PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Que savons nous de « l’utilisation pédagogique des dotations en numérique dans les écoles » ? S’il porte ce titre, le rapport piloté par l’inspecteur général Jean-Pierre Delaubier apporte peu de réponses sur une réalité d’ailleurs difficile à évaluer. Alors le rapport se replie sur des préconisations où l’on retrouve toute l’histoire du numérique à l’école. Il recommande un plan d’équipement, de la formation, de la maintenance, du pilotage, des ENT. Un bel optimisme pour un rapport rédigé en juillet 2015.

Quels usages réellement dans les classes ?

 « Trop de classes ne sont pas encore entrées dans le numérique. La première explication concerne le matériel. Trop de classes en sont dépourvues. D’autres ne disposent que d’un équipement réduit et obsolète.. Pourtant, les enseignants sont désormais des usagers du numérique. Tous, ou presque tous, sont devenus des utilisateurs agiles dans leur vie personnelle ou professionnelle « hors la classe » ». Le paradoxe bien connu est posé par le rapport coordonné par Jean-Pierre Delaubier.

Pourtant sur « l’utilisation de la dotation en numérique dans les écoles », le rapport apporte peu d’éclairages. Il évoque « une très faible présence du numérique dans le quotidien des classes primaires » en se basant sur les observations d’inspections. « Sur trente?trois classes visitées entre le 15 février et le 15 avril 2015 (huit maternelles et vingt?cinq élémentaires), dans vingt?deux d’entre elles, les séances observées ne comportaient aucune utilisation d’outils numériques. Parmi les onze autres, on relève  six utilisations de vidéoprojecteurs interactifs ou non dont une « pendant 30 secondes, pour présenter un texte ensuite distribué sous forme de photocopies » et une autre, à l’inverse, associée à l’emploi de tablettes dans une organisation intégrant effectivement le numérique ; et cinq activités en partie sur ordinateur fixe ou portable… Sur 53 rapports d’inspection recueillis 51,43 n’évoquent aucune activité liée au numérique pendant les séances « .

Evidemment l’observation est faible. Elle témoigne aussi de la perception qu’ont les enseignants des attentes des inspecteurs (1). Le paradoxe énoncé, « les enseignants sont entrés dans le numérique alors qu’ils sont des sous utilisateurs en classe » est probablement à nuancer.

Un cadre propice aux usages numériques

C’est que le numérique a une longue histoire dans l’enseignement primaire et le rapport en rappelle quelques dates. Ca commence avec les To7 de 1983, l’échec du Plan informatique pour tous. Passons quelques « plans », il y a la formidable réussite du plan Ecole numérique rurale qui équipe 6 700 écoles et qui démontre le dynamisme des enseignants et des maires dès lors qu’on fait des offres concrètes. Il est immédiatement suivi de l’échec du plan Dune, pourtant 4 fois plus doté, pour lequel l’institution n’a toujours pas donné d’explication crédible… Plus récemment le plan Ecoles connectées devrait relier à Internet 16 000 écoles et collèges ruraux.

Enfin il y a les programmes. C’est au primaire que le B2i démarre et s’installe. Ce sont les nouveaux  programmes de maternelle qui font de la place au numérique et bientôt ceux des cycles 2 et 3.

C’est aussi une situation pédagogique qui se prête bine aux usages du numérique : un seul maitre pour toutes les disciplines, une maitrise du temps et de l’espace, une pédagogie plus souvent active et soucieuse d’autonomie que dans le secondaire.

Un équipement trop inégal

Le rapport évoque aussi les freins. Le moindre n’est pas l’équipement. On compte un ordinateur pour 17 élèves à l’école élémentaire, un pour 55 à l’école maternelle. Encore ne sont -ils pas forcément d’une grande fraicheur…Surtout l’équipement est très inégal d’une municipalité à l’autre. La maintenance très variable.

Les inspecteurs craignent que les inégalités s’accroissent avec les appels à projet. « On passe actuellement d’une logique de plan à une logique d’équipement sur projet. Cette évolution qui répond à l’exigence que le matériel soit utilisé lorsqu’il est acquis, risque d’amplifier les fortes disparités qui existent déjà entre écoles, en fonction de l’engagement des professeurs sur le numérique. Si on peut comprendre la volonté d’encourager l’initiative et l’innovation, une telle stratégie n’incite pas à l’engagement des enseignants les plus frileux. Si on souhaite éviter l’aggravation de cet écart entre les territoires, il est nécessaire de proposer une solution sur un périmètre géographique suffisant. Une action au niveau national est indispensable afin d’éviter l’existence d’une école à deux vitesses. »

Mais aussi de nouvelles pratiques pédagogiques

Mais au fond ce que décrit le rapport c’est que lé numérique vivant au primaire existe mais échappe déjà à l’institution. Le rapport signale que les enseignant s’alimentent au quotidien des ressources proposées sur les sites de leurs pairs. Le récent colloque Cnesco a pu montré qu’en maths le recours à Internet est plus important que les manuels scolaires. « Les enseignants recherchent aussi fréquemment en ligne des exemples de préparations de cours de leurs collègues. Il existe de très nombreux sites de professeurs des écoles, souvent très bien réalisés, qui proposent des séquences de cours et des ressources, voire permettent le partage de celles de leurs pairs ».

Parallèlement, le rapport souligne qu’on « observe une certaine défiance des enseignants à l’égard des sites institutionnels nationaux, et dans une moindre mesure, à l’égard des sites académiques et départementaux. Ainsi, l’offre présentée dans le portail Eduthèque, n’est pratiquement jamais citée par les équipes rencontrées » malgré le manque criant de ressources pédagogiques. « Avant toute autre considération, ils cherchent la ressource qui leur est utile et qui est la plus accessible au moment où ils en ont besoin. De ce fait, ils vont d’abord vers ce qui est disponible et gratuit, qu’il s’agisse de produits libres ou présents sur des sites d’enseignants ou issus de l’offre publique ou puisés au cours d’une recherche « ouverte » sur Internet… Autour d’un petit noyau d’outils génériques (qui imposent une appropriation), on puise dans le flux documentaire et logiciel ce qui est nécessaire au jour le  jour. De ce fait, les maîtres ne vont qu’exceptionnellement vers l’offre commerciale et ne privilégient pas l’offre publique ».

 » Le temps où l’on commandait à l’avance un manuel, une méthode ou un ouvrage documentaire ou même un logiciel, pour un usage dans la durée, sera bientôt révolu », note le rapport. Il a bien perçu que le numérique correspond aussi à une autre façon de faire cours, à une libération par rapport aux usages prescrits.

Des préconisations traditionnelles

Pourtant les préconisations restent dans les clous. Pour augmenter les usages « garantir un équipement de base dans toutes les écoles » avec évolution de la maintenance. Certes, mais qui  paiera ?

La seconde préconisation c’est le pilotage avec une mobilisation de tous les acteurs, mention spéciale sur la préconisation  » faire de l’articulation entre la DGESCO et la DNE l’axe fort de la prise en charge pédagogique du numérique », qui est sans doute dans les soucis premiers des écoles…

Les autres outils de la trousse ministérielle sortent tous seuls du rapport : M@gistère pour la formation, l’éventuel retour du C2i2e, un ENT pour chaque école pour  » permettre aux enseignants de s’approprier progressivement un environnement numérique qui réponde à leurs besoins », et puis le fameux site ministériel d’indexation des ressources qui devrait en un tour de main remplacer Google grâce à une indexation normalisée des ressources.

On reste dans les préconisations habituelles.  Pendant ce temps des milliers d’enseignants échangent au quotidien avec leurs pairs. Des centaines créent et fabriquent des ressources sans passer d’appel d’offre. Des milliers imaginent ce qu’ils aimeraient avoir comme ressources… D’autres forment leurs collègues sans passer par M@gistère. Et les rapports d’inspection, locale ou générale, pensent à autre chose…

François Jarraud

(1) Pour mémoire, le rapport sur les usages numériques dans les Landes mentionne qu’en dehors des disciplines où il est obligatoire, le numérique n’apparait jamais dans les rapports d’inspections alors que tous les élèves et enseignants ont un ordinateur portable avec eux…

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