PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Le numérique peut-il contribuer à réduire les inégalités dans l’Ecole et mieux intégrer les enfants issus de la grande pauvreté ? Le rapport Delahaye évoque la part du numérique dans l’ouverture de l’école aux familles populaires.  Catherine Beccheti Bizot, Directrice du numérique éducatif au ministère de l’Education nationale, revient sur cet aspect particulier de la refondation de l’Ecole.

Comment percevez-vous la question de la pauvreté dans le domaine du numérique et le lien avec l’école ?

L’inégalité n’est pas dans les équipements pour la plupart des élèves de familles pauvres (cf. l’étude de Pascal Plantard – université de Rennes2) mais plutôt dans la maîtrise des usages. Il faut toutefois faire la différence entre grande pauvreté et famille défavorisée. Pour les plus démunies, l’équipement n’est pas un détail. De plus les parents sont eux-mêmes en difficulté d’usage, parfois bien davantage que leurs enfants. La plupart de ces personnes ont beaucoup de difficultés à chercher l’information pour les aider dans la vie de tous les jours. Il est extrêmement important de former les familles pour leur permettre de mieux accompagner leurs enfants dans les usages du numérique.

Quelles actions sont-elles engagées et dans quel sens ?

Des associations, parties prenantes du rapport comme ATD Quart monde, ont des plans de formation des parents. Encore faut-il que le numérique fasse partie de ces formations et préciser sous quelles formes. Il est important de faire du lien avec les politiques de la ville, les associations d’éducation populaire. En complément de l’école des initiatives existent pour les migrants, pour les plus pauvres dans les collectivités ou les associations comme l’AFEV. Mais là encore la visibilité de la place du numérique reste faible, sachant que d’autres priorités doivent être traitées d’abord.

L’école peut-elle agir pour permettre à ces jeunes d’accéder au numérique ?

Outre l’éducation au numérique, c’est-à-dire à la pratique du numérique ainsi qu’aux médias et à l’information, l’école doit donner aux jeunes les moyens de dépasser un usage « pauvre » et passif du numérique, qui les cantonne dans une attitude de consommation et creuse les écarts entre ceux qui sauront tirer parti des avantages offerts par le numérique (parce qu’ils en possèdent les codes) et ceux qui en feront un usage limité. Des enseignants ont engagé des projets dans lesquels ils utilisent des supports et des mises en situations variés, des solutions hybrides pouvant permettre aux jeunes de développer leurs compétences et leur culture numérique.

Au travers de propositions comme celle du CNED, Dcol (http://www.dcol.fr ), des moyens sont accessibles; le CNED développe aussi un dispositif « adaptatif » (adaptative learning), qui permet d’analyser finement la progression et les difficultés de l’élève et de lui proposer un accompagnement personnalisé en ligne, en complément du travail en classe. Dans les dispositifs relais, cela est un moyen précieux pour faire face à ces difficultés tout en utilisant les moyens numériques. L’usage du numérique ne peut se concevoir indépendamment d’une vraie rencontre, en particulier pour les parents dans la grande pauvreté. L’ENT seul n’est pas efficace. Il faut proposer de former les parents pour qu’ils puissent accompagner au mieux leurs enfants dans le périscolaire (pour ceux qui peuvent accéder à des moyens matériels et des connexions).

Outre le travail scolaire quelles sont les autres axes possibles à explorer ?

Celui de l’orientation et de l’insertion professionnelle et aussi celui de l’intégration sociale. Des dispositifs comme ceux de l’académie de Grenoble ou celle de Montpellier en direction des migrants permettent d’engager des actions concrètes. On peut aussi signaler le projet « Emmaus connect »  (http://connexions-solidaires.fr/) qui a des répercussions intéressantes pour les jeunes de ces familles en difficulté face au numérique.

Du côté de l’orientation, des projets comme « Mon orientation en ligne » développé par l’Onisep sont petit à petit reconnus et les 500 000 questions personnelles reçues montrent bien l’intérêt de tels moyens qu’il est plus facile d’interroger que lorsqu’il faut se rendre dans des lieux que souvent les personnes ne connaissent pas ou dont ils n’osent pas franchir les portes. Des propositions complémentaires comme « Mon Stage en Ligne » sont des moyens qu’il ne faut pas sous-estimer pour ces jeunes en difficulté.

Quels axes privilégier ?

En premier lieu le lien et la formation avec les parents, les familles. Les ENT sont encore insuffisamment exploités et pourtant ils sont un médiateur potentiel de la relation parfois difficile entre les parents très défavorisés et  l’école. A partir d’une posture de bienveillance et de contact direct, il faut que le numérique soit un complément pour assurer le lien de confiance entre le jeune, l’école et la famille. Il faut aussi avoir une approche partenariale et bien coordonnée de ces sujets, avec les associations intervenant dans le périscolaire et collectivités territoriales.

Propos recueillis par Bruno Devauchelle

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