PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

« Mais bon sang, il faut bien qu’ils apprennent l’effort, la valeur du travail. La vie n’est pas faite que d’amusements et on n’y fait pas ce qu’on veut ! »

C’est la réflexion récurrente et véhémente que j’entends chaque fois que je parle de l’école du 3ème type. D’autres complètent : « C’est l’éducation à la paresse ! » ou « On ne peut pas vivre dans l’anarchie ! ». Ceci en toute bonne foi que je ne mets pas en doute.

Anticipant et déjà habitué, j’en avais fait un long chapitre dans L’école de la simplexité, une chronique dans le tome 2 des chroniques d’une école du 3ème type et déjà un billet sur ce blog.

On a beau expliquer, prouver que ces assertions ne sont pas fondées, rien n’y fait. C’est une opinion encore largement majoritaire. Le fait que dans les pédagogies alternatives les apprentissages s’y construisent bien mieux est très rarement contesté. On peut trouver curieux, alors que la préoccupation unanimement partagée est celle des apprentissages, que ce sont quand même des allégations d’ordre moral qui soient prioritairement évoquées. Souvent d’ailleurs par les mêmes qui s’élèvent contre notre société de consommation, contre l’exploitation des travailleurs, etc. Inutile de leur rétorquer que pourtant le travail des enfants est interdit par la charte du droit des enfants, évidemment « ce n’est pas pareil » mais il n’empêche qu’il faut bien les préparer à l’aliénation de leur futur travail (s’ils en ont), ce qui pend effectivement au nez de la plupart.

Lorsque bon nombre d’enseignants se réfugient derrière leur seule fonction d’instruction et refusent de se voir attribuer celle d’éducation, il n’empêche qu’ils ne font qu’imposer et faire intégrer fortement un ordre moral, souvent le même qu’ils vont dénoncer hors de l’école.

Lorsque je demande à mes interlocuteurs « c’est quoi pour vous l’effort ? », je les mets toujours dans l’embarras. Si je leur demande la différence qu’il y a entre un enfant qui « s’amuse » à faire une expérience avec le robinet de l’évier (au grand dam de ses parents) et le chercheur qui continue à prendre du plaisir (donc à s’amuser !) avec les éprouvettes de son laboratoire, la seule réponse raisonnable qu’ils pourraient trouver, c’est que ce dernier à bien de la chance d’être rémunéré ! Mais l’un s’amuse, l’autre travaille ! Peu importe si le premier fait aussi profiter les autres de ses découvertes. Malignement, je fais observer que ni l’un, ni l’autre, ne font des efforts pour ce faire (au sens sous-entendu de la contrainte quand on parle d’effort).

Mais ce n’est pas tellement les opinions que chacun peut avoir sur le rôle de l’école et ce que doivent y faire les enfants qui est frappant dans ces réactions. C’est l’incapacité de pouvoir imaginer que ce qui se passe dans ces écoles vraiment différentes n’est pas du tout ce que le filtre de leurs représentations leur fait voir. On a beau le leur expliquer, le leur décrire, ce n’est même pas qu’ils ne le croient pas, c’est qu’il leur est impossible de le transcrire en images, de se le représenter. Même des amis, en parfait accord avec mes idées, connaissant les pédagogies alternatives, voire les pratiquant, à qui j’avais expliqué comment cela se passait, tombaient des nues quand ils venaient ensuite dans mon école. Le journaliste Marcel Trillat avait même dit : « j’ai cru débarquer sur une autre planète ! »[1]

J’ai très souvent dit et écrit que le problème principal de l’école et de la société était celui du poids des représentations. Mais on ne peut accuser les uns et les autres de ne pouvoir s’en débarrasser facilement.

Lorsque Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron[2] décrivaient et dénonçaient la reproduction sociale par l’école, ils n’avaient certes pas tort. Avec d’autres, ils n’ont probablement pas tort non plus quand ils attribuent cette reproduction à une volonté politique des classes privilégiées au pouvoir. Mais on est bien obligé de constater que lorsqu’il y a des velléités politiques pour atténuer un peu cette reproduction (sans toutefois changer le cadre institutionnel dans lequel elle s’effectue), rien ne change.

Il faut bien faire le constat que ce sont les représentations qui se reproduisent ou plutôt perdurent à tous les niveaux et quelles que soient les intentions. Il suffit de lire tous les programmes concernant le système éducatif des partis les plus révolutionnaires pour s’apercevoir qu’ils reproduisent eux aussi à peu près les mêmes schémas. On a beau dire que des Steve Jobs ou Bill Gates sont allés, eux, dans des écoles alternatives, on n’entend personne dire « pourquoi pas mes enfants eux aussi ! ». Ce qui ne serait qu’un droit démocratique n’est même pas réclamé[3].

L’incapacité d’imaginer, mais aussi les représentations qui empêchent de voir, de vouloir voir, d’aller voir ce qui les mettrait à mal, c’est bien le stade où en est arrivé notre société, et l’école y a été pour quelque chose. Toutes les représentations dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser sont encore plus ancrées par la diffusion massive d’une information médiatique dont ceux qui ont ce pouvoir (les journalistes) sont eux-mêmes pris par leurs propres représentations. L’information qui devrait permettre la réflexion s’auto-enferme elle-même dans une pensée unique qu’elle propage sans même s’en rendre compte.

Pour arriver à fissurer cet état de fait, provoquer des transformations, changer l’ordre des choses, il n’y a pas d’autre solution que de faire voir, chercher à convaincre est inutile. Depuis que nous ne sommes plus en classe, nous les ex-instits de classe unique de 3ème type sommes dans l’impuissance puisque nous ne pouvons plus inviter à voir[4]. Aujourd’hui les expériences et écoles alternatives se multiplient. Elles produisent des vidéos, des films documentaires sont réalisés, des livres publiés… De nombreux groupes se constituent sans cesse. Mais tout cela sort difficilement des réseaux sociaux ou des cercles de déjà convaincus. Parfois, même dans leur proximité elles sont ignorées. La masse de la population parentale ignore totalement que d’autres pédagogies reconnues existent.

Notre problème comme le problème de toute notre société, c’est la visibilité de tous les possibles qui existent ou ont existé et ne sont plus conformes aux représentations courantes. Les transformations viendront toutes de la base, jamais du haut. De plus en plus nombreu(ses)x sont celles et ceux qui le mettent en acte sans bruit. Mais aussi plus ce qui a été créé par les représentations ancestrales les contraint, les dissimule ou les marginalise, empêche leur extension.

On peut espérer cependant que les réseaux qui se constituent de plus en plus, les multiples organisations qui militent pour une autre école, tous les projets qui naissent et se réalisent, toutes ces initiatives citoyennes se fédèrent pour se donner les moyens de faire voir, de donner à voir.

Le Printemps de l’Education est, à mon avis, l’espace qui devrait permettre la synergie de toutes ces forces. La prochaine rencontre qu’il organise aux Amanins et où beaucoup se retrouveront pourrait être une bonne occasion de se pencher aussi sur les moyens de se rendre visible à l’opinion publique.



[1] « envoyé spécial, Vive les instits » 1993

[2] La Reproduction  Éléments d’une théorie du système d’enseignement –1970 – Editions de Minuit.

[3] L’appel pour le droit donné à tous de choisir une école différente a quand même été signé par plus de 15000 personnes ! http://appelecolesdifferentes.blogspot.fr/

[4] Nous avions pu enrayer l’éradication des classes uniques de 1993 à 1997 (moratoire décrété par François Bayrou, supprimé par Ségolène Royal), parce que nous pouvions faire voir ce que beaucoup découvraient comme autre chose qui n’avait rien d’archaïque et que les médias le relayaient à cette époque. Mais il faut reconnaître que le relai médiatique était surtout dû aux opérations spectaculaires que nous coordonnions (en particulier en utilisant… le minitel !). La toute première avait été celle des parents et de la municipalité de Saint Martial d’Albarède en Dordogne. Académie, Préfecture et Conseil général avaient supprimé leur classe unique pendant les vacances en pensant que tous allaient apprécier le « progrès ». Le refus avait été unanime et il avait été organisé ce qu’ils ont appelé « une classe sauvage ». Du pain béni pour les télés ! Cela avait permis, un temps seulement, de faire découvrir à l’opinion publique que des parents, des enseignants, des municipalités, des villages appréciaient, vivaient intensément cette différence pour leurs enfants.

Print Friendly