PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Alors que la plupart des pays européens ont entrepris des réformes en profondeur de leurs systèmes éducatifs en vue de les démocratiser, l’école française reste une des plus élitistes. Pierre Merle revient sur la mesure des inégalités scolaires et les réformes nécessaires.

La rentrée scolaire 2015 a fait l’objet de polémiques centrées sur l’inégalité de l’école française. Le débat est aussi présent parmi les chercheurs : l’école française se démocratise-t-elle ou les logiques de reproduction sont-elles dominantes ? L’une et l’autre se combinent-elles ? Un bilan est-il possible ? Pour répondre à ces interrogations, les sociologues ont décliné le concept de démocratisation de l’enseignement de différentes façons : démocratisation quantitative, qualitative, uniforme, ségrégative… Autant de notions essentielles à la compréhension des transformations actuelles de l’école française. Les données empiriques les plus récentes relatives à l’évolution de la scolarisation en France remettent cependant en cause le mouvement de démocratisation. Ne faut-il pas désormais donner un nom à ces nouvelles dynamiques ? N’assiste-t-on pas à une élitisation de l’enseignement ?

Les démocratisations quantitative et qualitative de l’enseignement

Au milieu des années 1980, A. Prost (1986) a défini deux formes de démocratisation. La première, la « démocratisation quantitative », désigne l’allongement de la scolarisation. Prost précise que la démocratisation quantitative « ne supprime pas les inégalités, elle les déplace seulement ». Cette définition est problématique. Si la « consommation d’éducation » a augmenté pour tous mais que la scolarité des élèves les moins scolarisés s’est allongée moins que celle des élèves les plus scolarisés, l’inégalité s’est creusée entre les élèves et le recours au terme démocratisation est paradoxal.

La « démocratisation qualitative » est la seconde notion présentée par Prost. Elle signifie que les cursus scolaires des élèves sont moins corrélés à leur origine sociale. La notion de démocratisation qualitative bute sur une difficulté logique. Il ne peut pas exister une démocratisation qui ne serait pas qualitative sachant que, l’alternative, la démocratisation quantitative, est une notion discutable.

Les démocratisations uniforme, égalisatrice et ségrégative

Les limites des notions proposées par Prost ont favorisé de nouvelles recherches. Goux et Maurin (1995) ont montré que les élèves poursuivent en moyenne leurs études plus longtemps, obtiennent des diplômes plus élevés, mais que cette évolution est grosso modo identique quel que soit le milieu social. Pour caractériser cette transformation, Goux et Maurin ont proposé la notion de « démocratisation uniforme ». L’expression désigne d’une part l’accroissement de l’accès à l’enseignement supérieur, dynamique justifiant l’usage du terme démocratisation ; d’autre part, le maintien des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur selon l’origine sociale.

Dans l’hypothèse où l’accroissement de l’accès à l’enseignement serait concomitant d’une réduction des inégalités d’accès selon l’origine sociale, l’expression « démocratisation égalisatrice » a pour objet de rendre compte d’une véritable démocratisation (Merle, 2000).

À ces deux premières modalités de démocratisation, uniforme et égalisatrice, il faut en ajouter une troisième. De 1985 à 1995 – période de massification forte du système scolaire – la proportion d’enfants d’origine populaire à obtenir le baccalauréat a augmenté (Insee, 2014). Cependant, ce sont les séries dont le recrutement est le plus populaire – les séries professionnelles – qui se sont ouvertes socialement. A contrario, les filières générales, dont le recrutement social est plus aisé (S, ES, L), ont globalement conservé le même recrutement social. Cette dynamique scolaire spécifique a été désignée par l’expression « démocratisation ségrégative » (Merle, 2000). Le premier terme de l’expression rend compte de l’élargissement social de l’accès au bac toutes séries confondues ; le second, de la divergence croissante du recrutement social entre les différentes séries de bac.

La démocratisation ségrégative de l’enseignement supérieur

La démocratisation ségrégative des différentes filières des classes terminales est-elle aussi en œuvre dans l’enseignement supérieur ? Comme pour l’analyse de l’accès au bac, l’étude de la démocratisation de l’enseignement supérieur doit prendre en considération – dimension non prise en compte par Goux et Maurin (1995) – ce qui est central pour l’institution scolaire et ses acteurs : les hiérarchies des filières.

Duru Bellat et Kieffer (2008) ont montré l’existence d’une démocratisation ségrégative de l’enseignement supérieur. Les filières universitaires et les filières d’élite sont sensiblement différenciées socialement. Cette démocratisation ségrégative est toutefois partielle : certaines filières universitaires se ferment (par exemple, la médecine), d’autres ont un recrutement social stable, d’autres s’ouvrent (par exemple, les sciences). Les trois modalités de démocratisation – uniforme, ségrégative, égalisatrice – sont simultanément à l’œuvre dans l’enseignement supérieur.

Un bilan est-il possible ? La massification de l’enseignement supérieur a provoqué une inflation des diplômes et des déclassements : les rendements professionnels des diplômes du supérieur, notamment en termes d’accès au poste d’encadrement, sont de plus en plus différenciés et décroissants, spécifiquement pour les diplômés du niveau licence, plus souvent d’origine populaire (Bouchet-Valat M. et alii, 2015).

La différenciation sociale des filières et des rendements des diplômes est finalement conforme à l’analyse d’Arum : « l’élargissement de l’accès à l’enseignement prend la forme d’une différenciation hiérarchisée, qui conduit les membres des classes populaires vers des filières moins valorisées et réserve les filières les plus prestigieuses aux groupes sociaux supérieurs » (Arum et al., 2007, p. 5). L’étude de l’évolution du recrutement social des filières d’enseignement les plus prestigieuses conforte-t-elle cette analyse ? […]

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