holliday Bersegeay.

Le projet personnel au coeur des dispositifs

Ces disciplines se fondent dans un projet personnel que l’élève doit préparer avec un professeur tuteur. C’est un travail que l’élève mène librement mais accompagné sur un thème de son choix. Il doit fournir pour évaluation trois types de travaux. D’abord la recherche elle-même qui peut prendre la forme d’un essai, d’une pièce de théâtre, d’une vidéo ou encore bien d’autres formes.  Elle doit être accompagnée d’un carnet de bord où le jeune va retranscrire ses questions et les étapes de sa recherche. Enfin il doit rédiger un essai de 4000 mots maximum où il explique ce qu’il a appris en faisant ce travail. Un véritable retour sur soi et son apprentissage qui est peut-être l’élément le plus précieux du travail. Ce projet évalue la capacité du jeune à travailler de façon autonome. Les enseignants français auront bien sur reconnu dans cette recherche l’idée des itinéraires de découverte des collèges ou des Travaux personnels encadrés du lycée. Sauf qu’à l’ISP ce n’est pas la 5ème roue du carrosse mais un dispositif pris au sérieux et placé en clé de voute des apprentissages.

Bien-être, créativité et leadership

En visitant les salles de classe et en discutant avec l’équipe de l’ISP, le directeur, Tuija Wallgren, responsable de la communication, et James Cooper, responsable des admissions, trois notions nous ont paru déterminantes dans cette école.

La première c’est la créativité. Tous les collégiens doivent suivre un enseignement artistique qui est une éducation à la pratique artistique. Mais la créativité est aussi recherchée dans tous les enseignements à travers les recherches et les interrogations des élèves. « Dans l’économie moderne on ne sépare pas la compétence technique et la qualité artistique », nous a dit le directeur.

Cet enseignement a aussi la finalité de développer le leadership des élèves. « Ca leur sera utile dans leur vie d’homme », explique le directeur. « On leur apprend dès l’école primaire à prendre la parole devant leurs camarades, à défendre leur point de vue ». La notion de service à la collectivité est intégrée à la scolarité au même niveau que le projet personnel. On attend du jeune qu’il s’implique dans la vie du groupe.

Le ciment de cet enseignement c’est le bien-être. On a vu que dans cette école il y a un tuteur qui suit le projet personnel de l’élève. A l’ISP il y au un enseignement obligatoire et des professeurs de bien-être. On y parle de la vie de classe, de la société, de la façon d’être et de se comporter. Mais le professeur de bien être est aussi celui qui va recevoir en entretien particulier le jeune qui a fauté ou celui qui a des problèmes familiaux. Ces entretiens peuvent devenir un véritable coaching si c’est nécessaire.

TPE, compétences, socle et tutti quanti

Dans cette visite de cette école sélect, l’enseignant français retrouve bien des questions qui travaillent le système éducatif français. C’est très clair pour la place du TPE dans l’optique d’étude supérieures. C’est clair aussi dans le rapport aux TIC. L’ISP est en train de remplacer son réseau actuel, où les connexions élèves sont surveillées plutôt que filtrées par un réseau BYOD, c’est à dire un réseau qui acceptera la connexion de n’importe quel périphérique numérique. Les élèves pourront donc utiliser Internet depuis leur smartphone ou leur tablette à leur guise, l’objectif n’étant pas de maintenir le professeur comme seul dispensateur de savoir autorisé mais au contraire de faire réfléchir à l’utilisation de ce qui est mis sur Internet. L’ISP met en pratique l’intégration des disciplines et on a vu qu’elle la pousse fort loin. Elle a mis en place le tutorat des élèves. La bienveillance est la valeur suprême de l’école. L’évaluation repose sur des notes qui elles mêmes sont établies par rapport à une grille de compétences. Et une note en maths ne peut pas compenser une faiblesse en arts. On pourrait ainsi multiplier les débats qui sont tranchés par l’ISP.

Evidemment on trouverait dans certaines écoles publiques françaises des élèves aussi épanouis que ceux de l’ISP. Par exemple, les enseignants de l’école Vitruve de Paris  n’aimeraient certainement pas faire des cours de « leadership ». Mais, de fait, ils donnent à leurs écoliers les mêmes enseignements émotionnels et sociaux que l’ISP. C’est normal : cette école a mis elle aussi en avant des valeurs.

Les valeurs au centre

Mais peut-on comparer l’ISP avec l’école publique française ? A coup sur, non. A l’ISP on aime pas trop les mots « privilégié » ou « favorisé ». On se défend d’accueillir des jeunes privilégiés au sens où ces jeunes rencontrent les mêmes difficultés que beaucoup d’adolescents. Le directeur, qui a commencé sa carrière d’enseignant dans une école pauvre d’une ville minière de Grande-Bretagne, croit reconnaître les mêmes difficultés chez ses élèves parisiens nettement plus riches. « La plupart de nos élèves sont des déracinés qui ont quitté leurs camarades pour suivre leurs parents dans un pays étranger où ils ne connaissent personne et dont ils ne maitrisent pas la langue ». Certes. Mais ces arguments ignorent les réalités des cités populaires. Les halls d’immeuble du 16ème ne ressemblent pas à ceux du 93. Les problèmes des parents, n’ont rien de commun non plus. Le quotidien des jeunes n’est pas le même. Leur vision de l’avenir non plus. Et on ne saurait oublier le capital culturel et relationnel donné par ces parents à leurs enfants.

Pour autant, je retiendrai de cette visite de l’ISP deux enseignements. Le premier c’est qu’une école bienveillante peut être exigeante. L’ISP consacre beaucoup de temps au développement personnel des jeunes. Et cela reste son objectif premier. On a l’impression que ça l’aide à hisser les jeunes vers un niveau d’excellence. A l’ISP les élèves préparent le bac international, un examen qui leur ouvrira la porte des meilleures universités du monde. Le second c’est que cette école ne triche pas avec ses valeurs. Elle les assume et les met effectivement en pratique dans les enseignements, l’évaluation, les curricula.

François Jarraud

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