PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Bondy Blog : Pour cette réforme des programmes, on a parlé de fin du modèle éducatif Français. Qu’en pensez vous ?

François Dubet : Je pense que parler de la fin du modèle éducatif est exagéré. En même temps, je crois que c’est une inflexion assez forte de la conception du collège définie par René Haby en 1975. Cette étape de la scolarité était le premier cycle du lycée classique. Grosso modo, il y avait un lycée dans lequel on entrait en 6e et on sortait en terminale. Il était marqué par un programme scolaire ayant une unité de la sixième à la terminale qui était destiné à préparer au baccalauréat. Dès lors que tout le monde est entré dans ce collège, cette définition s’est heurtée à un nombre considérable d’élèves qui n’étaient pas faits pour ce programme. C’était un mode de scolarité réservé à une toute petite minorité, fait pour fabriquer des bacs généraux.

Ceux qui ne se conformaient pas à ce système décrochaient ou se retrouvaient en lycée professionnel, et ces situations se définissaient par l’échec. C’était intenable. Pendant longtemps, pour gérer ce problème, on a créé des sous filières, classe de niveaux, classes technos, etc… Lorsqu’on a quitté ce modèle, dans les années 1990 on a eu une hausse des clivages entre les établissements. Certains de ces établissements, plutôt bourgeois ou de classes moyennes ont pu correspondre au modèle du lycée, et d’autres non. Je trouve que le mérite de cette réforme c’est d’essayer de répondre à cela, en parlant de « collège pour tous », avec un socle commun, intégré à une école qui va du CP à la troisième. Mais la polémique autour de la « fin du modèle Français » relève du climat pénible de notre pays qui voit la France menacée chaque matin.

Vous êtes donc plutôt favorable à une telle évolution ?

En effet. Je suis malheureux d’être dans un pays qui tout les quatre ans reçoit les enquêtes internationales qui montrent que le niveau des élèves n’est pas bon et que les inégalités sont excessivement fortes. En France, l’impact des origines sociales des parents sur la réussite scolaire des enfants est la même qu’au Chili ! Donc oui, je suis plutôt favorable à ce qu’on essaie de traiter ce problème.

Etes vous favorable à la plus grande autonomie laissée aux enseignants à travers ces programmes ?

Oui. Les enseignants sont des professionnels, comme des ingénieurs ou des médecins. Je crois que l’on doit exiger d’eux des résultats. Mais il faut leur laisser une certaine autonomie professionnelle, qu’ils revendiquent, dans l’art et la manière d’atteindre ces résultats. Aujourd’hui, on a un système assez incroyable où ils sont soumis au respect rigoureux des programmes et les méthodes. Il faut laisser au médecin son autonomie à condition que le malade s’en sorte, c’est la même chose pour l’enseignant. En France, on n’a pas de contrôle du résultat mais plutôt des pratiques. Je préfère un système inverse. D’ailleurs, les enseignants nous disent, « une fois dans ma classe, je fais au mieux, je me démerde ». Et ce serait catastrophique que ce ne soit pas le cas. J’ai enseigné, j’ai lu le programme pendant les vacances. A la rentrée lorsque j’ai vu les élèves je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun rapport entre ce programme, le manuel et les élèves. Un professeur ne peut préparer ses cours qu’une fois qu’il a vu sa classe.

Cela ne risque t il pas de créer des diplômes différents selon les enseignants, avec une école qui ne serait plus « la même partout » ?

Rien ne suggère que le diplôme soit différent, c’est le même. Cette réaction est d’une formidable hypocrisie. Si tout les diplômes valaient la même chose exactement partout, pourquoi les gens se battraient ils pour aller dans certains collèges plutôt que dans d’autres ? En réalité, nous savons bien que derrière la « peau d’âne » nationale, il y a des différences considérables. Il ne faut pas avoir de craintes la dessus notamment quand on voit l’état actuel du système.

Pensez vous que l’apprentissage d’une langue dès le CP soit efficace ?

Je n’en sais rien. Je n’ai pas vu véritablement d’évaluation sur cette affaire. Cela pose certainement la question de la compétence des enseignants. Ce n’est pas facile de dire que tous les élèves suivront une deuxième langue en CP sans avoir des professeurs capables de les familiariser avec la musique cette langue. Mais à priori évidemment je pense que c’est plutôt une bonne chose.

Quelle est votre position sur la question de l’enseignement du latin ?

C’est une des question les plus folles qui soient. Il n’est pas prévu de supprimer l’enseignement du latin. L’enjeu, c’est de ne pas faire des langues anciennes le prétexte à la constitution de classes homogènes permettant de regrouper de “bons élèves”. Ces derniers vont en général faire du latin ou du grec pour être dans la bonne classe et l’abandonner dès le lycée. Je préfère un système qui dit : tout ceux qui veulent faire du latin en font. Mais dès lors que vous faites des classes de « bons » d’un coté, vous créez des classes de « mauvais « de l’autre. Ce genre de dispositif provoque une inégalité de l’offre scolaire véritablement choquante. Je suis pour le latin et le grec, mais il ne faut pas séparer les gamins, ceux qui le veulent resteront deux heures de plus pendant que les autres feront autre chose !

Que pensez-vous de la suppression des classes bilingues français/allemand et des classes européennes accusées de favoriser l’élitisme au collège ?

Je ne comprends pas que certains syndicats qui se disent de gauche défendent des classes qui sont des enclaves d’élitisme social au sein d’un système public. Ce sont des classes où l’on ne met que des bons élèves qui sont par ailleurs des gosses extrêmement favorisés socialement, et qui profitent d’un enseignement qui coûte plus cher que celui qu’on donne aux autres. Comparez le voyage de classe d’une classe européenne et celui d’une classe lambda ! Il faut que tout le monde en bénéficie.
Il ne s’agit pas d’être contre l’élitisme, mais de faire que l’aide qu’on apporte aux bons élèves ne nuise pas aux autres. Je suis très favorable à l’idée que tous les enfants aient le même enseignement, et que ceux qui sont « meilleurs » dirons nous en terme scolaire, puissent bénéficier d’enseignements qui leur permette d’être meilleurs. Mais il ne faut pas constituer des classes à partir de cela, il faut proposer des options.
En défendant les classes européennes, on ne peut pas protester contre le privé qui choisit ses élèves, car c’est faire strictement la même chose au sein du public. Au fond dans le privé, les parents payent alors que là ce sont les parents des pauvres qui vont payer. Mais peut être, c’est une hypothèse, qu’il y a beaucoup d’enfants de profs dans ces classes…

Que pensez vous des polémiques autour du programme d’histoire ?

Il y en a deux. La première, sur laquelle je n’ai pas vraiment d’expertise, est autour du vieil enjeu de la chronologie. Je suis plutôt favorable à un enseignement de ce type de l’histoire, probablement pour une raison de génération. Cela donne le sens de la durée historique, ce qui est une bonne chose.
Il y a une seconde querelle que je trouve ignoble, qui est l’idée que si l’on enseigne d’autres cultures que la culture nationale Française hexagonale, on détruit l’identité nationale. Quand vous lisez « la ministre d’origine arabe veut remplacer l’histoire de France par l’histoire islamique », c’est ignoble. J’ai rarement vu les débats scolaires être autant irrigués par la pensée d’extrême droite.
L’enseignement de l’histoire ne peut plus être fait aujourd’hui comme du temps de la guerre de 14. L’histoire de la France, c’est aussi l’histoire de l’Europe et c’est aussi l’histoire du monde ! Si la France est une société pluriculturelle, il faudra bien que l’enseignement de l’histoire prenne en compte cette diversité.

Propos recueillis par Mathieu Blard

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