PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Après les évènements dramatiques de ces derniers jours et l’extraordinaire réaction de millions de citoyens dans notre pays et au-delà, après les hommages rendus aux victimes et aux services de sécurité, à l’Etat, après les moments d’intense émotion vécue dans la rue, dans les écoles, dans les familles, il était prévisible et normal que l’Ecole soit interpellée, comme elle a pu l’être dans tous les grands moments de l’histoire de la Nation et des idées.
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Au lendemain des grandes  manifestations à Paris et dans la France entière, au cours desquels les clivages, les tensions, les conflits, la politique politicienne se sont effacés au profit du respect et d’un consensus moins mou que d’ordinaire, les problèmes surgissent à nouveau, avec leur lot de déclarations classiques : appels au droit à l’expression des élèves et des parents, rappel de l’importance des valeurs fondamentales de la République, évocation de la nécessité de l’apprentissage du vivre-ensemble.
On entend à nouveau les slogans de 1968 que certains avaient oublié : faire des
écoles des lieux de vie, ouvrir l’école, former les citoyens de demain, apprendre à apprendre, apprendre à s’exprimer et à penser, former l’esprit critique…
Depuis plus d’un siècle, on sait ce qu’il faut faire…
Il se fait que, concomitamment et par les hasards du calendrier, se tenait à Lyon un grand et beau colloque en hommage à Philippe Meirieu, à l’occasion de son départ en retraite, sur le thème «Où vont les pédagogues ?». Il est évident que les grands universitaires et les quelques acteurs de terrain invités à prendre la parole ne pouvaient s’abstraire complètement d’un tel contexte. Antoine Prost (Paris 1) par exemple, a interrogé les très nombreux participants : «Depuis plus d’un siècle, on sait ce qu’il faut faire. Pourquoi ne le fait-on pas?».
Il a évoqué Léon Bourgeois qui, en 1890, donne pour finalité à l’enseignement
«une éducation complète, celle de l’intelligence, du corps et de la volonté» et déclare que «l’enfant doit être le centre commun vers lequel»tous les efforts devraient converger». A. Prost signale que 50 ans plus tard, en 1938, Jean Zay fixe les mêmes ambitions à l’école. Et il conclut sous les applaudissements avec un slogan de mai 1968 : «continuons le combat !».
Il faut donc bien le continuer malgré les désillusions, la lassitude, les déceptions.
A l’évidence, malgré la «rénovation pédagogique» des années 1970, tentée par la droite, malgré les efforts de la gauche au pouvoir en 1981, malgré la loi révolutionnaire de 1989, abandonnée par ses auteurs et leurs amis, malgré le constat en 2012 de la nécessité de refonder l’école, malgré les travaux des mouvements pédagogiques et même des groupes d’experts du parti au pouvoir, rien n’a changé au fond. Les futurs programmes ajoutés à un socle revu et corrigé évitent soigneusement et diplomatiquement les ruptures nécessaires et la question du choix des disciplines et des contenus par rapport à l’évolution des savoirs sociaux et des besoins des citoyens.
Au contraire même, le développement du pilotage par les résultats apparents dans un système pyramidal autoritaire, s’est poursuivi envers et contre toute attente, imposant le mythe gestionnaire destructeur à toute la communauté éducative, enracinant l’idée qu’il est serait possible de refonder l’école avec les
«nouveaux vieux programmes» imposés en 2008, avec les mêmes structures, le même fonctionnement autoritaire, les mêmes pratiques. Il suffirait donc de réduire la journée scolaire, d’imposer la juxtaposition étanche d’activités périscolaires, d’annoncer, pour plus tard, un socle revu et corrigé, des programmes que l’on ne réussira toujours pas à «faire» et la restauration quasiment à l’identique du passé, de la formation des enseignants.
Nouvelles audiences, nouvelles commissions, nouvelles concertations, nouvelles grandes déclarations sur les valeurs et les finalités… pour aucun changement possible sans courage politique et sans ruptures, sans recherche de mobilisation de la Nation autour d’une autre école. Dans 20 ou 50 ans, les participants à des colloques sur l’école si elle existe encore, pourront déplorer que l’école n’a pas changé au fond, et un ou une ministre clamera qu’il faut enseigner les valeurs quand toute l’histoire montre que c’est impossible et qu’il faut donc s’y prendre autrement, bousculer les habitudes, remettre en cause cette idée qui persiste à l’évidence, que pour refonder, il suffit de corriger, de dépoussiérer, d’adapter, de réparer, de repeindre et de faire des discours.
On ne peut pas enseigner les valeurs.
L’expression même «enseigner des valeurs» appelle des notions obsolètes : un cours de valeurs, une discipline ajoutée aux autres fortement cloisonnés, un prof de valeurs, un enseignement moral, civique et social… et, pourquoi pas, un «cours de vivre ensemble». On ne peut qu’apprendre les valeurs et le vivre ensemble, ce qui est très différent de subir leur enseignement.
On ne peut les apprendre que dans des situations, où l’élève n’est pas un récepteur, un partenaire docile dans un dialogue formel préparé, mais une personne et un être social, avec ses savoirs scolaires et extrascolaires, ses représentations, son intelligence, sa sensibilité.
L’enseignant doit-il être un transmetteur de savoirs ou un professeur d’intelligence et de valeurs ?
La réponse facile qui conforte les conservatismes, même sans le vouloir, est simpliste : les deux. Sauf que personne ne sait comment l’on fait. Par cours  magistral ? Mais les élèves n’écoutent plus et chahutent. Par l’exemple ? Mais les éducateurs exigent encore trop souvent le respect de règles qu’ils ne  s’appliquent pas à eux-mêmes, par exemple : dire bonjour, ne pas interrompre autoritairement, ne pas juger hâtivement… Par la responsabilisation ?

Mais les élèves apprennent la docilité ou la révolte, et les enseignants eux-mêmes sont soumis à leur hiérarchie et aux programmes. […]
 
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