PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Les rythmes scolaires : une histoire bien française

« Dès le 16ème siècle, on a vu poindre, avec la pédagogie jésuite, une idée qui fera son chemin par la suite : le temps, même dans sa dimension calquée sur le rythme de la prière canoniale ou monastique, doit être modelé dans une certaine mesure sur le plan éducatif et, de ce point de vue, les innovations introduites dans les collèges de la Compagnie sont signes de modernité. » [1] (Gerbod. p. 454).

L’auteur de ce texte démontre que de très longue date le temps scolaire s’insère presque entièrement dans le temps canonial et monastique qui régit toute la vie quotidienne de la chrétienté. Il constate que bien que ce mimétisme se retrouve bien au delà du 16ème siècle dans les établissements d’instruction toujours dépendants de l’Église enseignante, des innovations et adaptations modifient toutefois sur certains points règles et usages issus d’un lointain passé : ainsi est-ce le cas à Port-Royal où l’on note l’importance majeure du travail individuel de l’enfant et le rôle des récréations ! Avant 1800, les critiques relatives aux contraintes imposées à la population enfantine et adolescente par la rigidité de l’organisation des temps scolaires sont peu audibles, même si certaines d’entre elles comme celles exprimées par Montaigne ou Rabelais, sont virulentes. C’est à partir du 18ème siècle que les mises en question de ces contraintes deviennent de plus en plus sensibles : ainsi en est-il dans le Traité des études du chanoine Rollin publié en 1725, ainsi que dans tous les projets de réforme du système éducatif qui ont pris forme tout au long de ce siècle.

Toutefois Gerbod constate qu’aucun de ces sursauts pédagogiques ne sont parvenus à modifier profondément les structures du temps scolaire. En revanche de 1800 à 1950, le temps scolaire devient l’un des domaines où l’abondance et la fréquence des textes législatifs et réglementaires, même comme le dit Gerbod, si on est en droit de s’interroger sur la portée réelle de leur application, interrogent car semblent conditionner l’importance attachée par le pouvoir aux conditions de la formation de la jeunesse.

Après la loi Guizot de 1833 qui impose une scolarisation de tous les petits garçons dans les communes de plus de 500 habitants, très vite apparaît un souci majeur, à savoir l’absentéïsme lié à la désertion des écoles pour les travaux des champs. Et comme l’histoire est un éternel recommencement, Gerbod rappelle que Paul Lorrain, qui avait réalisé une vaste enquête en 1833 lui permettant de publier un Tableau de l’instruction publique en France, précisait qu’en raison de l’importance de cette désertion, « de très bons esprits voulaient établir par une pénalité particulière l’obligation pour les familles d’envoyer leurs enfants à l’école ». C’est l’absence critiquée de réglementation nationale et la volonté d’éviter les abus et gaspillages du temps scolaire qui sont à l’origine d’un début de mise en place d’une réglementation valable pour toutes les écoles primaires publiques d’un arrondissement. C’est ainsi qu’en 1834 le conseil royal de l’instruction publique va fixer pour l’ensemble des écoles publiques une journée de classe de six heures, avec une coupure de mi-journée de deux heures, soit une durée hebdomadaire de trente heures, avec une journée de repos, le jeudi ! Ça ne vous rappelle rien ?

L’académie de médecine a commencé à se préoccuper, entre autres, de l’organisation des temps scolaires, voilà plus de 160 ans. Ainsi en 1849-1850 une commission chargée d’une telle étude suggère « une diminution du temps des études, une augmentation de la durée des récréations, l’introduction d’exercices corporels pour compenser un travail cérébral excessif et les inconvénients d’une vie trop sédentaire. ». (In Leconte, 2011, p.145). Dès 1858 l’inspecteur général des études publie un guide pour les instituteurs pour leur apprendre à mettre en place des alternances de séquences pédagogiques entre repos et étude mais aussi réfléchir à l’ordre de succession des objets d’enseignement, et c’est une circulaire du ministère Duruy qui en 1866 va introduire la réalité des récréations interclasse de l’ordre de dix minutes, le matin et l’après-midi.

Avec l’application des lois Ferry de 1882 et 1886, une réglementation nationale est mise en place. Le règlement de 1887 fixe pour toutes les écoles de France la durée des classes à trois heures le matin et trois heures l’après-midi, avec un horaire hebdomadaire de trente heures et une interruption totale du jeudi pour l’instruction religieuse, confirmant ainsi l’organisation mise en place dès 1834.

A-t-on aujourd’hui révolutionné cela en réintroduisant la matinée supprimée en 2008 par le décret Darcos ?

Dès 1955 la « Voix des parents » s’appuie sur les recherches menées par Alain Reinberg qui mettent en lumière le rôle capital des rythmes biologiques, permettant de mieux comprendre l’origine de la fatigue des enfants et des adolescents et les variations de leur attention intellectuelle. (Ib. p. 148).

Aujourd’hui tout le monde parle des rythmes scolaires mais personne ne sait ce que c’est. Tout comme en son temps St Augustin déclarait : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais bien ; mais si on me le demande et que j’entreprenne de l’expliquer, je trouve que je l’ignore », je dis qu’aujourd’hui les rythmes scolaires ont ce même statut, à savoir que chacun croit savoir ce que c’est si on ne le lui demande pas mais est incapable d’en donner une définition précise.

Preuve s’il en fallait, un article récent sur lequel je reviendrai, publié dans Le Monde, intitulé : « une petite utopie de rythmes scolaires » !

Les interrogations et les débats sur les rythmes scolaires reviennent en permanence sur le devant de la scène, mais curieusement, uniquement en France.

Un travail de recherche de fin de formation d’une école de communications, a conduit les étudiants à faire une étude exhaustive sur la littérature internationale en croisant chronobiologie, école, temps scolaire, comme mots-clé entre autres.

Qu’ont-ils mis en évidence ? Que la presque totalité des études menées à l’étranger par des chronobiologistes portent principalement sur les liens entre sommeil et comportements à l’école. Normal ! Ils notent alors que les chronobiologistes qui développent le plus d’études sur le thème des rythmes scolaires sont les chronobiologistes français. Ils constatent encore que sur des sites d’archives de publications scientifiques, à l’échelle internationale, l’école n’est pas le thème principal abordé par ces chronobiologistes : ainsi sur le site « The Web of Knowledge », l’éducation ne concerne que 30 publications sur 2637 articles liés à la chronobiologie. De plus la majorité de ces 30 publications est le fait des scientifiques français !

Ces chercheurs constatent encore qu’il n’existe pas de terme dédié aux rythmes scolaires en anglais. Dans les articles écrits par plusieurs chercheurs parmi lesquels un, considéré, y compris par lui-même, comme la référence française en matière de rythmes scolaires, à savoir Hubert Montagner, la dénomination anglo-saxonne adoptée en traduction de rythmes scolaires est school schedules, soit en fait « l’emploi du temps scolaire », ce qui n’a évidemment pas du tout la même valeur.

Ils ont encore croisé les termes chronobiology et school schedules, ils ne découvrent qu’une seule référence, « étude du « meilleur » moment de la journée pour apprendre », qui est en fait une étude française.

Toujours en s’appuyant sur les traductions de contributions d’Hubert Montagner, ils cherchent des références à partir de « school rhythms », ils tombent systématiquement sur le même article, Rhythms of children and school rhythms, qui est en fait une publication française de Nadine Pignal, parue en 1988 dans le journal Pédiatrie, qui en fait enjoint les pédiatres à recommander aux parents de respecter les rythmes de sommeil de leur enfant. Cet auteur y affirme que la fatigue induite par le manque de sommeil entraîne des difficultés scolaires et qu’il est important de le diagnostiquer ! Je ne peux qu’être d’accord, puisque je ne cesse de réclamer la même chose, mais où est-il question de « rythmes scolaires », au sens pris par le ministère ?

Les jeunes chercheurs ayant ouvert ce site constatent donc que les études des journées scolaires restent à l’étranger très marginales, que les rythmes scolaires sont beaucoup moins mis en question à l’étranger et que c’est sans doute la raison qui fait que la branche « rythmes scolaires » de la chronobiologie est bien plus élargie en France que n’importe où ailleurs. Ce qui d’ailleurs avait fait dire à Darcos en 2008 que la France est le seul pays qui se préoccupe de chronobiologie, il se trompait uniquement parce qu’il n’avait pas réduit cette préoccupation isolée, aux rythmes scolaires.

Notons encore que la définition classiquement donnée par ceux qui tiennent à conserver ce terme se décline en deux acceptions :

* Soit il s’agit de l’ensemble des horaires et emplois du temps qui organisent la journée de l’école de l’enfant (on parlera alors plutôt de temps scolaires ou d’organisation du temps scolaire) ! pourquoi alors vouloir utiliser un autre terme ?

* Soit on peut entendre les rythmes scolaires comme les rythmes propres aux enfants (il suffit alors de parler des rythmes biologiques des enfants), en situation scolaire. Ce sont alors les variations des capacités de vigilance, d’attention et d’apprentissage en fonction du temps.

Et c’est exactement là que les avis peuvent diverger, à savoir considérer que ces variations éventuelles peuvent, plutôt que d’être le fait de rythmicités propres aux enfants (ce qui n’a jamais été confirmé quel que soit l’âge de l’enfant, quelle que soit la tâche évaluée, quel que soit le contexte dans lequel cette évaluation a lieu), être la conséquence de manque de motivation, de désintérêt pour les activités proposées, d’incapacité pour l’enfant à trouver du sens dans ce qu’on lui impose de faire. Il s’agit alors de réfléchir aux pratiques pédagogiques, aux méthodes d’apprentissage mises en œuvre, à la capacité ou non des adultes accompagnant l’enfant dans ses apprentissages de le rendre acteur de ce qu’il fait. Rappelons quand même que Blake, qui apparaît comme le chercheur référent de la mise en évidence de fluctuations de l’attention au cours de la journée, est aussi celui qui a montré que le seul fait de donner au sujet, après chaque passation, le résultat obtenu à l’épreuve qu’il vient de passer permet rapidement d’annihiler ces fluctuations et au contraire produit une augmentation systématique des bonnes réponses tout au long de la journée. (voir Claire Leconte, analyser, réfléchir, prendre de la hauteur : l’école et les temps de l’enfant).

On est alors bien en droit de se demander si ces débats ont lieu d’être ou s’ils masquent divers problèmes que tout le monde préfère occulter pour ne pas avoir à assumer la responsabilité des solutions à trouver ? Ou pragmatiquement, s’ils ont une quelconque pertinence, sont-ils pour autant bien posés ? Désireuse actuellement de positiver, c’est pour cette seconde alternative que je penche.

Le terme lui-même n’est rien d’autre qu’une évolution du langage uniquement tributaire de l’évolution des connaissances scientifiques.

En 1959, après le développement des travaux des chronobiologistes tels que Alain Reinberg, la Revue Française d’hygiène et médecine scolaire et universitaire offre une tribune à des médecins qui vont mettre l’accent sur la nécessité de tenir compte, dans l’établissement des horaires et des congés scolaires, de paramètres psychophysiologiques particuliers aux enfants et aux adolescents : la santé mentale et physique de l’enfant n’est en rien bénéficiaire de 163 jours de classe effective pour 202 jours de congés. Alain Reinberg écrivait alors : « le temps scolaire quotidien ou annuel doit s’adapter aux rythmes biologiques et physiologiques de l’enfant ». Et c’est en réponse à ces constats scientifiques qu’en 1979, au JO, Avis et rapports du CES, n°11, 27 mars 1979, p.551-664, paraissait « organisation des rythmes scolaires et aménagement général du temps, avis adopté par le CES (Pierre Magnin, rapporteur) », puis dans le n°9, 3 juillet 1980, p.285-341, « séance du 14 mai 1980, Les rythmes scolaires, (Émile Lévy, rapporteur) ». Le rapport du Recteur Magnin a fait l’objet d’une publication particulière : l’organisation des rythmes scolaires, Paris, 1986.

À travers toutes les propositions faites apparaît le souhait principal que soit pris en compte « l’intérêt prioritaire de l’enfant », que la fatigue scolaire soit évitée, que les divers éléments de la journée soient équilibrés ou plutôt répartis de manière harmonieuse. Le terme nouveau était créé mais il correspondait bien à l’attente d’un recteur docteur en médecine et d’un professeur de médecine que les emplois du temps de l’école tiennent compte des besoins connus des enfants et des adolescents en matière de respect des rythmes biologiques.

Il faut ajouter que d’ailleurs Magnin[2] lui même, en 1993 a écrit (p. XVI-XVII) : « Dans cette immense confrontation politico-philosophique autour de l’éducation, les cursus à mettre en œuvre, les pédagogies à privilégier, les programmes à construire se sont comme défaussés sur une victime expiatoire, chargée de toutes les iniquités, véritable bouc émissaire : les rythmes scolaires. Les rythmes scolaires sont à la mode. Voilà sans doute l’un des flashes médiatiques parmi les plus mobilisateurs et peut-être une des plus fortes réserves de passion. » (..)« Nous sommes ainsi passés du banal calendrier scolaire à la notion de rythmes ».

N’est-il pas paradoxal que les inquiétudes quant au bien-être à l’école des élèves ont toujours été l’exclusivité des académies de médecine, des médecins, pédiatres et chronobiologistes ! Quid de l’éducation nationale ?

Guy Vermeil, pédiatre et élève du Professeur Debré, dénonçait en 1976, dans un ouvrage intitulé « la fatigue à l’école », toutes les causes de fatigue des enfants qu’il recevait alors dans son cabinet de pédiatre, mais il écrivit en 2001 qu’il donnerait maintenant un autre titre à ce livre, tant pour lui les sources de fatigue étaient multiples et devraient plutôt être recherchées dans les erreurs éducatives familiales, notamment celles concernant les insuffisances de sommeil.

Moi même le constate plus encore aujourd’hui dans les nombreux suivis évaluatifs que je réalise, je n’ai cessé de l’évoquer lors des ateliers de concertation pour la refondation de l’école, ce qui avait fait ironiser la présidente de l’atelier concernant les « rythmes éducatifs », me disant qu’elle « me promettait qu’on rappellerait dans la loi, aux parents qu’ils doivent apprendre à bien faire dormir leurs enfants » ! Je ne suis pas seule à faire ce constat puisqu’une étude britannique récente, publiée en 2013[3], a bien pointé les effets délétères sur les comportements des enfants à l’âge de 7 ans, d’une irrégularité récurrente du rythme veille-sommeil dès le plus jeune âge.

De même ce sont le Professeur Robert Debré et le Docteur Daniel Douady qui remettent, le 18 janvier 1962, un rapport au Conseil de la recherche pédagogique qui fait grand bruit : intitulé « la fatigue des écoliers français dans le système scolaire actuel », il pointe notamment les dangers du surmenage.

Alors pourquoi donc jamais aucun pédagogue ou éducateur ne s’est ému des méfaits dans les apprentissages de leurs élèves de l’organisation temporelle de l’école ?

Ou quand ils le font, le font-ils correctement ?

Ainsi Jean-Yves Rocheix déplorait-il en 1989[4] la façon dont la prise en compte de l’hétérogénéité des enfants face aux apprentissages était faite par l’éducation nationale : « La nécessité de repenser les « rythmes » et le « temps » scolaires pour les adapter à ceux des élèves est de plus en plus citée comme passage obligé sur la voie de l’amélioration du fonctionnement de notre système éducatif ». Il constatait que la gestion de cette hétérogénéité pose massivement problème à des enseignants non formés pour l’affronter. Et il était inquiet par les propositions les plus couramment avancées pour traiter ces problèmes, traitement dont il disait qu’au vu des objectifs de lutte contre les inégalités sociales et pour la réussite de tous, il lui semblait aller bien plus souvent dans le sens d’une régression que dans celui d’un progrès.

Ainsi il disait : « Le débat consiste pour l’essentiel à se demander si l’école doit s’adapter aux caractéristiques (rythmes, intérêts, motivations, voire aptitudes) de ses élèves, ou si, au contraire, ce sont ceux-ci qui doivent s’adapter à l’école, à sa temporalité, à ses modes de transmission du savoir, à son fonctionnement normalisé. Dans ce mouvement de balancier perpétuel dont l’accent est mis tantôt sur le sujet apprenant, tantôt sur l’institution et ses exigences (et dont on retrouverait l’écho sur le faux débat opposant éducation et instruction), le développement (biologique, mais aussi intellectuel, affectif, …) de l’enfant d’un côté, ses apprentissages scolaires et les activités d’enseignement qui les organisent et les structurent de l’autre, sont pensés comme deux processus séparés ayant chacun leurs logiques et leurs temporalités propres, qu’il s’agirait de faire coïncider du mieux possible.

Faute de penser les rapports dialectiques entre ces deux pôles que sont, d’une part, le sujet et son développement, la formation de sa personnalité et de ses intérêts, d’autre part, les apprentissages, l’accès aux savoirs, la formation des compétences et les activités qui les construisent, on n’interroge ni l’un, ni l’autre, on s’interdit de penser et donc de transformer leur process de formation, pérennisant ainsi l’état des choses en chacun de ces deux registres. ». C’était en 1989, qu’y a-t-il de changé aujourd’hui avec ce qui s’appelle la « réforme des rythmes scolaires » ?

Et il ajoutait : « Penser ces rapports nécessite sans doute une première rupture qui ne soit pas seulement de vocabulaire, mais conceptuelle. Il me semble nécessaire de substituer aux faux débats sur les « rythmes » ou le « temps » propres aux enfants ou à l’institution scolaire, une réflexion sur l’activité du sujet apprenant, sur la manière dont il s’y réfléchit et dont il la réfléchit ».

Quant à Lucien Sève, en 1989[5], s’appuyant entre autres sur ces écrits de Rocheix, s’interrogeait ainsi : « Comment donc cette notion de respect des rythmes, sous ses dehors tous scientifiques et démocratiques, peut-elle si aisément servir de bien autres desseins ? C’est d’abord que son ambiguïté favorise une vaste supercherie » (p.10).

Non seulement je suis d’accord avec cette perception des choses, mais moi-même réclame, depuis à peu près la même période, qu’on en finisse avec un vocabulaire que j’ai démontré ne pas permettre de réfléchir sur le fonds de la question, sur les contenus des temps et sur la conception que l’on a de l’éducation : j’avais redemandé lors des ateliers de concertation sur la refondation de l’école, qu’on abandonne enfin le terme « rythmes scolaires », il m’avait alors été répondu par d’anciens tenants de cette terminologie, que « maintenant que c’est bien rentré dans la tête des gens, il semble difficile de revenir dessus » ! Mais qu’est-ce qui est bien rentré dans la tête des gens ?

Dans le rapport de l’INSERM[6] souvent cité en référence, en particulier par le ministère pour argumenter le bien-fondé de la réforme, on lit : « Ainsi, pour une très forte majorité d’élèves du cycle primaire (6-11 ans), leur vigilance et leurs performances intellectuelles fluctuent selon le profil désormais classique dégagé avec précision en 1916, aux États-Unis, par Gates. (en fait Gates avait montré chez les adultes que la mémoire immédiate est meilleure le matin que l’après-midi).

Cette même rythmicité journalière qui a été mise en évidence non seulement en France, mais également en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne (Testu, 1994b) témoigne dune relative indépendance des variations diurnes de lactivité intellectuelle par rapport aux synchroniseurs « emplois du temps journaliers et hebdomadaires » », ceci à partir presque exclusivement des travaux de Testu, autre référence française sur les « rythmes scolaires » et seul expert de ce domaine reconnu par le ministère.

Pourtant c’est Testu lui-même qui, en 2005,[7] déclare : « Bien que cette évolution journalière des performances intellectuelles soit souvent présente, elle peut cependant se moduler voire s’inverser sous l’influence de nombreux facteurs liés à la situation, à la tâche (Testu et coll., 1995 ; Testu, 1986, 1999) ou bien aux sujets eux-mêmes (Testu, 1984) notamment leur âge. C’est ainsi qu’il nous a été possible de constater que le profil classique, d’une part, se modulait au cours du cycle élémentaire (6-11ans) et, d’autre part, était inversé en moyenne section (4-5 ans). ». Sachons que cette évolution journalière est, de la déclaration des auteurs de l’article eux-mêmes, due aux études chronopsychologiques avec quatre prises de mesures dans la journée ! Quatre points relevés à quatre moments de la journée avec des épreuves de repérage de cibles qui durent 30 secondes !

Les auteurs poursuivent : « Les résultats nous permettent de constater, qu’effectivement, il y a bien des modifications de la rythmicité journalière de l’attention des enfants scolarisés entre la moyenne section maternelle et le cours moyen 2e année où ce rythme devient constant et stable. C’est donc à partir de 11 ans que les moments de plus faible attention sont le matin et le début d’après-midi et les périodes d’attention accrue sont la fin de matinée et, à degré moindre, la fin d’après-midi. ». C’est-à-dire à la fois au moment de la puberté, quand les horloges biologiques sont toutes retardées d’une heure à une heure et demi, mais aussi à un moment où tous les travaux montrent que les enfants ont tendance à se coucher beaucoup plus tard, et à être en manque chronique de sommeil. Cela ne justifie-t-il pas la difficulté de démarrage le matin ? Et les petits-déjeuners, sont-ils respectés ? À quelle heure les enfants qui font du sport à l’extérieur le font-ils ?

Ceci pour dire que si de telles variations existent dans la journée du point de vue des capacités attentionnelles, elles sont très vraisemblablement beaucoup plus le fait d’un non respect des rythmes biologiques que le fait de « rythmes scolaires », ou de rythmicités psychologiques indépendantes des rythmes biologiques.

Autre interrogation, les recherches de terrain que j’ai menées ici ou ailleurs, m’ont permis de constater que lorsqu’on ne laisse pas les enfants s’énerver pendant une dizaine de minutes le matin avant de gagner leur classe, ils sont beaucoup plus rapidement disponibles pour se mettre au travail en début de matinée. Les enseignants ne veulent-ils pas essayer ?

Doit-on s’en tenir à la parole de Laurent Frajerman (2013) qui considère que si le ministère veut rebondir sur la question des rythmes scolaires, il doit cesser d’opposer l’expertise des chercheurs à celle des enseignants ? De quelles expertises est-il question ?

Nous sommes en 2014, en train de réfléchir à la « refondation de l’école », pourrait-on justifier le fait qu’on continue de ne s’intéresser qu’à un aménagement des emplois du temps de l’école à l’heure où celle-ci est devenue la plus inégalitaire qui soit ? N’a-t-on pas plutôt à s’interroger sur les leviers à mettre en place pour qu’une réflexion de fond sur la possibilité de réorganiser les temps de vie des enfants et des adolescents, permettant entre autres l’installation d’une cohérence éducative, soit menée et aboutisse à l’ouverture de l’école vers la Cité et à la Cité ?

Pour que de tels leviers voient le jour il est impératif d’éviter le carcan horaire ne permettant aucune innovation ni pédagogique ni éducative. C’est probablement l’une des raisons qui fait que ce dossier réapparaît sans cesse à l’identique depuis cinquante ans. Mais il faut également accepter que chacun d’entre nous s’interroge sur ce qui fait éducation chez l’enfant.

A suivre……

[1] Gerbod, P. 1999, Les rythmes scolaires en France : permanence, résistances et inflexions. Bibliothèque de l’école des chartes, 1999, tome 157, livraison 2, pp. 447-477

[2] Des rythmes de vie aux rythmes scolaires – Poltique d’aujourd’hui – PUF – 1993

[3] Kelly, Y., Kelly, J., Sacker, A. , Changes in Bedtime Schedules and Behavioral Difficulties in 7 Year Old Children, Pediatrics, published on line October 14, 2013

[4] Rocheix, J.Y., 1989, Des rythmes au contrat : la mystification du sujet. L’École et la Nation, septembre 1989.

[5] Sève, L. 1989, Touche pas à mon rythme, Septembre 89, L’École et la Nation, pp. 8-12

[6] Inserm (dir.). Rythmes de l’enfant : De l’horloge biologique aux rythmes scolaires. Rapport. Paris : Les éditions Inserm, 2001, XII- 106 p. – (Expertise collective).

http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/178/?sequence=9

[7] Janvier et Testu, 2005, Développement des fluctuations journalières de l’attention chez des élèves de 4 à 11 ans, Enfance, 2005/2 (Vol. 57), PUF, pp. 155-170

http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ENF&ID_NUMPUBLIE=ENF_572&ID_ARTICLE=ENF_572_0155

 

 

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