PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

L’affectation des élèves dans les établissements scolaires est diverse, choix libre dans le privé, carte scolaire dans le public avec dérogations pour une minorité. Le système a connu une réforme récente et passe désormais par internet. Pierre Merle montre comment cette nouvelle procédure renforce dans certaines situations la ségrégation sociale, puis ouvre des voies pour y remédier.

Quel que soit le système éducatif, l’affectation des élèves dans les établissements scolaires se réalise selon trois modèles : choix libre des parents, affectation réglementée, modèle mixte qui combine les deux précédents. La singularité de l’école française tient à la co-existence des trois modèles : choix libre pour les établissements privés ; affectation scolaire régie par une carte scolaire pour la majorité des élèves, recours à des dérogations à la carte scolaire pour une minorité [1]. Au début des années 2000, pour l’entrée en lycée, une procédure PAM, Pré-Affectation automatique Multicritères, a été testée et, à la rentrée scolaire 2008, cette procédure a été généralisée dans le cadre d’affelnet, affectation des élèves par le net. Quels sont les enjeux de cette nouvelle politique ? Quels résultats ont été obtenus ?

Trois enjeux incontournables

Autant dans les lycées que dans les collèges, trois enjeux justifient l’intérêt porté aux politiques d’affectation des élèves. D’abord, la recherche d’un optimum économique. Lorsque plus de cinq millions de collégiens et lycéens sont scolarisés, il faut des classes, des professeurs et des personnels administratifs pour les accueillir de façon satisfaisante. La création de la carte scolaire, en 1963, est directement liée à l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans décidé par la réforme Berthon : les nouveaux collèges, construits en prenant en compte le nombre d’enfants à scolariser par commune et par quartier, devaient être pleinement utilisés. En 2007, lorsque les possibilités de dérogations à la carte scolaire ont été sensiblement élargies, certains établissements populaires ont perdu plus de 25% de leurs effectifs en deux ou trois années (Merle, 2012a ; Grenet et Fack, 2012) et, parallèlement, des collèges attractifs et surchargés ne pouvaient plus accueillir des élèves en surnombre. Plus les parents disposent de liberté dans le choix de l’établissement de scolarisation de leurs enfants, plus les surcoûts collectifs liés à cette liberté sont importants. Certains collèges sont même désaffectés ou détruits lorsqu’ils sont trop désertés par les élèves. De nouveaux collèges sont alors construits dans des quartiers plus attractifs.

Un second enjeu des modalités d’affectation des élèves dans les établissements scolaires est d’ordre socio-politique. L’aphorisme ancien de Durkheim (1922) – « La classe est une petite société » – a gardé toute sa pertinence. L’établissement scolaire n’est pas seulement une modalité de regroupement de la jeunesse, il est aussi un lieu structurel de socialisation, de construction d’univers linguistiques, de processus cognitifs, de modalités de présentation de soi, d’affinités électives, d’aspirations scolaires et professionnelles fortement différenciées selon la filière et la classe. Toutes les recherches convergent sur un résultat incontestable : la liberté de choix des parents favorise l’entre-soi, c’est-à-dire la ségrégation sociale (Merle, 2012b ; OCDE, 2014). Il faut en conclure que plus la liberté de choix s’accroît, plus les établissements scolaires, instances centrales de socialisation et d’apprentissage, sont différenciés socialement et sources de variations dans les contenus d’enseignement, les performances des élèves, les orientations et les durées des scolarités (Merle, 2012c). En favorisant l’entre soi des classes aisées, le libre choix tend à transformer l’établissement scolaire des beaux quartiers en complément fonctionnel de l’habitat et de la famille, lieux privilégiés de reproduction sociale (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007).

Le dernier enjeu des modalités d’affectation des élèves est celui de la qualité des systèmes éducatifs. Les thuriféraires du libre choix de l’établissement considèrent qu’il favorise la concurrence entre établissements et, pour cette raison, l’efficacité du système éducatif. Cette idée très répandue relève de l’idéologie et non de l’analyse : la concurrence entre établissements scolaires, directement liée au libre choix des parents, n’est pas une variable explicative du niveau de compétences des élèves (OCDE, 2014). Les recherches tant nationales qu’internationales convergent sur un autre constat. L’absence de choix ou un choix régulé des demandes parentales favorise la mixité sociale, facteur d’efficacité : le niveau moyen des élèves est globalement plus élevé dans les systèmes scolaires socialement mixtes [2]. La mixité sociale est aussi un facteur d’équité. Celle-ci est définie doublement. Lorsque l’équité est faible, d’une part l’écart de compétences est plus grand entre les élèves forts et faibles et, d’autre part, la corrélation entre origine sociale et réussite s’accroît.

Comme le montrent les études PISA, le système scolaire français est l’un des plus inéquitables des pays développés, et la dernière enquête PISA, publiée en 2013, a confirmé cette spécificité croissante de l’école française. À titre d’exemple, le retard scolaire, particulièrement élevé en France et indicateur fortement prédictif de la carrière scolaire, est la variable la plus fortement corrélée à l’origine sociale des élèves. Le taux de redoublement des élèves d’origine défavorisée est presque six fois supérieur à celui constaté pour les élèves d’origine aisée (graphique 1 ci-dessous). La faiblesse de l’équité de l’école française est en partie liée aux procédures d’affectation des élèves et au faible niveau de mixité sociale inter-établissements qui en découle. Les préconisations de l’OCDE confirment explicitement ce lien : « Adopter des politiques qui améliorent l’inclusion verticale et horizontale [c’est-à-dire qui augmentent la mixité sociale inter-filière et intra-établissement] est l’un des meilleurs moyens de parvenir à l’équité » (OCDE, 2011).

Ces trois enjeux justifient la mise en place de la procédure Affelnet dont l’objectif affiché est d’accroître la mixité sociale des lycées. Cette nouvelle procédure d’affectation des élèves a-t-elle atteint son but ?

Graph 1 : Taux de retard à l’entrée en classe de sixième
selon les caractéristiques de l’élève (en %)

Source : Baccaïni (2014) (exploitations secondaires)
Champ : primo-entrants en 6e à la rentrée scolaire 2011.
Légende : Le taux de retard en 6e des élèves d’origine sociale défavorisée est de 20,5%.
Les origines sociales « favorisées » et « moyennes » ne sont pas présentées.

La procédure affelnet d’affectation des élèves et son évaluation

La procédure affelnet est fondée sur une affectation scolaire de chaque enfant en fonction de plusieurs critères : le statut de boursier, les résultats scolaires des élèves, le rapprochement de fratrie, un choix de lycées classés par les parents par ordre décroissant de priorité, un avis éventuel du chef d’établissement susceptible d’appuyer plus ou moins les demandes des familles… Chaque critère est affecté d’un certain nombre de points et fait l’objet d’une pondération.

L’évaluation de la procédure affelnet est difficile pour plusieurs raisons. Le nombre de points affecté à chaque critère ainsi que le nombre de critères dépendent, en partie, de la politique de chaque académie et spécifiquement, au niveau départemental, de l’inspecteur d’académie qui paramètre la procédure d’affectation. Pour cette raison, aucune évaluation globale de cette politique n’est possible et la procédure affelnet favorise plus ou moins la mixité sociale selon le paramétrage des critères (Fack et Grenet, 2014). Ensuite, les pondérations ne sont pas stables : les inspecteurs académiques modifient celles-ci lorsque la procédure affelnet débouche sur des dysfonctionnements – élèves sans affectation -, ou lorsque l’objectif de mixité sociale n’est pas atteint, pour autant que celle-ci fasse l’objet d’une mesure. Pour cette raison, les effets de la procédure affelnet sur le niveau de mixité sociale sont éventuellement variables dans le temps.

Les difficultés de l’évaluation de la procédure affelnet ont imposé une réduction de l’analyse à l’Académie de Paris, limitée à Paris même. Ce choix tient au fait qu’il s’agit d’une académie où, en raison de la concentration urbaine, de l’importance des catégories aisées et de la densité des réseaux de transport, la ségrégation sociale est particulièrement élevée (Merle, 2012b, 2014 ; Fack et Grenet, 2014 ; Ly, Maurin et Riegert, 2014). La procédure affelnet est pour cette raison plus nécessaire et les effets potentiellement plus importants et plus mesurables.

Pour l’académie de Paris, les critères affelnet de classement des demandes parentales sont connus. En 2008, le statut de boursier permet d’obtenir 300 points ; l’obtention de bons résultats scolaires, 700 points ; un rapprochement de fratrie 50 points ; le choix d’un établissement dans le district de son domicile 400 points [3]. Cette présentation d’affelnet simplifie la procédure effective d’affectation des lycéens car les « formations à recrutement particulier », par exemple l’admission en seconde dans les sections européennes, font l’objet d’un dossier spécifique et d’une procédure spéciale dite « pré PAM ». Ce dossier spécifique, qui s’ajoute au dossier déposé par tous les élèves, réduit la transparence de la procédure affelnet puisque les parcours les plus recherchés ne sont pas traités selon la procédure commune.

Déjà signalée, une difficulté de l’analyse des effets de la procédure affelnet tient à ce que les pondérations associées aux critères d’affectation font l’objet de modifications. Ainsi, à partir de 2009, dans l’académie de Paris, la pondération accordée aux résultats scolaires est passée de 700 à 600 points ; le critère « choix de l’établissement dans son district » est passé de 400 à 600 points ; et le fait de faire un premier choix non satisfait ou de venir précédemment d’un collège privé n’est plus pénalisé, cette pénalisation ayant été considérée comme une discrimination religieuse par la Halde suite à des plaintes déposées par les parents scolarisant leurs enfants dans les collèges privés. Ces changements de pondérations ont exercé des effets sensibles sur le niveau de ségrégation des lycées parisiens (cf. partie suivante).

L’analyse a porté sur l’ensemble des lycées parisiens. Ce choix était potentiellement problématique tant les recrutements sociaux des lycées sont différenciés, de la filière générale, au recrutement social plutôt aisé, à la filière professionnelle, au recrutement nettement populaire (MEN, 2012, p. 102). Cette différenciation des filières et des lycées cache l’essentiel : le secteur public scolarise 78,7% des lycéens des filières professionnelles et 78,1% des lycéens des filières générales et technologiques (MEN, 2012, p. 98). Par complément, le secteur privé scolarise 21,3% de lycéens professionnels et 21,9% des élèves des filières générales et technologiques. Ces proportions sont extrêmement proches et de surcroît stables dans le temps car la régulation rectorale des créations et suppressions de filières dans les secteurs public et privé a notamment pour objet de maintenir cette similitude morphologique des deux secteurs. Celle-ci est essentielle dans l’analyse : elle permet une comparaison du niveau de ségrégation sociale des secteurs public et privé en neutralisant des effets de structure qui seraient liés à une répartition inégale et instable des filières générales, technologiques et professionnelles dans les secteurs public et privé.

Les résultats

L’évaluation de la procédure affelnet a été réalisée à partir de la mesure du niveau de ségrégation des lycées parisiens. La période d’analyse retenue, des années scolaires 2006-2007 à 2011-2012, permet de savoir si la mise en œuvre de la procédure affelnet en 2008 a exercé un effet sur l’évolution de cette ségrégation sociale. Celle-ci a été mesurée en calculant l’indice de dissimilarité, indicateur classique de mesure de la ségrégation scolaire (Jnekins, Micklewright et Schnepf, 2006 ; Merle, 2011 ; Grenet et Fack, 2012). La définition statistique de l’indice de dissimilarité est présentée ailleurs (Merle, 2012). L’interprétation de cet indice est facilement compréhensible, sans définition statistique, à partir de deux situations types. Si tous les établissements ont le même recrutement social, le niveau de ségrégation est nul et l’indice de dissimilarité est égal à 0%. Inversement si, dans une commune avec deux établissements, le premier scolarise tous les enfants d’origine populaire et, le second, tous les autres élèves, le niveau de ségrégation est maximum et l’indice est égal à 100%.

Afin d’évaluer l’effet de la procédure Affelnet, trois mesures de la ségrégation ont été réalisées. Compte tenu du fait que la procédure Affelnet ne s’applique qu’aux établissements publics, il était nécessaire de mesurer séparément l’évolution de la ségrégation dans les secteurs public et privé. Une troisième mesure concerne la ségrégation globale, lycées publics et privés réunis.

Graphique 2 : Évolution de l’indice de ségrégation sociale dans les secteurs
public et privé des lycées parisiens (années 2006-2007 à 2011-2012) (en %)

Plusieurs enseignements peuvent être tirés du graphique ci-dessus. Avant la mise en œuvre de la procédure affelnet, en 2006 et 2007, la ségrégation de chaque secteur est stable. Elle est aussi plus faible pour les établissements privés dont le recrutement social est globalement plus aisé et plus homogène. Ainsi, dans les filières professionnelles, la proportion d’élèves d’origine défavorisée est de 55,5% dans les lycées publics et de seulement 36,4% dans le privé (MEN, 2012, p.102). Cette sous-représentation des catégories populaires dans la filière professionnelle du privé, présente aussi dans les filières générales et technologiques, est un indicateur d’une ghettoïsation par le haut (Merle, 2012b).

À la rentrée 2008, à partir de la mise en œuvre de la procédure affelnet, les secteurs public et privé connaissent une évolution divergente. Dans le secteur public, la ségrégation scolaire baisse de presque un point (de 35 à 34,1%) alors que, dans le secteur privé, cette ségrégation augmente sensiblement (+ 2,6 points) (graphique 2). L’objectif d’une augmentation de la mixité sociale est donc atteint mais seulement pour les lycées publics. À la rentrée 2009, les modifications de la procédure affelnet, en donnant un avantage aux choix d’établissements dans le même district, en réintégrant les demandes des familles ayant scolarisé leurs enfants dans un collège privé, et en supprimant les pénalités de points liés aux premiers choix non satisfaits, ont favorisé les choix ambitieux des familles d’origine aisée et moyenne et accentué légèrement la ségrégation sociale dans le secteur public.

Les dynamiques ségrégatives essentielles sont ailleurs. Dans le secteur privé, la ségrégation sociale augmente fortement lors des rentrées scolaires 2008, 2009, 2010 et 2011 (graph. 2). Cette croissance ne peut s’expliquer que par une analyse spécifique des stratégies des parents aisés. Un des effets majeurs de la procédure affelnet est l’impossibilité pour les parents de connaître l’affectation de leurs enfants avant le mois de juin sur leurs six vœux présentés même lorsqu’il s’agit, pour partie, de lycées inclus dans le district de leur domicile pour lesquels l’affectation n’est pas toujours assurée. L’affectation tardive en lycée, parfois sur les 5e et 6e vœux, parfois même hors vœux, même pour des élèves ayant de bons résultats scolaires dans leur collège (ces bons résultats devenant éventuellement « moyens » suite à la pondération de leurs notes par les résultats écrits de leur établissement au DNB si l’établissement a des performances moyennes), a favorisé la contestation des parents comme le montrent la création de blogs de parents, opposés à la procédure affelnet [4]. Ces spécificités de l’affectation affelnet – décision administrative tardive, incertitude du résultat – ont favorisé une fuite sensible des parents des catégories aisées vers les lycées privés. Cette fuite du public vers le privé concerne essentiellement les catégories aisées et la filière générale des lycées si bien que l’écart de recrutement social entre les filières générales et professionnelles du privé a augmenté et a provoqué une croissance considérable de la ségrégation sociale des établissements privés parisiens : + 10,7 points de 2007 à 2011 ! (graphique 2).

En 2007, la politique d’assouplissement de la carte scolaire mise en œuvre au niveau collège a débouché sur le même phénomène de fuite du secteur public vers le secteur privé (Merle, 2011, 2012b). La procédure affelnet, conçue à partir d’un choix régulé, et pour cette raison en partie différente dans son principe de la politique d’assouplissement mise en œuvre au niveau collège, ne débouche pas sur un résultat réellement plus satisfaisant (Merle, 2014). Aux États-Unis, la politique du busing – le déplacement des enfants noirs vers les écoles blanches – a entraîné un phénomène comparable de white flight : les populations blanches aisées se sont réfugiées dans les écoles privées ou dans les écoles hors district non concernées par la politique du busing (Merle, 2012b).

Pistes pour une plus grande mixité sociale et scolaire des établissements

Cette évaluation de la politique d’affelnet présente un intérêt majeur en termes de politique éducative. D’une part, cette nouvelle procédure d’affectation automatisée des lycéens n’a pas permis d’augmenter globalement la mixité sociale des établissements. D’autre part, pour autant que cette politique parvienne à réduire la ségrégation sociale dans les établissements publics – ce qui est parfois le cas -, la procédure affelnet débouche, par contrecoup, sur une croissance de la ségrégation sociale dans les établissements privés. Une partie des enfants des catégories aisées ne pouvant obtenir l’établissement public souhaité s’inscrit dans un établissement privé. Ce résultat montre qu’une politique de mixité sociale des établissements fondée sur une procédure d’affectation des élèves ne peut être efficace que si elle concerne les deux secteurs d’enseignement afin d’éviter les phénomènes de fuite du secteur public régulé vers le secteur privé non régulé. Lycées publics et privés devraient donc être soumis aux mêmes règles d’affectation de leurs élèves et/ou être contraints à une exigence de mixité sociale.

Pour réduire la ségrégation interne à chaque secteur, des options attractives dans les établissements moins demandés et/ou la réduction des options dans ceux qui sont les plus recherchés, y compris pour les lycées privés, constituent aussi une politique éducative souhaitable (Thélot, 2004). Bien que l’offre pédagogique ne soit pas le seul déterminant des demandes des familles (Merle, 2012d), les options, notamment les sections européennes et internationales réservées réglementairement aux meilleurs élèves, contribuent à attirer ceux-ci et participent à l’excellence et à l’attractivité d’un établissement. Ce phénomène est également à l’œuvre dans les collèges. L’abondance de l’offre linguistique, spécifique aux collèges au recrutement aisé, favorise les demandes de dérogation des familles aisées et moyennes qui, souhaitant que leur enfant échappe au collège de leur secteur, découvrent chez leur enfant un attrait pour le chinois ou le russe, enseignés par 85,4% des collèges au recrutement aisé (Baluteau, 2013, voir annexe). La différenciation pédagogique des établissements est au fondement de la différenciation du recrutement social et une source majeure de ségrégation sociale. La recherche de l’équité et de l’efficacité, globalement liées (Merle, 2012b), passe inévitablement par une réduction de la différenciation pédagogique.

Il existe un autre levier susceptible de favoriser la mixité sociale. Actuellement, le financement des établissements scolaires est essentiellement fondé sur le nombre d’élèves scolarisés et cette dotation-élève est indifférente à l’origine sociale. Un tel système est pervers : il favorise la sélection des meilleurs élèves, spécifiquement dans le secteur privé. Dans la situation actuelle, le modèle économique du secteur privé l’incite en effet à limiter la scolarisation des enfants d’immigrés et d’origine populaire : ceux-ci contribuent moins aux dépenses, nécessitent plus d’encadrement pour réussir, ont en moyenne de moins bons résultats et, pour cette raison, nuisent à sa réputation au fondement de son attractivité scolaire et sociale. Autant de raisons qui incitent un établissement du privé, s’il est situé dans un beau quartier, à sélectionner sa clientèle en raison de demandes en surnombre. Le choix des familles est pour cette raison une expression trompeuse susceptible de recouvrir une autre logique : le choix des élèves par les établissements. Ce choix favorise la ségrégation sociale (Jenkins et alii, 2006). La récente recherche de Du Parquet, Brodaty et Petit (2013) a d’ailleurs montré que près de 20% des établissements privés, en dépit de leur mission de service public, ont recours à la discrimination ethnique dans leur politique de recrutement…

Pour supprimer l’effet pervers d’une dotation-élève indifférente au niveau scolaire, il est possible de prendre en compte financièrement les spécificités scolaires et sociales des élèves. Une telle politique a été mise en œuvre au Pays-Bas (Ritzen, Van Dommelen et De Vijleder, 1997)et au Chili, en 2008, dans le cas de la Loi de subventions scolaires préférentielles. La scolarisation d’un élève d’origine populaire a fait l’objet d’une dotation supérieure. La différenciation des dotations financières est une façon globale et lisible de donner plus à ceux qui ont moins, principe souvent répété mais dont la mise en œuvre est confuse, discutable, parfois même contraire aux principes qu’il est censé défendre (Dallier, 2011, Cour des comptes, 2011, Merle, 2012a et b). Si la dotation par élève était différenciée selon l’origine sociale et le niveau scolaire des élèves, les chefs d’établissement seraient incités à rechercher de la mixité sociale et scolaire alors que le système actuel incite à scolariser de préférence les bons élèves plus souvent d’origine aisée. Toutefois, la ségrégation scolaire des établissements ne relève pas que de la politique éducative car une partie importante de cette ségrégation résulte de la ségrégation urbaine (Ly, Maurin, Riegard, 2014). Le développement du logement social dans les communes aisées est pour cette raison un levier potentiellement puissant de mixité sociale des établissements scolaires, d’équité et d’efficacité des systèmes scolaires. Prévue par la loi, l’objectif de mixité sociale de l’habitat suscite cependant des résistances fortes et n’est guère respecté [5].

D’autres politiques éducatives sont également sources d’efficacité et sont pourtant négligées telle que la réduction du nombre d’élèves par classe dans les zones d’éducation prioritaire qui scolarisent les élèves en difficulté scolaire (Piketty et Valdenaire, 2006). Compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, cette politique ne peut être mise en œuvre qu’en augmentant légèrement le nombre d’élèves par classe dans les établissements hors zone d’éducation prioritaire. Bien que cette politique de redistribution des moyens ait une efficacité prouvée (Fredriksson et alii, 2013, 2014) – le progrès des élèves faibles est particulièrement sensible au nombre d’élèves par classe -, elle n’est pas réellement mise en oeuvre. Le principe d’égalité à la française est étrange : il est sollicité pour ne pas donner réellement plus à ceux qui ont moins, vite oublié pour donner plus, par exemple plus d’options linguistiques, à ceux qui ont plus. C’est pourtant une illusion ou une tromperie de penser que l’école française pourrait devenir plus juste, plus efficace et plus équitable sans supprimer les privilèges dont bénéficient les héritiers…

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