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Résumé
Titre : Justice sociale et enseignement supérieur. Une étude comparée en Angleterre, en France et en Suède
La comparaison internationale sur laquelle repose la thèse vise à analyser la signification sociale que peut prendre la justice dans le cadre des études supérieures et de l’expérience des étudiants. En empruntant aussi bien à la sociologie de l’expérience qu’aux théories de l’action publique et qu’à la philosophie appliquée de la justice, il s’agit de dépasser une vision normative de la définition de ce qui est (in)juste, bien souvent limitée au seul examen des inégalités d’accès aux études selon l’origine sociale. En complément des travaux portant sur les inégalités dans l’enseignement supérieur, ce travail cherche à identifier les conceptions de justice – largement implicites – qui fondent la légitimité de ces inégalités, ainsi que les mécanismes sociaux qui contribuent à mettre en acte cette recherche de justice sur quatre dimensions cruciales pour les étudiants : le financement des études, les mécanismes de sélection et d’admission, l’accès à l’emploi et, enfin, les modalités de formation. A cette fin, cette recherche s’attache constamment à analyser les expériences individuelles des étudiants au regard de l’agencement d’institutions et de normes sociales, qui fonde l’organisation propre à chaque système d’enseignement supérieur.
Dans le droit fil des analyses en termes de modèles sociaux, et afin de rendre compte de l’influence du contexte national sur la définition de la justice dans l’enseignement supérieur, cette thèse compare trois pays aux systèmes d’enseignement supérieur massifiés mais présentant des histoires et des structures universitaires variables : l’Angleterre, la Suède et la France.
Fondée sur le croisement d’une étude documentaire (rapports publics notamment), d’une analyse secondaire d’enquêtes quantitatives (en particulier les enquêtes Eurostudent III et Reflex) et d’une soixantaine d’entretiens semi-directifs conduits auprès d’étudiants, cette thèse met en lumière la diversité des interprétations de la justice selon les pays, et témoigne, en définitive, de la cohérence des systèmes nationaux d’enseignement supérieur tant en termes de formes d’expérience étudiante, de modes d’organisation des études que de conceptions de la justice dans l’enseignement supérieur.
Ce travail a ainsi permis d’établir que, les études constituant une période de la vie, quasiment statutairement dédiée à la formation initiale, le souci de l’insertion professionnelle prime, en France, sur toute autre fonction sociale des études supérieures. Or, tel n’est pas la règle, ni en Suède, où les études, ne représentant qu’une activité sociale parmi d’autres, relèvent d’une quête d’épanouissement personnel, ni en Angleterre, où les étudiants aspirent à apprendre de leurs études, expérience qui englobe la formation mais également l’ensemble de la vie sociale à l’Université et au-delà de ses murs. Cette thèse approfondit également l’exploration, dans l’enseignement supérieur, des modèles d’action publique traditionnellement perçus comme marchand en Angleterre, universaliste en Suède et académique en France. Enfin, elle met en lumière la façon dont les principes de justice (égalité, mérite, autonomie) sont hiérarchisés, articulés et interprétés dans ces trois systèmes d’enseignement supérieur, et les mécanismes sociaux par lesquels ces conceptions de justice sont mises en œuvre dans la pratique. Elle permet alors de relativiser la notion d’«études supérieures», telle qu’elle est conçue en France, et de mettre au jour la nature éminemment sociale de la caractérisation, comme justes ou injustes, des inégalités dans l’enseignement supérieur.
En définitive, le système anglais intègre les étudiants au sein d’une communauté universitaire forte, repose sur un modèle marchand et se donne comme objectif d’atteindre la compétition la plus équitable possible, tout en développant une autonomie plus large de choix pour les étudiants. Le système suédois est construit autour d’individualités autonomes, insérées dans un cadre organisationnel uniforme dont le but est de garantir l’égalité entre tous les citoyens. Dans le système français, les étudiants, pris dans des processus scolaires élitistes et dans une conception républicaine et corporatiste de l’égalité, s’inscrivent dans une logique stratégique marquée par l’injonction à l’insertion professionnelle. Dans chacun des pays, la justice repose ainsi sur un principe idéalisé : l’autonomie individuelle en Angleterre, l’égalité sociale en Suède, la méritocratie scolaire en France. Si chaque système d’enseignement supérieur en vient à définir une conception de justice qui lui est propre, bien au-delà du traditionnel objectif de l’égalité des chances, c’est que, en France comme en Angleterre et en Suède, il s’inscrit dans un contexte historique et sociétal, notamment via le modèle universitaire séculaire qui imprègne chaque pays, qui a peu à peu façonné les pratiques et les représentations des acteurs sociaux.
Mots-clés : justice, équité, égalité, mérite, autonomie, enseignement supérieur, expérience étudiante, financement, sélection, admission, formation, insertion professionnelle, Angleterre, France, Suède