PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Jeudi 15 janvier 2015, la réforme des rythmes scolaires passait au crible des questions des sénateurs. L’occasion de revenir sur les ambitions et les ratés d’une réforme qui vise, aussi, à lutter contre les inégalités. Echec ou réussite ?

« Après un premier bilan des temps d’activités périscolaires (TAP ou NAP), on peut dire que les NAP, qui se voulaient lutter contre les inégalités sociales, tendent, dans presque toutes les communes de France, à les accentuer », tonne Catherine Troendlé, sénatrice (UMP) du Haut-Rhin, lors de la séance de questions cribles organisée le jeudi 15 janvier 2015 sur la réforme des rythmes.
Et de poursuivre : « Vous vantez les mérites des NAP, mais pour les communes qui n’ont vraiment pas les moyens de les organiser, qu’allez-vous faire, Mme la ministre ? ».

Catherine Troendlé rappelle le reste à charge dévolu aux communes, qui pèse plus sur les communes ayant le moins de moyens. Le fait est que la pérennisation du fonds d’amorçage, votée dans la loi de finances pour 2015, ne change rien aux difficultés des communes les moins riches ou dont l’isolement ne permet pas de rendre attractifs les postes d’animateur.

Les communes rurales désavantagées

Présentée en décembre 2014 lors du Congrès de l’Andev, l’enquête Andev-Sodexho, montre, à quel point la taille des communes pèse dans la facture : 175 euros par enfant et par an en moyenne pour les communes de plus de 30 000 habitants, et 196 euros dans les petites communes de 2000 à 10 000 habitants.

« En fait, les 150 euros par enfant correspondent juste aux frais de personnel. Car, pour 45 mn d’activité, il faut compter une heure, en incluant la préparation de la séance et la restitution des enfants », décrit Vincent Pouget, responsable de la réforme des rythmes scolaires à Yvoy-le-Marron (Loiret, 620 hab, 110 enfants, en regroupement pédagogique intercommunal avec une autre commune).

La liste des coûts s’allongent ainsi : le bus du mercredi midi, soit 2500 euros pour 50 enfants (abondé à 90% par le conseil général), les coûts d’ouverture et de fermeture de l’école ce jour-là, celui des nombreuses réunions de suivi de l’application de la réforme, et, plus inquiétant, l’effet de la réforme sur l’organisation du centre de loisirs : chaque école doit désormais s’organiser, au lieu de bénéficier d’un centre unique.

« L’aide de la CAF n’est accessible que si l’activité est organisée sur deux heures consécutives chaque jour. Par ailleurs, nous ne sommes agréés que pour 22 des 30 enfants accueillis pendant les TAP. On risque de ne toucher les 54 euros que pour une partie des enfants », constate enfin Vincent Pouget.

« Nous ne tiendrons pas deux ans ! »

Certaines petites communes rurales ont eu de bien mauvaises surprises au moment de percevoir les aides de l’Etat. « Nous avons découvert que nous n’étions pas éligibles aux 40 euros dédiés aux communes qui perçoivent la DSR-cible. Or, nous avons fait nos budgets en tablant sur un reste à charge de 90 à 105 euros pour la commune. Il se situe plutôt entre 130 et 145euros », déplore Brigitte Bienassis, maire de Saint-Pierre d’Entremont (Savoie – 443 habitants et cent élèves de la maternelle au CM2).

Renseignements pris, seules trois communes, sur les trois cent que compte la Savoie, sont éligibles à la DSR-cible : « si nous l’avions compris avant, nous aurions organisé les TAP différemment. On a fait croire aux petites communes sans moyens qu’elles seraient aidées, mais ce ne sont que des effets d’annonce, car ce ciblage est discriminant », s’insurge l’élue locale.
« Un reste à charge d’une centaine d’euros représente entre 8 et 10% de notre budget global pour chaque enfant. C’est un effort pour nous, mais nous étions prêts à le faire. Sans les 40 euros, cet effort monte notre dépense à entre 12 et 14% de notre budget. Nous ne tiendrons pas deux ans ! », s’inquiète la maire.

Bien sûr, ces disparités territoriales ne sont en rien le fait de la réforme des rythmes scolaires. En revanche, cette dernière les exacerbent fortement.

Quid des inégalités sociales ?

Ici aussi, l’ire de la sénatrice alsacienne ne se fait pas prier pour éclater : « 29% (des communes) prévoient des activités payantes, pour 35% en moyenne des élèves, c’est-à-dire, pour ceux dont les parents peuvent payer les activités. Et que dire des écoles où n’est organisée que de la garderie, ou de celles où rien du tout n’est organisé après les cours ? Où est l’égalité des chances ? ».

A Angers, dès qu’elle fut élue, la majorité municipale UMP a tenu à dresser un état des lieux exhaustif, cherchant, notamment à évaluer combien d’enfants pratiquent une activité extra-scolaire et combien en sont dépourvus. Surprise : à l’échelle de la ville, ce sont près de 60% des enfants qui, effectivement, ne pratiquent aucune activité culturelle, sportive, artistique ou de loisirs. Le taux grimpe à 90% dans certains quartiers.

Voilà qui confirme l’une des hypothèses de base de la réforme. Certes, mais « revient-il vraiment à la mairie d’y pallier ? », questionne Caroline Fel, adjointe à la famille et à la petite enfance.

Certaines villes comme Gennevilliers ou Saint-Nazaire ont embrassé cette ambition politique et orienté les activités éducatives, TAP inclus, vers une plus grande égalité entre les élèves, au regard des activités culturelles, sportives et de loisirs. Mais la question de l’élue angevine mérite d’être posée : peut-on tendre vers une plus grande égalité entre élèves, quand les activités offertes se situent sur les tranches horaires périscolaires non-obligatoires, laissées au bon vouloir des communes, et non sur le temps scolaire, où sont présents tous les élèves ?

L’enjeu de la gratuité

Par ailleurs, quelle égalité garantir entre les enfants et leur famille, en cas de NAP/TAP payants ? A la rentrée 2014, la communication de nombre de collectivités autour de l’organisation des nouveaux rythmes scolaires, mettait en avant leur choix de la gratuité pour les NAP.
« La ville de Cahors a également fait en sorte que la garderie, les activités périscolaires et l’étude restent gratuites pour les parents habitant Cahors ! », claironnait ainsi le communiqué de presse de la mairie, qui soulignait tout de même une hausse du budget de 200 000 euros supplémentaires.

Mais toutes les communes n’ont pas opté pour la gratuité. Pour la rentrée 2014, le site internet de la commune de Vouziers (Ardennes, 4 094 hab. ) précise ainsi par exemple que les activités constituent un service facultatif payant : les enfants non-inscrits doivent être récupérés par leurs parents. Cette collectivité est loin d’être la seule à pratiquer cette politique, certes.

Mais combien de familles peuvent, concrètement, s’organiser pour que l’un des parents aille chercher leurs enfants en fin de classe, à 15h45, 16h, 16h15… ? Les voici donc condamnées à payer des activités, souvent à un tarif différent du périscolaire ou des études organisées jusque-là. Car en matière de « TAP » payants, toutes les formules existent : indexation du coût sur le quotient familial calculé par la ville à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine, 83 376 hab.), de 6 à 14 euros par cycle de 7 semaines d’activités à Roncq (Nord, 13 108 hab.), 125 euros par an à Chartres (Eure-et-Loir, 39 273 hab), etc.
Sans compter un effet de bord non anticipé par de nombreuses familles : une fin de classe qui intervient plus tôt dans la journée alourdit, mécaniquement, la facture du périscolaire, que la commune ait prévu des NAP ou pas.

Or, aux dires du nouveau conseiller municipal Philippe Dehand, ex-président de l’Union locale de la FCPE à Verdun (18 291 hab.), l’enjeu de la gratuité n’est pas anodin. Il a pesé dans la campagne des municipales et surtout, sur le nombre d’enfants inscrits à l’école publique : « L’ancienne municipalité voulait faire payer les TAP. Le coût était indexé aux revenus. Les parents actifs auraient donc assumé une grosse ardoise. A la rentrée 2013, nous avons enregistré la fuite de 200 élèves sur 1200, dans les écoles privées ou publiques des autres villes. Notre équipe municipale a tenu à proposer des TAP gratuits : nous avons récupéré 75 enfants », explique-t-il.

« L’accès aux TAP partage la même problématique que l’accès à la cantine. Cela correspond au besoin d’un mode de garde de la part des parents qui travaillent, qui sont en recherche d’emploi et, parmi eux, des familles monoparentales ou des parents qui exercent des postes à temps partiel avec des horaires atypiques », analyse l’élu verdunois. La FCPE avait d’ailleurs lancé, dès la rentrée, une pétition nationale pour exiger des activités périscolaires gratuites.

Inégalités de genre

Quid de l’impact du remaniement des horaires de la journée des enfants sur les mères, leur insertion professionnelle et leur carrière ? « Le dossier d’inscription stipule qu’il faut apporter des justificatifs d’activité professionnelle. A priori, cela exclut donc les parents en recherche d’emploi ou en congé parental. Mais en fait, cela exclut aussi toutes les personnes dont l’emploi est atypique, parce qu’il inclut des missions ou de l’intérim aux amplitudes horaires aléatoires », déplore Cathy, une maman des Hauts d’Asnières, quartier classé en politique de la ville. Toutes catégories où les femmes sont sur-représentées.

Le Premier ministre a promis une évaluation exhaustive de la réforme des rythmes scolaires en juin 2015.

Lire la suite : http://www.lagazettedescommunes.com/318764/rythmes-scolaires-une-reforme-generatrice-dinegalites/?utm_source=quotidien&utm_medium=Email&utm_campaign=28-01-2015-quotidien

Print Friendly